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PARTIE I. LA CHINE ET L’ALLEMAGNE, UNE HISTOIRE PARTAGÉE

CHAPITRE 3. DE LA FORCE DES IMAGES ET DES IMAGINAIRES

1. La Chine et les Chinois, une histoire des représentations

1.3. Le mythe du « Péril jaune »

Un exemple de division entre l’Occident et l’Asie, et partant de là entre l’Europe et la Chine, a été dans ce contexte l’opposition entre la « civilisation » et la « barbarie » d’une part, et la Chrétienté et le Bouddhisme d’autre part, qui s’est cristallisée autour du mythe du « Péril jaune » sur lequel nous allons revenir à présent.

1.3. Le mythe du « Péril jaune »

La crainte occidentale d’un danger survenant de la « race jaune » qui devint populaire sous le nom de « Péril jaune », est apparue à la charnière des XIXe et XXe siècles417. C’est l’empereur allemand Guillaume II qui en fut le vecteur quand il fit réaliser la lithographie allégorique intitulée « Völker Europas, wahrt eure heiligsten Güter » par Hermann Knackfuß en 1895. Dans ce tableau, un Bouddha immobile et mystérieux, posté sur un dragon fait de nuages noirs et menaçants qui survolent une ville en flammes, située symboliquement de l’autre côté d’un fleuve qui pourrait être le Rhin, représente le « Péril jaune » (die gelbe Gefahr). Ce dernier s’approche dangereusement des nations européennes et de la Chrétienté, symbolisées par les figures allégoriques nationales, l’archange Michel et une grande Croix flottant dans le Ciel418. Guillaume II avait commandé cette lithographie suite à la Première guerre sino-japonaise (1894-1895) lors de laquelle le Japon avait dévoilé ses « inquiétantes » ambitions impérialistes. Les tensions qui s’étaient accumulées entre les puissances asiatiques et les puissances étrangères lors de ce conflit avaient parues à l’empereur allemand représenter une menace pour les nations du Vieux Continent présentes en Asie.

L’intuition de Guillaume II fut renforcée une première fois en 1897 quand survint l’assassinat de deux prêtres allemands dans le Shandong, puis une seconde fois en 1900 lorsque le diplomate Clemens von Ketteler fut tué à Pékin. La révolte des Boxers contre les ingérences

415

Ibid., p. 346.

416

Ibid., p. 231. Précisons que l’« Orient » dont il est question chez E. Said comprend l’Asie mais ne se limite pas à elle puisqu’il comprend aussi l’Afrique, le Moyen et Proche-Orient, l’Inde, etc. Dans son ouvrage, E. Said accorde une attention particulière à l’« Orient islamique ».

417

Voir le chapitre que Régis Poulet consacre au « mythe du Péril jaune » dans : L’Orient : généalogie d’une illusion, op.cit., p. 42-71.

418

Voir aussi l’article dans lequel Gregory Blue réfléchit à la possible influence des théories raciales du comte français Joseph-Arthur de Gobineau (1816-1882) sur la vision du « Péril jaune » de Guillaume II : Blue, Gregory, « Gobineau on China : Race Theory, the Yellow Peril and the Critique of Modernity », in: Cartier, Michel (dir.), La Chine entre amour et haine: actes du VIIIe colloque de sinologie de Chantilly, p. 353-401.

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occidentales en Chine, qui déclencha une guerre lors de laquelle la France, la Russie, l’Angleterre, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche-Hongrie et le Japon se coalisèrent contre l’Empire du Milieu, contribua également à conforter Guillaume II dans son idée.

Afin de justifier l’intervention militaire allemande en Chine que Guillaume II ordonna en juillet 1900 ; afin de galvaniser les troupes allemandes et de souder le peuple allemand mais aussi les nations européennes autour d’un objectif commun de représailles face à un ennemi censé être « impitoyable » et méritant de ce fait un sort cruel, l’empereur ne se contenta pas de faire diffuser le tableau de Knackfuß. Guillaume II fit retentir le mythe du « Péril jaune » à travers ses paroles également, dont les plus célèbres figurent dans le discours sur les Huns qu’il prononça le 27 juillet 1900. Dans ce discours, Guillaume II établit une continuité entre le « Péril jaune » qui émanait d’après lui de la Chine en 1900, le mythe du barbare et la figure d’Attila, roi des Huns419. Le souvenir d’un Attila remontant le Danube et le Rhin avait déjà inspiré Bismarck, mort en 1898, qui avait affirmé « qu’un jour ‘les Jaunes’ abreuveraient leurs chameaux dans le Rhin »420. Ces métaphores, ces références traumatiques421, devaient servir à rendre la menace exercée « par la race jaune contre les Blancs » concrète aux yeux des Occidentaux, qu’ils se trouvassent en Europe ou en Asie. L’idéologie du « Péril jaune » avait en effet un double emploi : elle devait répondre à une problématique de politique extérieure422 mais aussi à des problèmes de politique intérieure allemande d’une part, et européenne d’autre part.

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« Wie vor tausend Jahren die Hunnen unter ihrem König Etzel sich einen Namen gemacht, der sie noch jetzt in Überlieferung und Märchen gewaltig erscheinen lässt, so möge der Name Deutscher in China auf 1000 Jahre durch euch in einer Weise bestätigt werden, daß es niemals wieder ein Chinese wagt, einen Deutschen auch nur scheel anzusehen. » Cité d’après : Obst, Michael A., ‘Einer nur ist Herr im Reiche’. Kaiser Wilhelm II. als politischer Redner, op.cit., p. 224.

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Poulet, Régis, « Le Péril jaune », in : La revue des ressources [en ligne], 07/11/2005, augmenté le 06/07/2010 [consulté le 30/09/2015]. Disponibilité et accès : http://www.larevuedesressources.org/le-peril-jaune,499.html

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Le souvenir de la figure de Gengis Khan, de son vaste empire et la réactivation de la peur du Mongol en faisaient partie également. Voir : Decornoy, Jacques, Péril jaune, peur blanche, Paris, Grasset, 1970, p. 11-44.

422

Pour Jacques Decornoy, le mythe du « Péril jaune » était une invention des Occidentaux ayant servi à les fédérer contre un ennemi imaginaire et à justifier leur entreprise de conquête coloniale en Asie. Voir : Ibid.

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1.3.1. Le « Péril jaune » militaire et démographique

Au sein de cette idéologie qui « [dessinait] un Occident submergé par la race jaune »423, le « Péril jaune » prit d’abord une forme militaire. C’est ce que nous avons vu à travers la guerre des Boxers et la crainte d’un anéantissement des « Blancs » par les « Jaunes ». Suite à la victoire des Japonais contre les Russes qui mit fin à la Guerre russo-japonaise (1904-1905) en septembre 1905 et montra qu’une nation asiatique pouvait dominer une nation occidentale, le Japon incarna pour un certain temps à lui seul le « Péril jaune ». Ce que l’on redoutait dans les premières décennies du XXe siècle était une coalition du « monde jaune » sous la direction du Japon. Le « Péril jaune » prenait un sens général, désignant les Asiatiques au sens large, que l’on regroupait sous des traits communs, selon le stéréotype voulant que « tous les Asiatiques se ressemblent » et que l’on retrouvait en outre dans les métaphores entomologiques du « pullulement », de la « nuée de sauterelles », de l’« essaim d’insectes » et de la « fourmilière » asiatique. Ces images sont devenues des lieux communs qui parcourent tout le XX e siècle424.

Les images entomologiques, en mettant l’accent sur l’immense population d’Asie – il était question de 400 millions de Chinois – étaient le reflet de la peur d’une invasion chinoise du monde. La croyance populaire voulait que les Chinois fussent voués, grâce à leur supériorité numérique, à prendre le contrôle de la planète un jour. Jacques Decornoy cite ainsi l’exemple d’une « vision terrifiante de l’avenir » qui circulait à la fin du XIXe

siècle au sein d’une partie de la population californienne. Celle-ci voyait d’un mauvais œil l’immigration chinoise aux États-Unis :

Si l’immigration continue encore pendant vingt ans comme pendant les deux dernières années, les Chinois seront en mesure de nous dire de nous en aller. Nous sommes en 1876. En 1976 si cette immigration continue, les Chinois célèbreront l’anniversaire de leur indépendance et de leur séparation des États-Unis. L’histoire le dira : dans vingt ans de cette date, on ne trouvera plus un seul Blanc ici […]. La question chinoise aura probablement acquis autant d’importance (que la question nègre) dans l’espace de cent ans ; ils

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Delobel, Juliette, « Le spectacle de l’Ailleurs (4) : l’imaginaire extrême-oriental dans le répertoire et sur les scènes théâtrales françaises (1900-1931) », in : La revue des ressources [en ligne], 04/04/2013, [consulté le 01/08/2016]. Disponibilité et accès : http://www.larevuedesressources.org/le-spectacle-de-l-ailleurs-4-l-imaginaire-extreme-oriental-dans-le-repertoire-et-sur-les,2529.html

424

Poulet, Régis, « Le Péril jaune », op.cit. Voir aussi : « […] on ne parle en général que ‘des Chinois’ considérés en bloc, ou bien de la ‘foule chinoise’, grouillante, innombrable, indistincte. Les métaphores animales sont alors de plus en plus courantes : ‘fourmis’ est la plus commune, mais on trouve aussi ‘macaques jaunes’ et ‘singes’ […]. » in : Détrie, Muriel, « L’image du Chinois dans la littérature occidentale au XIXe

siècle », op.cit., p. 416.

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pourraient alors (les Chinois) avoir le contrôle entier de la côte du Pacifique si on leur permet d’immigrer sans restriction425.

Les métaphores entomologiques exprimaient donc d’une part la méfiance des Occidentaux (américains et canadiens d’abord) vis-à-vis d’une immigration chinoise devenant plus importante et qui modifiait progressivement le profil démographique de certains territoires. Les images du « fourmillement » et du « grouillement » informes de millions d’êtres identiques les uns aux autres révèlent d’autre part aussi le lien qui existait à l’époque entre le « Péril jaune » et la crainte d’une civilisation de masse qui, avec l’industrialisation, la division du travail, la formation d’un prolétariat de plus en plus imposant et l’urbanisation, se fit jour en Europe au tournant du siècle. L’instauration de la démocratie qui avait déstabilisé les élites de par son « nivellement égalitaire » dans un pays comme la France, et la révolution bolchévique de 1917 en Russie, suscitèrent en Occident la peur de l’accroissement du pouvoir des masses. La représentation fantasmée dont ces dernières faisaient l’objet s’inspira de ces « foules d’Asie » qu’on voyait proliférer à l’infini et déferler sur le monde, emportant les « nations blanches » sur leur passage426.

Par ailleurs, l’affrontement militaire entre les deux camps fut mis en scène comme un combat entre la « civilisation » et la « barbarie », sous-tendu par un imaginaire qui déniait aux Chinois et aux Asiatiques au sens large toute humanité. Muriel Détrie rappelle qu’à l’époque, « l’évocation des fameux ‘supplices chinois’ était un passage obligé de tous les récits traitant de la Chine » et que « le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle (1869), à son article

‘Chine’ [allait] jusqu’à accuser [les Chinois] d’anthropophagie »427

. Dans son roman Der

blaurote Methusalem, publié en 1892, Karl May fait de la cruauté des Chinois une leurs

caractéristiques principales428. Les romans à succès du romancier britannique Sax Rohmer abondent également dans ce sens à travers le personnage du Docteur Fu Manchu créé en 1913429. Ce dernier est l’incarnation du « Péril jaune » tel qu’on se l’imaginait : rusé,

425

Decornoy, Jacques, Péril jaune, peur blanche, op.cit., p. 14.

426

Ibid. Le « Péril jaune » militaire se double ici d’un « Péril jaune » d’ordre démographique.

427

Détrie, Muriel, « L’image du Chinois dans la littérature occidentale au XIXe siècle », op.cit., p. 415.

428

Koppen, Erwin, « Karl May und China », in: Karl May Gesellschaft [en ligne], 29/09/1985 [consulté le 10/08/2016]. Disponibilité et accès: http://www.karl-may-gesellschaft.de/kmg/seklit/jbkmg/1986/69.htm#46

429

« [The] construction of exoticised Chinese ‘difference’ would be easily redeployed in the more viciously negative and racist ‘Yellow Peril’ discourse produced in, and promoted by, middlebrow fiction. In 1913 Sax Rohmer published the first in a series of novels focused on Dr Fu-Manchu, ‘the most evil genius of the Orient’. […] Fu-Manchu is the undercover agent of a plot conceived by an ‘Eastern Power’, China, to overrun the Western world. […] Fu-Manchu is a consciously constructed composite of the stereotypical traits generally reproduced in anti-Chinese racist discourse. The character has animal instincts, revealed in his ‘feline’ appearance and ‘cat-green’ eyes. His eyes are described as ‘magnetic’, the instrument of mysterious, unnatural, ancient powers, for Fu-Manchu is ‘adept in certain obscure arts and sciences which no university of today can

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insaisissable, à l’allure féline, aux longs yeux bridés, c’est « un être terrible, à la face de Satan »430. L’Asiatique était donc une créature dépourvue de qualités humaines, voire même un être « infra- » ou « sous-humain », sadique et sanguinaire. Cela le rendait à la fois redoutable et détestable aux yeux de l’homme occidental, qui pouvait ainsi s’arroger à lui seul le privilège d’une humanité le rendant supérieur par essence aux autres « races ». Deux attitudes répondaient à cette vision des choses : la méfiance et l’agressivité. L’homme blanc devant se défier des « Jaunes », il était légitime de les « éliminer » ou tout du moins de les « soumettre » avant qu’ils ne viennent mettre en danger l’existence même des nations occidentales et de « leurs valeurs »431.

1.3.2. Le « Péril jaune » culturel

En faisant figurer Bouddha sur le tableau de Knackfuß, Guillaume II laissa entendre en effet que le « Péril jaune » était non seulement un danger militaire mais aussi un danger religieux ou spirituel et à plus forte raison « culturel ». Il s’agissait pour l’empereur de se proclamer le défenseur de la Chrétienté contre un peuple qu’on s’imaginait vivre dans les « ténèbres ». Celles-ci sont présentes dans la peinture sous forme de la sombre tempête qui se profile à l’horizon et qui semble être provoquée par un Bouddha aussi insondable qu’effrayant. Dans la lithographie de Knackfuß, la figure de Bouddha, dans un halo de flammes désordonnées, fait face à une Croix lumineuse, dont le rayonnement doux et puissant à la fois s’oppose à l’incendie meurtrier et au chaos suscités par les hordes païennes. La symbolique judéo-chrétienne qui informe le tableau s’incarne par ailleurs dans le dragon que dessinent les nuages au milieu desquels trône Bouddha. Le dragon, symbole positif en Chine, est craint dans l’imaginaire judéo-chrétien où il est associé à l’Apocalypse. Il y incarne l’« antique

teach’. Fu-Manchu is not simplu ungodly, with ‘a face like Satan’, he has been put on earth by ‘powers of evil’. ‘Oriental’ cunning is a trait that the discourse of anti-Chinese racism always ascribes to Chinese people, and the ‘perverted genius’ of Dr Fu-Manchu is invested with ‘the cruel cunning of an entire race’. », in: Lee, Gregory B., Troubadours, Trumpeters, Troubled Makers. Lyricism, Nationalism, and Hybridity in China and Its Others, Durham, Duke University Press, 1996, p. 206-208.

430

Koppen, Erwin, « Karl May und China », op.cit.

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Voir aussi ce que dit Régine Thiriez de l’évolution des images de la Chine transmises par le biais de la photographie « qui tend à glisser d’une curiosité bienveillante au dénigrement » entre 1844 et 1900 : « [Les scènes] toujours créées en studio, […] sont présentées comme réelles et illustrant une Chine authentique. Les aspects de la vie chinoise décriés en Occident sont de plus en plus mis en valeur. Les trois sujets : opium, torture ou exécution et pieds bandés se retrouvent désormais en groupe dans la plupart des albums, devenant en quelque sorte le trio indispensable à l’illustration de la Chine. […] Enfin, l’illustration de la violence physique faite par les Chinois aux Occidentaux rencontre un succès prolongé. […] Au cours de la même période, la mise en valeur du progrès civilisateur apporté par les Occidentaux devient plus insistante et envahissante. » Thiriez, Régine, « Image de la Chine et de Pékin transmise par la photographie aux Occidentaux (1844-1900) », in : Cartier, Michel (dir.), La Chine entre amour et haine: actes du VIIIe colloque de sinologie de Chantilly, op.cit., p. 447-448.

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serpent », le « Diable et Satan » que saint Michel et ses anges (représentés dans le tableau par les nations européennes) combattent432. Ce que l’œuvre de Knackfuß met en scène est donc aussi l’annonce d’un combat entre le « Bien » et le « Mal », un affrontement de type manichéen, dans lequel le camp européen se voyait investi non seulement d’un devoir de résistance pour sa propre survie mais aussi d’une mission de sauvegarde et de défense des valeurs chrétiennes d’« humanité » contre un déferlement de forces obscures, un « Péril jaune » diabolique.

En poursuivant l’analyse du tableau, l’on remarque en outre que les riches costumes, les belles coiffes, les accessoires élégants et les armes étincelantes des figures allégoriques européennes et de l’archange Michel contrastent avec le drapé informe qui vêt Bouddha. L’affrontement entre l’Europe et l’Asie prend donc les traits ici d’un face à face entre la Chrétienté et la paganisme mais aussi entre une civilisation « éclairée » et un peuple de « primitifs », dont la férocité bestiale devait être d’abord matée puis domptée par une Europe dont la solidarité se fondait – idéalement – sur le partage de la « vraie foi » et une commune supériorité d’ordre militaire et culturelle.

La mise en scène du Chinois « barbare » permettait en effet aux nations occidentales de se poser en puissances « civilisatrices », dont la mission et le but « ostensiblement avoués » étaient d’exporter le progrès et les avancées occidentales seules capables de donner aux Chinois « si dépravés qu’ils soient » la possibilité d’opérer un changement en profondeur, « de changer [leur] âme, ou plutôt d’en acquérir une puisque […] le Chinois en est singulièrement dépourvu »433. Muriel Détrie souligne dans son article sur « L’image du Chinois dans la littérature occidentale au XIXe siècle », que « l’entreprise de colonisation se [trouvait] ainsi justifiée, magnifiée même : elle [devenait] une œuvre de salut dont les Chinois [étaient] tous bénéficiaires.434 »

En tant que résultat de constructions fantasmées, de représentations catastrophistes et d’exagérations pouvant aller jusqu’au fantasque, le mythe du « Péril jaune » nous en apprend finalement davantage sur les préoccupations et objectifs que les Européens ont pu avoir au tournant du siècle que sur les Chinois et la Chine. Or le mythe du « Péril jaune » n’a pas cessé

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« C’était un grand dragon rouge feu. Il avait sept têtes et dix cornes […]. Il y eut alors un combat dans le ciel : Michaël et ses anges combattirent contre le dragon […]. Il fut précipité, le grand dragon, l’antique serpent, celui qu’on nomme Diable et Satan, le séducteur du monde entier […]. » Bible (la), « L’Apocalypse (12,3) », in : La Traduction œcuménique de la Bible (TOB), Paris, Éditions du Cerf, 2010, p. 2019.

433

Détrie, Muriel, « L’image du Chinois dans la littérature occidentale au XIXe siècle », op.cit., p. 420-421.

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d’être réactualisé et relu de diverses façons depuis les années 1900, dépassant le domaine militaire qui l’a fait naître. La Chine et les Chinois ont continué à être réifiés et instrumentalisés par l’Occident tout au long du XXe siècle jusqu’à notre époque actuelle. Récemment, le « Péril jaune » a refait surface dans les médias et les discours de nos politiques, fascinés autant que décontenancés par une Chine devenue la première puissance économique du monde. Dans la première moitié du XXe siècle toutefois, ce n’est pas encore le « Péril jaune » économique qui préoccupe l’Occident mais bien un « Péril jaune » politique : celui du communisme.

1.3.3. Le « Péril jaune » politique

La crainte du soulèvement des masses prolétaires en Europe exprimée par les défenseurs d’une vision capitaliste et libérale de la société d’une part, mais aussi par les milieux d’extrême-droite d’autre part, avait suivi une première fois la Révolution bolchévique de 1917. La peur d’une révolte populaire et de « la convergence entre l’anarchie des ‘barbares intérieurs’ (les prolétaires) et celle des ‘barbares extérieurs’ (les ‘Jaunes’) » 435 se fit plus aiguë encore après la victoire des communistes en Chine en 1949 ; la partition de la Corée et la création de la République populaire démocratique de Corée soutenue par la RPC et l’URSS en 1953 ; la défaite française qui mit fin à la guerre d’Indochine en 1954436 ; l’émiettement puis la fin des empires coloniaux, et le début de la Guerre Froide. Le « Péril jaune » devenait celui des masses asiatiques dont Mao Zedong se voyait déjà le chef de file.

In den westlichen Industrienationen wurde die Angst vor dem Kommunismus und seinem vermeintlichen Streben nach „Weltrevolution“ gefördert; sie wurde wissenschaftlich abgebildet durch die Doktrin des Totalitarismus. Die Volksrepublik China, die 1949 mit der Sowjetunion einen Freundschaftsvertrag geschlossen hatte und zu der die meisten westlichen Länder keine diplomatischen Beziehungen unterhielten, galt in gleicher Weise wie die Sowjetunion als etwas Bedrohliches. […] In