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Un « ordre différent »

2.7 1991-1994 : les derniers sursauts politiques

3 L’auto-organisation complexe

3.6 L’« objectivation du plus intime » : Le porte dell’Appennino

3.6.2 Un « ordre différent »

Les détails au sujet de la vie paysanne sont légion dans LPDA, si bien que nous avons jugé opportun de les classer selon les différents aspects de cette vie, qu’il faut tout de même imaginer comme des cercles concentriques qui vont des individus aux manifestations politiques et religieuses de la communauté en passant par la famille.

En ce qui concerne les individus, il va de soi qu’on peut dessiner un portrait masculin et un portrait féminin. Le poème qui décrit le mieux le portrait typique d’un homme de cette contrée est sans aucun doute La vita, le poème consacré au père du poète que nous avons précédemment analysé en le mettant justement en relation avec les poèmes contenant les portraits du je poétique. Si on devait résumer ce portrait masculin en une formule, on choisirait celle d’« homme complet », un motif moins présent dans PP1980 que dans les recueils pris singulièrement. Cet homme est celui qui se sauve, car il sait adhérer à l’organisation je/tu féminin/paysage et à son chronotope. Le royaume du père s’ouvre en effet « sur toutes les choses de la campagne », et les jeunes évoqués par Volponi dans La paura

« disposent de l’heure96 », c’est-à-dire du temps, grâce à leurs mains. Cette « racine

d’homme97 » est associée à une figure féminine qui oscille entre sensualité saillante (ce qui

est, nous l’avons vu, le précipité du schème maternel) et maternité naturelle. C’est notamment grâce à la galerie de femmes de Il cuore dei due fiumi que nous pouvons brosser le portrait de la femme de ces contrées :

[…] Sono i paesi delle belle Cecilie, brune, di lunga treccia, delle bionde, esili Ersilie, delle Marie lavandare ;

[…] Ce sont les villages des belles Cecilie,

brunes, aux longues nattes, des Ersilie blondes et minces, des toutes les Marie lavandières ;

96 Ibidem, p. 118 : « […] I compagni vengono a giuocare: / essi che sono veri, orfani forse, / chiamano per nome, guardano nel cuore, / e, fermi nel sole, ai sassi, / con le mani dispongono dell’ora. […] »

97 Voir La vita, in PP1980, p. 83 : « Forse nel sonno / sulla maglia dei carrettieri, / per la calda vena del braccio / o per la forte parola, / naturalmente s’innestò / la sua radice di uomo. »

161 di tutte le belle donne

d’oro scuro e corallo, madri e spose, fornare ; delle giovani timorose vergini come sante, come le rose nelle chiese, rosse a guardare,

che dopo il mese di maggio danno la mano

appena a toccare da dietro il cancello. Lavorano a casa e sposano per amore,

o per amore qualcuna si perde e allora fa la sarta,

la levatrice, le iniezioni, gli impacchi d’erbe. Le belle contadine sposano per stagioni come le messi

nei campi o lungo i fossi e poi nelle piccole chiese, madri e sorelle

di amici cacciatori o giuocatori di bocce e di piastrelle.

de toutes ces belles femmes d’or foncé et de corail,

mères et épouses, boulangères ; de ces jeunes timorées,

vierges comme des saintes, comme les roses des églises, rouges si on les regarde, qui, après le mois de mai, se laissent tout juste effleurer la main derrière le grillage. Elles travaillent chez elles et se marient par amour,

ou bien par amour certaines se perdent et finissent par devenir couturières, sages-femmes, elles font des injections, des compresses d’herbes.

Les belles paysannes se marient selon les saisons comme les moissons

dans les champs ou le long des fossés et puis dans les petites églises, ces mères et sœurs

de leurs amis chasseurs ou joueurs de boules et de palets. […] (PP1980, p. 96-97)

« [M]ères et épouses », « mères et sœurs » : voici, par voie d’universalisation, ce que sont toutes ces belles Cecilie, Ersilie et Marie des Apennins. Elles adhèrent à la nature et à ses rythmes en devenant ainsi les compagnes idéales des « chasseur[s] », c’est-à-dire de l’homme complet, étant donné que la chasse est un « symbol[e] mythico-ritue[l] de défense

et de réintégration98 » que l’individu met en œuvre pour renouveler son adhésion à

l’organisation sociale qui est la sienne.

98 Cf. DE MARTINO E., Furore Simbolo Valore, Milan, Feltrinelli, 2002, p. 100 : « Caccia e raccolta, pastorizia primitiva, agricoltura primitiva e agricoltura cerealicola, disciplina dei rapporti sessuali e forma della famiglia, dispersione tribale e accentramento urbano e statale, comportano così importanti analogie di regimi esistenziali, di esperienze critiche e di esigenze di difesa, da far comprendere il prodursi di analoghi simboli mitico-rituali di difesa e di reintegrazione, più o meno indipendentemente da trasmissioni culturali » (C’est nous qui soulignons). La figure du chasseur est récurrente dans la poésie de Volponi, du moins jusqu’à LPDA. Volponi lui dédie même un poème entier, L’uomo è cacciatore, le troisième texte de la série Il giro dei debitori (voir PP1980, p. 11-15). C’est toutefois dans L’Appennino contadino que l’on comprend mieux la coïncidence entre le chasseur et l’homme complet (voir notamment PP1980, p. 130 et 137-138).

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Si on passe à présent à la première organisation sociale qui soit, c’est-à-dire la famille, on s’aperçoit que nombreux sont les poèmes de LPDA dans lesquels Volponi nous en livre l’image. Dans Le catene d’oro, par exemple, Volponi saisit un moment particulier de la vie familiale, l’anniversaire de la matriarche. C’est l’occasion pour celle-ci de tenir un discours à toute la famille, y compris les « morts / et les anges gardiens : / l’oncle du Minnesota / emmène une vieille fourrure d’ours, / les enfants mort-nés tapotent, / de leurs petits poings serrés / et avec des petites médailles d’or, / les cloches de verre / sur les fleurs artificielles et les cierges. » Son discours tourne autour des sujets qui impliquent la famille entière : « Et voici les moissons, les meules, / les poids, la fécondité des années, / les verres de vinsanto,

/ les voiles des épouses99. » C’est toutefois ailleurs que le portrait de la famille de la

campagne émerge au grand jour. En pleine adhésion avec l’organisation je-paysage, la famille de L’Appennino contadino est enveloppée dans « le temps sempiternel » de la contrée, leurs maisons sont bercées par le vent, qui « entre par les cheminées, / ajoute la menthe et les genévriers à la fumée, / et répand le parfum automnal de la famille / jusqu’aux forêts d’or, / dont il pénètre l’âge végétal. » Élément parmi les éléments, la famille humaine organise sa vie domestique, dont la dimension sociale est prépondérante : « Dans les pièces d’en bas bougent les enfants : / une voix, les histoires devant la cheminée, / les pousse à la fenêtre, / à regarder lequel des paysans passe / ou bien les disputes des moineaux avant le soir. » Seules les chambres sont des espaces intimes : « Ici notre esprit est seul […] Ici discourent les parents […] Ici, dans les trousseaux, / la tradition protège plus les douleurs

/que les illusions familiales100. » L’organisation familiale prévoit également une forme de

spiritualité, qui, d’une part, la relie aux autres en devenant une forme de cohésion sociale, et, d’autre part, peut devenir une organisation coercitive qui se transmet aux enfants sous forme de peur, comme on peut le découvrir dans La paura : « La peur est une maison habitée », avec son « temps horrible », les armoires sont des « tombes », la fille destinée au mariage « pleure », si bien que les chambres deviennent le havre de paix d’une intimité blessée, l’« unique salut », car lieu des possibles où l’on peut « parcourir de la main / les

99 Voir PP1980, p. 91-93 : « Per la nostra felicità questa mattina / tornano a casa tutti i parenti / vivi e morti / e gli angeli custodi: / lo zio del Minnesota / porta una vecchia pelliccia d’orso, / i nati morti battono leggeri, / con i piccoli pugni stretti / e medagliette d’oro, / le campane di vetro / sui fiori finti e i ceri » ; « Tornano le mietiture, i covoni, / i pesi, le bontà delle annate, / i vinsanti dentro i bicchieri, / i veli delle spose ».

100 Ibidem, p. 125-143 : « Rifiorisce sui pozzi familiari / il tempo di sempre » ; « Il vento le [les maisons] accompagna : entra dai camini, / mischia al fumo la menta e i ginepri / e spande l’autunnale profumo della famiglia / sino ai boschi d’oro, / penetra la loro età vegetale. » ; « Nelle stanze basse si muovono i bambini: / una voce, le storie del fuoco nei camini, / li porta alla finestra, / a guardare chi passa dei contadini / o le liti dei passeri prima di sera. » ; « Qui il nostro pensiero è solo […] Qui discorrono i genitori […] Qui la tradizione nei corredi / custodisce i dolori / più che gli inganni familiari. »

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fabuleuses routes du lit ». Un salut individuel et momentané qui ne défait pas la peur du large, mais salut tout de même. L’« âme commune ordonnée » et catholique de la famille paysanne déteint surtout sur les jeunes filles (« La peur est une jeune fille »), dont le corps, et même la toux, est ligoté « dans un ordre étriqué ». Cet « ordre de la famille » dicte à la fille, voire la « demoisell[e] », « le geste parfait », dont le but est de « supporter une peine /

pour purger le péché maternel, / composer une figure / devant le père101. »

Cette organisation familiale austère est le reflet d’une organisation sociale qui présente à son tour des rigidités dont l’origine est à chercher dans la vieille conception de l’Ordre universel comme antithèse du Chaos. En d’autres termes, si l’univers est régi par l’ordre des saisons, l’ordre social ne peut pas déroger à cette loi, d’autant que le garant de celle-ci est Dieu. Le texte dans lequel cette vieille conception de l’Ordre est particulièrement évidente, c’est encore une fois L’Appennino contadino. Véritable périégèse à travers le microcosme paysan, L’Appennino contadino décrit dans les moindres détails cette île aux frontières spatiales et temporelles bien définies qu’est la contrée natale du poète. Le calendrier paysan rime avec celui de la nature, avec son éternel retour de naissances, vies et morts. Dans la première partie du poème, Volponi trace les contours d’un cosmos immobile, toujours égal à lui-même : « Aux fenêtres passent ainsi les saisons, / l’une après l’autre, indifférentes, / avec leurs mesures prises sur le soleil, / sur les multiples naissances de la lune. » À ce cosmos appartient évidemment l’homme, auquel « le destin naturel / […] a fixé les bornes ». Aucune révolte n’est possible dans ce système clos : « La saison divine châtie toute révolte / et fait fleurir en même temps les blés et les chiendents. » Une deuxième partie du poème inaugure un long voyage à travers les mois du calendrier humain, qui se termine tout juste avant la dernière strophe du poème, où prévaut la portée gnomique. Entre isolement, immobilité et silence, l’enclos natal conduit son existence circulaire entre les travaux dans les champs, la vie domestique et la socialité religieuse (nombreux sont les renvois à la tradition païenne ainsi qu’à la tradition catholique). Les relations humaines, que ce soit au sein de la famille ou de la société, sont de nature déterministe, en ce sens qu’elles contribuent sans faute à la création de cette « âme commune ordonnée » que nous avons déjà évoquée. Cette âme commune, qui dépasse même la frontière entre la vie et la mort, est à la fois un

101 Ibidem, p. 114-124 : « La paura è una casa abitata » ; « [il] tempo orrido di casa » ; « S’aprono armadi come tombe » ; « le donne anziane […] vestono da sposa / una ragazza che piange. » ; « Allora il letto […] è l’unica salvezza […] percorrere con la mano / le favolose strade della lettiera » ; « La paura è una fanciulla » ; « la sua tosse educata / nell’ordine della famiglia » ; « [le] regole di un giuoco sconosciuto / che legava il suo corpo / in un ordine stretto. » ; « Guardare sorridendo le ragazzette, / anzi, le signorine » ; « il gesto perfetto mi sembrava / un riprendere fiato, / sopportare una pena / a discolpa del materno peccato, / comporre una figura / a cospetto del padre. »

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antidote contre l’éternel retour du Tout et le moment nécessaire de cette palingenèse pérenne :

[…] seminare per l’anno che viene e poi finire i lavori per le scorte, la legna, i bucati, le conserve ; è come onorare i defunti, guardare i fratelli dai cancelli dei cimiteri.

[…] ensemencer pour l’année à venir et puis finir les travaux pour les réserves, le bois, la lessive, les conserves ;

c’est comme honorer les défunts, regarder les frères

depuis les portails des cimetières. […] (PP1980, p. 141)

Cette vieille communion existentielle peut désamorcer la peur, mais au prix d’une vie

passée « sans comprendre »102.

Cependant, même les cycles de la nature prévoient des ouvertures, comme au printemps ou encore au mois de septembre, lorsque les oiseaux migrateurs quittent la contrée en suscitant l’envie du paysan, qui se défend de la peur de l’ouvert en chassant. Cela n’éteint pas pour autant son désir de rébellion, comme on peut le voir notamment chez les jeunes, qui, comme la « tourterelle », frémissent en septembre, et même en février, un mois cher à Volponi, qui lui attribue ici la nervosité propre aux jeunes : « Février est un garçon / qui lutte contre son père, / qui cherche dans les champs un point de fuite. » Mais la fuite (la transition) ne garantit pas une vie meilleure, car cela peut signifier aussi les affres de l’exil et du travail dans l’industrie. Il en découle que le jugement de la communauté oscille entre approbation et réprobation, car « [c]eux qui s’enfuient ne sauvent qu’eux-mêmes ». L’ouverture de l’horizon a tout de même une qualité, car elle introduit dans l’île « la seule vérité, qui dans la vie / s’adresse à eux, en dehors de la nature », c’est-à-dire la possibilité de lutter de l’intérieur de l’enclos « contre eux-mêmes, contre la fatigue », dans l’espoir que « demain un nouveau soleil se lève ». Enfin conscients de leur propre insularité, les paysans se réunissent le premier mai pour essayer de briser cette condition. Le symbole de leur lutte devient le drapeau rouge « de la liberté d’un jour », cette « relique » exposée « sur le balcon / de la nouvelle maison le long de la route », sans doute une Casa del popolo liée au Parti Communiste Italien, où le peuple paysan « se reconnaît et s’élit / comme un peuple uni ».

102 Pour toutes les citations extraites de L’Appennino contadino, voir PP1980, p. 125-143 : « Così alle finestre passano stagioni, / una per una, indifferenti, / con le misure riferite al sole, / alle molte nascite della luna » ; « […] un destino naturale / […] ha fissato i confini » ; « La stagione divina ferisce ogni rivolta / ed insieme fioriscono i grani e le gramigne » ; « Si sogna una festa migliore / e si fa sempre un giro di più / ballando per amore, / mangiando e bevendo per amore, / odiando per amore, parlando per amore, / per l’amore accanito di vivere senza capire. » Puisque les citations extraites de L’Appennino contadino sont assez nombreuses, nous avons préféré distribuer leurs originaux sur plusieurs notes.

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Toutefois, si des actions concrètes ne succèdent pas aux symboles, ces derniers ne sont que des coquilles vides, comme le dénonçait déjà Pasolini dans Au drapeau rouge, ou encore

Volponi dans une lettre à Pasolini lui-même103. Le sociologue Volponi essaie d’indiquer une

solution possible : une nouvelle organisation doit venir de l’intérieur même de la contrée. Ce renouveau passe par la mise en place d’une nouvelle synergie entre la ville (Urbino, bien qu’elle ne soit pas mentionnée directement) et la campagne. Tout d’abord, la ville est depuis toujours une référence pour les paysans. Ils l’arpentent par exemple au mois d’avril, un

« mois sans peur104 » :

[…] salgono insieme i mezzadri e i garzoni, i mietitori, i braccianti, i legnaioli,

i muratori di campagna, gli innestatori, gli scavatori di pozzi e di vigna, i cercatori d’acqua e i cacciatori.

[…] arrivent ensemble les métayers et les apprentis, les moissonneurs, les journaliers, les bûcherons, les maçons de campagne, les greffeurs,

ceux qui creusent puits et vignes, les sourciers et les chasseurs. […] (PP1980, p. 132)

Étant donné que la ville n’est pas « labouré[e], ensemencé[e], sarclé[e] / travaillé[e] d’heure en heure, du matin au soir » comme l’est leur campagne, la peur n’y élit pas demeure. Cependant, la ville (il faut lire Urbino comme symbole de toutes les « capitales de campagne ») est en passe de disparaître, car l’Ordre industriel et capitaliste des grands centres urbains l’a condamnée à l’oubli. Mais pour que le renouveau ait lieu, il faut qu’elle redevienne ce symbole de lumière d’autrefois :

[…] Il giorno nella città non ha paura, stretto tra le mura è sempre luminoso, e sempre vive di qualche cosa, ora per ora;

[…] Le jour en ville n’a pas peur,

serré entre les remparts, toujours lumineux, il vit toujours de quelque chose, d’heure en heure ;

103 Pour Pasolini, voir PASOLINI P.P., La religion de mon temps (1955-1960), in ID., Poésies 1943-1970, trad. de N. Castagne, R. de Ceccatty, J. Guidi et J.-C. Vegliante, Paris, Gallimard, 1990, p. 379. Voici en revanche l’extrait de la lettre que Volponi envoie à Pasolini le 19 décembre 1957, dans laquelle il dénonce le risque que les symboles se vident de sens : « [La société] ne se renouvelle qu’à condition que se renouvellent les consciences […]. Sinon on n’agitera que des drapeaux, et tu le sais bien », in (VOLPONI P,Scrivo a te…, op. cit., p. 64 : « [La società] può rinnovarsi solo se prima si sarà rinnovata nelle coscienze

[…]. Altrimenti si scioglieranno solo delle bandiere e tu bene lo sai »).

104 Voir L’Appennino contadino, in PP1980, p. 125-143 : « Un giorno, nel meriggio dell’annata, / la tortora parte e inizia la stagione / che rende i giovani pensierosi » ; « Febbraio è un ragazzo / che lotta contro il padre / che cerca nei campi la strada della fuga » ; « Chi fugge salva solo se stesso » ; « Questo [la bandiera rossa e la lettura del giornale] è l’unico modo di lottare / contro se stessi, contro la fatica ; / l’unica verità che nella vita / a loro si rivolge, fuori della natura […] nella speranza / che domani il sole nasca diverso » ; « In quelle sere ripiegano le rosse / bandiere della libertà d’un giorno : / congiungono le mani nel piegarle, / poi prendono il giornale come una reliquia » ; « […] la bandiera rossa sul balcone / della casa nuova sulla strada » ; « […] qui si riconosce e si elegge / come un popolo unito » ; « […] aprile, / mese senza paura ».

166 preso alla mattina presto nei mercati,

nella profonda luce che rispecchiano le facciate nobiliari o i porticati; guidato per le vie al suono dei selciati sino ai vertici gentili dei rioni;

alzato a mezzogiorno in fronte alle chiese su tutte le piazze, una sopra l’altra, di mattone o di pietra,

non è vinto dalla foglia incerta, non predato dalle fratte di spini, non morto nella morte degli insetti; non arato, seminato, sarchiato, faticato ora per ora,

dalla mattina alla sera.

Il giorno gira nella città il suo dolce sole, muove il ventaglio alto delle nubi, e chiama dal mare l’amorosa luce serale che si stende su tutte le terrazze, sui giardini pensili, sull’arcate dalle quali soffia l’Appennino. Si congiunge alla notte per le strade, quando vicino s’odono risate di ragazze verso i torrioni e voci da tutti i portoni.

affairé au petit matin dans les marchés, dans la lumière profonde que reflètent les façades nobles et les arcades ; guidé dans les rues au son des pavés jusqu’aux sommets nobles des quartiers ; levé à midi face aux églises

sur toutes les places, une sur l’autre, en brique ou en pierre,

il n’est pas vaincu par la feuille flottante, il n’est pas pillé par les fourrés de ronces, il n’est pas mort dans la mort des insectes ; pas labouré, ni ensemencé, ni sarclé, ni travaillé d’heure en heure, du matin au soir.

Le jour tourne dans la ville son doux soleil, il agite l’éventail haut des nuées,

il appelle de la mer l’amoureuse lumière du soir, qui s’étend sur toutes les terrasses,

sur les jardins suspendus, sur les arcades d’où soufflent les Apennins.

Il s’unit à la nuit le long des routes, lorsque, vers les donjons,

on entend des rires proches de filles et des voix sortir de toutes les portes. […] (PP1980, p. 132-133)

En tant que lumière, la ville doit redevenir source d’urbanité, de beauté et de travail ingénieux. Volponi évoque indirectement deux modèles : d’un côté, la « cité de l’homme » d’Adriano Olivetti, et, de l’autre, la capitale du Duc Frédéric de Montefeltro. Dans sa synthèse entre pensée politique chrétienne et socialisme, Olivetti œuvrait pour la réalisation