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PARTIE I. LA CHINE ET L’ALLEMAGNE, UNE HISTOIRE PARTAGÉE

CHAPITRE 2. LES CHINOIS DANS ET À TRAVERS LE MONDE

1. L’immigration en Allemagne au XX e

1.1. Retour sur une immigration marquée par les deux guerres mondiales

« L’Allemagne n’est pas un pays d’immigration » (Deutschland ist kein Einwanderungsland), ce slogan, qui a alimenté les discours officiels sur l’immigration jusque dans les années 1990 voire 2000181, est caduc aujourd’hui que l’Allemagne se profile comme le pays le plus favorable à l’accueil de centaines de milliers de réfugiés arrivant en grande majorité du Moyen-Orient, à cause des conflits qui y déciment les populations depuis plusieurs années, en Syrie, en Irak ou en Afghanistan entre autres. En 2015, ce sont près de 1,1 million de personnes qui sont arrivées en Allemagne182. Ces réfugiés, dont la chancelière Angela Merkel (1954-) a déclaré vouloir en accueillir au moins 800 000 (voire davantage)183, viendront à terme, en s’installant durablement en Allemagne, grossir les rangs des immigrés déjà présents sur le territoire184.

Le temps où l’on pouvait encore nier la réalité parce que celle-ci se dérobait aux regards ou parce qu’elle était censée être temporaire185

est donc définitivement révolu. L’Allemagne est devenue un pays diversifié ethniquement, dont la population d’origine étrangère représente environ 20% de la population totale (soit 16,4 millions de personnes sur 81,8 millions

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Nous nous reposons ici en grande partie sur l’article de Klaus J. Bade ainsi que sur celui de Rainer Münz et Ralf Ulrich. Cf. Bade, Klaus J., « From Emigration to Immigration: The German Experience in the Nineteenth and Twentieth Centuries », in: Central European History, 28/4, 01/01/1995, p. 507-535; Münz, Rainer et Ralf Ulrich, « Les migrations en Allemagne : 1945-1996 », in : Revue européenne de1s migrations internationales, 14/2, 1998, p. 173-210.

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Avant que la dénommée commission « Süssmuth » ou commission pour l’immigration chargée en 2000 de revoir les lois sur la nationalité et l’immigration qui étaient en vigueur en ce temps-là ne confirme le statut de pays d’immigration de l’Allemagne dans le rapport qu’elle remit au gouvernement fédéral. Cf. Leung, Maggi Wai-Han, Chinese Migration in Germany. Making Home in Transnational Space, op.cit., p. 10.

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Voir : Landeszentrale für politische Bildung, « Flüchtlinge in Deutschland », in : lpb-bw.de [en ligne], s.d. [consulté le 31/05/2016]. Disponibilité et accès: http://www.lpb-bw.de/fluechtlingsproblematik.html#c24499

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« Merkel legte sich nicht auf eine Prognose für die Zahl der Einwanderer in den nächsten Jahren fest. ‚Keiner von uns kann die Zukunft genau lesen‘, sagte sie. Wenn Menschen in Not seien, ‚dann müssen wir diese Aufgabe lösen‘. » Auteur inconnu, « Kraft geht von mehr als 800 000 Flüchtlingen 2015 aus », in: Die Zeit [en ligne], 09/09/2015 [consulté le 31/05/2016]. Disponibilité et accès: http://www.zeit.de/news/2015-09/08/migration-kraft-geht-von-meher-als-800-000-fluechtling-in-2015-aus-08120205

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Il ne faut en effet pas confondre « immigré » et « réfugié » ou « demandeur d’asile » qui sont des catégories impliquant des statuts légaux et des règlements juridiques différents.

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Nous faisons référence ici à la phase d’accueil des « travailleurs immigrés » (Gastarbeiter) en Allemagne de l’Ouest des années 1950 à 1973. Le caractère temporaire du séjour de ces travailleurs dépendait d’un modèle de rotation de la main-d’œuvre étrangère qui prévoyait leur retour dans leurs pays d’origine respectifs au bout d’un an. Cf. Münz, Rainer et Ralf Ulrich, « Les migrations en Allemagne : 1945-1996 », in : Revue européenne des migrations internationales, op.cit., p. 185.

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d’habitants). Dans ces 20% figurent aussi bien les personnes « issues de l’immigration » (mit

Migrationshintergrund186), parmi lesquelles sont comptabilisées les personnes de nationalité étrangère (die Nichtdeutschen), les personnes immigrées dites de deuxième et troisième génération187, ainsi que les réfugiés et demandeurs d’asile188.

Précisons que l’on entend ici par « immigrés », les personnes qui ont transféré leur lieu de vie et de résidence d’un pays défini par des frontières nationales à un autre. Leur séjour dans le pays qui les accueille est durable et non pas temporaire et passager comme peut l’être celui d’un touriste par exemple. Le cas des étudiants, censés ne rester eux aussi que pour une durée provisoire dans le pays d’accueil, est plus complexe. En effet, leur séjour se prolonge parfois sur de nombreuses années et leur retour dans le pays d’origine peut être différé indéfiniment jusqu’à ne plus être envisagé du tout, transformant ainsi de fait ces étudiants étrangers en immigrés installés dans le pays qui les a formés189. Pour cette raison, les étudiants seront considérés ici comme des « immigrés », un principe que l’administration allemande a d’ailleurs adopté elle aussi190

.

L’Allemagne a connu plusieurs types d’immigration tout au long du XXe

siècle, à commencer par une immigration d’origine économique dans les deux décennies précédant la Première Guerre mondiale. Au tournant du siècle, le développement industriel que connut l’Empire

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Voir la définition du terme « Person mit Migrationshintergrund », autrement dit « personne issue de l’immigration » spécifique au contexte allemand : « Beim Nachweis des Migrationsstatus wird zunächst zwischen Menschen mit und ohne Migrationshintergrund unterschieden. Eine Person hat dann einen Migrations-hintergrund, wenn sie selbst oder mindestens ein Elternteil nicht mit deutscher Staatsangehörigkeit in Deutschland geboren ist. Zu den Personen mit Migrationshintergrund gehört damit die ausländische Bevölkerung – unabhängig davon, ob sie im Inland oder im Ausland geboren wurde – sowie alle Zugewanderten unabhängig von ihrer Nationalität. Daneben zählen zu den Personen mit Migrationshintergrund auch die in Deutschland geborenen eingebürgerten Personen sowie eine Reihe von in Deutschland mit deutscher Staatsangehörigkeit geborene Personen, bei denen sich der Migrationshintergrund aus den migrationsrelevanten Eigenschaften der Eltern ableitet. Zu den letzteren gehören die deutschen Kinder von Spätaussiedlern und Eingebürgerten und zwar auch dann, wenn nur ein Elternteil diese Bedingungen erfüllt. Außerdem gehören zu dieser Gruppe seit 2000 auch die deutschen Kinder ausländischer Eltern, die die Bedingungen für das Optionsmodell erfüllen, das heißt die mit einer deutschen und einer ausländischen Staatsangehörigkeit in Deutschland geboren wurden. », in: « Glossar », destatis.de [en ligne], (consulté le 23/05/2016). Disponibilité et accès : https://www.destatis.de/DE/ZahlenFakten/GesellschaftStaat/Bevoelkerung/MigrationIntegration/Glossar/ Migrationshintergrund.html;jsessionid=8AFBAC164402F43D3B4F2236513A5D8E.cae3?view=getColorboxEnt ry

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Il s’agit là d’enfants dont au moins un parent est issu de l’immigration.

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Les immigrés illégaux ne pouvant, par définition, pas être comptabilisés de manière précise et faisant l’objet d’une catégorie à part.

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De 1985 à 2004 les trois-quarts des étudiants chinois partis à l’étranger dans cette période (ils étaient 815 000), ont fini par s’établir durablement dans leur pays d’accueil. Cf. Ma Mung, Emmanuel, « La nouvelle géographie de la diaspora chinoise », in : Accueillir, 249/250, 2009, p. 34.

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Cf. Weyrauch, Thomas, « Chinesische Migranten in Deutschland. Analyse und Bewertung aus rechtspolitischer Sicht », in: Groeling-Che, Hui-wen (von) ; Dagmar Yü-Dembski (dir.), Migration und Integration der Auslandschinesen in Deutschland, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2005, p. 95.

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allemand entraîna un besoin de main-d’œuvre qui fut comblé par des Polonais191 et des Italiens, si bien qu’en 1913, près de 1,2 millions de travailleurs migrants (ausländische

Wanderarbeiter) se trouvaient dans l’Empire.

Dans la République de Weimar, les travailleurs allemands bénéficiaient d’une priorité absolue sur les travailleurs étrangers. Un système qui reposait sur la nécessité d’une « autorisation préalable » (Genehmigungspflicht) à l’emploi de personnes étrangères réduisit fortement l’immigration en Allemagne, ce qui resta le cas au moins jusqu’en 1938 en raison d’une politique restrictive menée par le « Troisième Reich ».

Durant la Seconde Guerre mondiale, la main-d’œuvre étrangère fut remplacée par des millions de déportés et de prisonniers de guerre qui furent employés dans les camps par certaines entreprises d’État et privées (dont l’actuelle DB ou Krupp192

), dans des conditions ressortissant de l’esclavage le plus vil.

Dans les années qui suivirent immédiatement 1945, ce sont tout d’abord environ 12 millions « de réfugiés et d’expulsés des régions orientales du Reich allemand ainsi que de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Hongrie et de Yougoslavie »193 (des Aussiedler et des Vertriebene ; en RDA on les appelait des Umsiedler) qui émigrèrent en RFA et en RDA (en Autriche également pour certains). Si les migrations de ces personnes d’origine allemande venues de l’Est avaient été forcées à la fin et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elles furent ensuite le résultat de décisions individuelles et se trouvèrent régulées par des accords bilatéraux entre l’Allemagne et les pays concernés. Les restrictions apportées à plusieurs reprises dans les années qui suivirent à cette immigration d’« origine allemande » (dont la fixation d’un quota annuel d’entrée en 1992) limitèrent ensuite de plus en plus le nombre d’arrivées. Si les Aussiedler, parce qu’Allemands de souche, étaient naturalisés dès leur arrivée en Allemagne, cela n’a plus été le cas pour ceux nés en dehors du territoire après décembre 1992.

La grande vague d’immigration qui affecta l’Allemagne à partir des années 1950 fut une conséquence directe de la partition du pays en deux États distincts, aux systèmes politiques

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Ils étaient originaires du centre de la Pologne qui faisait partie de la Russie en ce temps. Par la suite, l’Allemagne réduisit l’immigration polonaise sur son territoire par le biais de réglementations du marché du travail très contraignantes à leur égard. Voir : Bade, Klaus J., « From Emigration to Immigration: The German Experience in the Nineteenth and Twentieth Centuries », op.cit., p. 516-517.

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Lire à ce propos la pièce intitulée Die Ermittlung (1964-65) de Peter Weiss dans laquelle le dramaturge dénonce la collaboration de grandes entreprises allemandes avec le régime des camps dans l’Allemagne nazie.

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radicalement opposés. Le nombre d’Allemands de l’Est qui quittèrent la RDA pour se réfugier en RFA se compta en millions jusqu’à la construction du mur de Berlin en 1961194. Si l’immigration fut réduite entre 1961 et 1989, elle reprit de manière soutenue après la chute du Mur et finit par se stabiliser, alors que l’Allemagne réunifiée devait faire face au problème de l’intégration des anciens Allemands de l’Est dans la République fédérale.

L’Allemagne de l’Est et l’Allemagne de l’Ouest, dont les régimes et les allégeances politiques furent différents durant la Guerre Froide, n’ont pas connu le même développement. Tandis que la reconstruction de la RFA, sous le signe du capitalisme et de l’ouverture à l’Ouest, mobilisa non seulement le peuple allemand mais aussi et surtout une population immigrée venant principalement des pays du pourtour méditerranéen et du Maghreb, la RDA, qui se mit également à manquer de travailleurs, se tourna quant à elle vers les pays socialistes.

1.2. Le recrutement de « travailleurs invités » en Allemagne de l’Ouest et son