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PARTIE I. LA CHINE ET L’ALLEMAGNE, UNE HISTOIRE PARTAGÉE

CHAPITRE 1. LA CHINE DANS LE MONDE, ENTRE FERMETURE ET OUVERTURE

2.3. La République Populaire chinoise jusqu’aux années 1970-1980 130

À sa création, la République Populaire de Chine ne fut reconnue que par la RDA socialiste qui entretint de ce fait des relations diplomatiques avec la Chine dès 1949. Dès le départ, la RDA et la Chine se rapprochèrent à l’aide de coopérations de type culturel. En 1951, une première semaine en l’honneur de l’amitié sino-allemande fut organisée à Berlin-Est. À la mort de Staline en 1953, les relations bilatérales entre les deux États communistes se renforcèrent quelque peu. Des visites d’officiels et de personnalités chinoises (Zhou Enlai131, Zhu De132, Chen Yi133, Guo Moruo134) eurent lieu dès 1954. En 1955, une délégation gouvernementale

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Nous avons puisé les données nécessaires à la rédaction de cette partie dans l’ouvrage suivant : Leutner, Mechthild (dir.), Deutschland und China 1937-1949. Politik-Militär-Wirtschaft-Kultur. Eine Quellensammlung, Berlin, Akademie Verlag, 1998, p. 39-51; 435-441.

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Albers, Martin, « Business with Beijing, détente with Moscow: West-Germany’s China policy in a global context, 1969-1982 », in: Cold War history, 14/2, 2014, p. 238.

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Voir : Mechthild, Leutner (dir.), Deutschland und China 1949-1995, Berlin, Akademie Verlag, 1995.

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Fidèle de Mao Zedong, premier ministre de la RPC de 1949 à sa mort, Zhou Enlai (1898-1976) a également été ministre des affaires étrangères de la RPC de 1949 à 1985.

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Cadre dirigeant du Parti communiste chinois (PCC), Zhu De (1886-1976) est considéré comme le fondateur de l’Armée rouge chinoise (qui a préfiguré l’Armée de libération).

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Commandant militaire de haut rang, maréchal, premier maire communiste de Shanghai de 1949 à 1958, puis ministre des affaires étrangères de la RPC en 1958, Chen Yi (1901-1972) fut un cadre important du PCC.

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sous la direction du Premier Ministre Otto Grotewohl se déplaça en Chine pour y signer un accord de collaboration et reconfirmer l’amitié liant les deux peuples. De nombreux échanges étaient organisés en vue de promouvoir le rapprochement idéologique entre les peuples allemand et chinois : les idées de Mao Zedong étaient discutées par les chercheurs est-allemands, des informations relatives à la RPC figuraient régulièrement dans les journaux de l’époque, une politique culturelle favorable aux productions littéraires, filmiques, picturales chinoises fut engagée et la RDA envoya aussi bien des techniciens que des scientifiques, des sinologues et des étudiants allemands en Chine. Ces contacts significatifs perdirent cependant en intensité lorsque la RDA se plaça du côté de l’Union soviétique au moment du conflit sino-russe dans les années 1960135.

Les contacts entre la RPC et la RFA, qui ne partageaient pas la même idéologie politique et appartenaient à des systèmes opposés, furent de fait bien plus ténus. Les relations diplomatiques entre les deux États furent tout d’abord inexistantes, notamment à cause de la doctrine Hallstein (de 1955 à la fin des années 1960) qui interdisait à la RFA d’entretenir des contacts avec des États proches de la RDA. Dans les années 1960, quand le gouvernement communiste chinois entama sa rupture avec l’Union soviétique, la RFA ne souhaitant pas mettre en péril sa Ostpolitik vis-à-vis de l’URSS, elle continua à rester discrète dans ses tentatives de rapprochement avec Pékin. Cela n’empêcha toutefois pas la mise en place de relations économiques privées entre la RFA et la RPC, ni même l’accueil de journalistes et d’intellectuels d’Allemagne de l’Ouest en Chine à partir de 1955136

.

La position officielle de la RFA vis-à-vis de la RPC changea au moment de l’ouverture de cette dernière dans le cadre de la politique de réforme décidée par Deng Xiaoping en 1978137. Déjà en 1972, le 11 octobre précisément, la RFA avait repris ses relations diplomatiques avec la Chine, suite à la visite du président américain Richard Nixon (1913-1994) à Pékin la même année. Il était important en effet que la RFA suive le mouvement d’ouverture général à l’égard de la RPC (qui obtint, rappelons-le, le siège de la République de Chine au Conseil de Sécurité des Nations Unies en 1971) pour ne pas être isolée sur la scène politique

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Guo Moruo (1892-1978) fut un homme politique, écrivain et savant qui exerça notamment les fonctions d’adjoint au Premier ministre, de président du Conseil de la culture et de l’éducation avant d’occuper un siège au Comité central de PCC en 1969.

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Pour tout ce passage, voir : Gransow, Bettina ; Frank Suffa-Friedel, « ‘Auf die Reise in ein anderes Land nimmt man sein eigenes mit’. Reisebschreibungen aus der DDR in den 50er Jahren », op.cit., p. 79-80.

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Leutner, Mechthild ; Dagmar Yü-Dembski, « ‘Die gelbe Gefahr hat rote Hände‘ ‚Rotchina‘ 1949 bis 1972 », op.cit., p. 89.

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internationale. Dès lors, Bonn privilégia ostensiblement sa collaboration avec la RPC en abandonnant ses relations138 avec la République de Chine exilée sur l’île de Taïwan139.

Malgré la reprise de relations diplomatiques entre la RPC et la RFA, les initiatives dans les domaines économiques et culturels durent attendre la fin de la Révolution culturelle (1966-1976) et le recul de la méfiance chinoise vis-à-vis des produits « capitalistes » avant de prendre peu à peu de l’ampleur. En attendant la période de réformes, le gouvernement ouest-allemand adopta une politique des petits pas qui ne tarda pas à porter ses fruits : en 1973 l’Academia Sinica et la Société Max Planck signèrent un accord de collaboration qui permit à un premier groupe d’étudiants allemands de participer à un programme d’échange avec Pékin dès la même année ; en 1975, une foire commerciale fut organisée par la Chine à Cologne, qui fut suivie à trois mois d’intervalle par une exposition industrielle ouest-allemande à Pékin. Enfin, le chancelier Helmut Schmidt (1918-2015) se rendit en Chine en octobre 1975140. Deux ans après la mort de Mao Zedong, Deng Xiaoping instaura une politique de modernisation et d’ouverture. L’abandon progressif d’un système d’économie planifiée à dominante agricole pour un système hybride souscrivant à l’économie marchande tout en préservant un régime politique communiste entraîna un intérêt croissant pour les productions et savoir-faire allemands :

Key aspects of this reform process were the progressive reintroduction of market principles in agriculture and industry, the rebuilding of education and research institutions, a policy to send students and scholars abroad to help China catch up with the West, the import of modern technology, and the eventual opening of China to foreign trade and investment. This development, mainly during the time of Deng Xiaoping’s leadership from 1978 until 1992, started slowly, saw several changes of policy, and only took full shape in the early 1980s. But crucial steps were already taken in the preceding decade. These steps would form the basis for the transformation of China from a backward agrarian command economy into the rapidly growing workbench of the world it became in the 1990s and 2000s. From the spring of 1978 onwards precursors of this could also be observed in the West, including the FRG [Federal Republic of Germany]141.

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Celles-ci étaient restées informelles, c’est-à-dire non-officielles.

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Voir : Ritter, Gerhard A., « Die Volksrepublik China und die beiden deutschen Staaten 1989/90 », in: Historische Zeitschrift, 301, 2015, p. 94-95.

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Albers, Martin, « Business with Beijing, détente with Moscow: West-Germany’s China policy in a global context, 1969-1982 », op.cit., p. 242.

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Dans ce climat propice aux échanges, les nouvelles opportunités commerciales offertes par le marché chinois attirèrent bon nombre de convoitises. La compétition des États européens de l’Ouest allait devenir de plus en plus véhémente au cours de la décennie suivante.

La RFA constitua dès les années 1980 le partenaire commercial européen principal de la Chine, étant par ailleurs l’économie la plus puissante d’Europe142

. Les échanges dans le domaine industriel proliférèrent rapidement, donnant lieu à des contrats valant des millions voire des milliards de Deutsche Mark. Dès 1979, la RFA envoya régulièrement des économistes réputés tels que Wolfram Engels ou Armin Gutowski assurer des conférences devant un parterre de spécialistes et de cadres de haut rang, dans le but d’aider les Chinois dans leurs efforts de modernisation et d’orienter ceux-ci dans une direction pro-occidentale et pro-marchande143.

Dans les années 1990, la RPC se profila comme le partenaire commercial le plus important de l’Allemagne en Asie après le Japon. À l’entrée de la RPC dans l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001, l’Allemagne devint le plus gros investisseur européen en Chine (tout en restant encore loin derrière le Japon, Hong Kong, Taïwan et les États-Unis). Ainsi, les plus grandes entreprises allemandes sont depuis longtemps présentes sur le territoire et le marché chinois (parmi elles figurent Siemens, Daimler Chrysler, Volkswagen, Bayer, Thyssen Krupp, BASF).

Dans le domaine de l’aide au développement, la coopération sino-allemande remonte également aux années 1980.

China stieg zum größten Empfänger deutscher Entwicklungshilfe auf. […] Schwerpunkte der Entwicklungszusammenarbeit lagen in den neunziger Jahren auf den Gebieten des Umwelt- und Ressourcenschutzes, der Armutsbekämpfung, der Infrastrukturförderung, der beruflichen Bildung sowie der Privatwirtschaftsförderung. Zwischen 1985 und 2000 wurden Zusagen von deutscher Seite in Gesamthöhe von 2 Mrd. € für die finanzielle Zusammenarbeit und 1,1 Mrd. € für die technische Zusammenarbeit (einschließlich von politischen Stiftungen, kirchlichen Entwicklungshilfewerken etc. eingesetzten Mittel) gemacht. Sonderkreditzusagen von mehreren hundert Mio. € für U-Bahn-Bauvorhaben mit deutscher Beteiligung in Shanghai und Guangzhou weisen darauf hin,

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Ibid., p. 250 La RFA ménagea cependant encore jusqu’à la fin de la Guerre Froide ses relations avec l’URSS en pratiquant une politique diplomatique et économique extrêmement prudente avec la Chine.

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dass zumindest Teile der deutschen China-Entwicklungshilfe unmittelbar der Exportförderung [dienten]144.

Grâce à la politique d’ouverture menée par la Chine à partir de 1978, l’Allemagne et la Chine ont donc pu mettre en place tout un ensemble de coopérations et de collaborations économiques, commerciales et industrielles qui n’ont cessé de rapprocher les deux puissances (jusqu’en 1990 elles étaient trois, si l’on tient compte de la partition de l’Allemagne en deux). Les intérêts de la Chine étaient nombreux vis-à-vis d’un savoir-faire allemand dont elle a très vite perçu l’utilité en vue d’une modernisation qu’elle souhaitait rapide et poussée à l’extrême. La Chine, sortie de son isolement durant le « règne » de Mao Zedong, voulait à présent rattraper son retard et reconquérir une place de choix sur la scène internationale. Afin de parvenir à ses fins, la RPC a su conclure des contrats profitables à des moments opportuns d’une part et mener une politique diplomatique aussi habile qu’efficace d’autre part. Ainsi, quand dans les années 1970-80 la possibilité d’une réunification allemande commença à devenir envisageable, le gouvernement chinois déclara respecter la souveraineté du peuple allemand et son souhait de réunification145, qu’il reportait d’ailleurs sur la situation spécifiquement chinoise puisque Pékin considérait de son côté que Taïwan devait être à terme réintégrée à la RPC146.