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PARTIE I. LA CHINE ET L’ALLEMAGNE, UNE HISTOIRE PARTAGÉE

CHAPITRE 2. LES CHINOIS DANS ET À TRAVERS LE MONDE

1. L’immigration en Allemagne au XX e

1.4. L’immigration chinoise en Europe, un court récapitulatif 220

Pendant longtemps, les études sur l’immigration chinoise outre-mer se sont intéressées au phénomène tel qu’il a affecté l’Asie du Sud-Est, l’Amérique du Nord et l’Australie. Des études se concentrant sur l’immigration chinoise dans l’espace européen ont tardé à paraître221

, puis à trouver l’attention qu’elles méritaient car, comme le rappelle Frank N. Pieke, le traitement de l’immigration chinoise en Europe nécessite « bien plus qu’une note en bas de

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« 2013 jährt sich der Beginn der koreanischen Arbeitsmigration in Deutschland mittlerweile zum 50. Mal. […] Diese Feierlichkeiten wurden von der deutschen Öffentlichkeit kaum beachtet. Vergleicht man, mit welcher Aufmerksamkeit die 50-Jahrfeier der türkischen Migrationsgeschichte in Deutschland begangen wurde, wird die Nichtbeachtung umso deutlicher. » in: Lee, You Jae, « Glückauf die Kyopos – 50 Jahre koreanische Arbeitsmigration nach Deutschland », op.cit., p. 35

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L’adjectif « chinois » renverra toujours à la République Populaire de Chine (sauf en cas de spécification particulière).

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Nous nous appuyons ici sur : Pieke, Frank N., « Introduction », in: Benton, Gregor; Frank N. Pieke (dir.), The Chinese in Europe, op.cit., p. 1-17.

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« Besonders die chinesische Auswanderung nach Südostasien (Indonesien, Malaysia und Philippinen) sowie nach Amerika, speziell in die ‚Vereinigten Staaten von Amerika‘ (USA) und Kanada, ist wissenschaftlich verarbeitet worden. Im Vergleich dazu gab es relativ lange Zeit nur wenige Untersuchungen, die sich mit der chinesischen Emigration nach Europa befassten. », in: Gütinger, Erich, Die Geschichte der Chinesen in Deutschland. Ein Überblick über die ersten hundert Jahre seit 1822, Münster, Waxmann, 2004, p. 1.

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page ». Cette immigration peut être retracée jusqu’au XIXe siècle, où elle prit de l’importance quand les émigrés chinois devinrent indispensables aux colonialistes occidentaux en tant que main-d’œuvre portuaire et maritime222.

L’immigration chinoise (qui est en elle-même d’une grande diversité, sur laquelle nous reviendrons223), s’est déroulée en plusieurs étapes, qui sont liées à l’évolution historique en Europe d’un côté, en Chine224

et en Asie du Sud et du Sud-Est de l’autre. Ainsi l’on distingue plusieurs vagues migratoires chinoises en Europe : avant la Seconde Guerre mondiale, après la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1970-80, puis après 1989 et la fin de la Guerre Froide.

Durant le règne de la dynastie Ming (1368-1644) et une grande partie de celui de la dynastie des Qing (1644-1912), l’émigration depuis la Chine fut restreinte ou interdite. Elle fut même considérée comme un crime capital pendant un temps. Durant cette période, les Chinois d’« outre-mer » furent accusés d’abandonner les valeurs confucéennes, notamment celle de la piété filiale. Leur éloignement était également perçu comme une trahison vis-à-vis de l’Empire225. Ce n’est que durant les dernières décennies de l’empire des Qing que ceux-ci changèrent radicalement de politique, levant les restrictions imposées à l’émigration et cédant à la pression internationale de pays impérialistes comme la Grande-Bretagne, la France, mais aussi l’Allemagne. Dès lors, de nombreux Chinois furent engagés par des armateurs européens dans le cadre du coolie226 trade system ou « traite des coolies »227.

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Le trafic de coolies auquel prirent part les Britanniques surtout mais aussi les Allemands et les Français, leur permit de faire des profits immenses aux dépens de centaines de Chinois. Un exemple : 60% des coolies « importés » par Cuba et le Pérou pour y travailler dans les plantations de tabac et de coco en 1891-92 ne survécurent pas, la forte mortalité étant due au climat, aux maladies, et aux mauvais traitements. Les conditions de travail des coolies sur les bateaux étaient aussi déplorables que dangereuses également (« mörderische Bedingungen »). Cf. Ibid., p. 122-123 et p. 130.

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On ne peut pas parler d’une communauté chinoise homogène en Europe. Les immigrés d’origine chinoise viennent en général de différentes provinces, voire pays (Chine, Taïwan, Vietnam, Laos, Cambodge, Hong-Kong…), ils parlent des dialectes différents et n’ont pas tous les mêmes caractéristiques culturelles.

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Nous nous concentrerons ici de manière privilégiée sur l’immigration chinoise en provenance de la RPC (à partir de 1949) et laisserons de côté celle originaire de la République de Chine qui dépasserait le cadre de notre propos.

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À cette époque, le terme « yumin » qui signifie « vagabond non-productif » désignait les Chinois ayant quitté leur patrie pour s’établir, travailler et donc possiblement s’enrichir ailleurs. Voir à ce propos : Lum, Kathryn, « The Diaspora Target : Ethnic Dividend as National Development Strategy in China », in: Kreienbrink, Alex (dir.), Fachkräftemigration aus Asien nach Deutschland und Europa, op.cit., p. 191.

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Le mot coolie dérive du chinois « kǔ lì / 苦力 » et signifie « travail rude, pénible ».

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« La migration des coolies […] a conduit des ouvriers agricoles sans emploi ou des paysans ruinés par une profonde crise économique et politique (guerres de l’opium, révolte des Taiping, déliquescence de la dynastie Qing) à émigrer vers les colonies européennes du Sus-est asiatique, les îles sucrières des Caraïbes, du Pacifique et de l’Océan indien, l’Amérique du nord pour la construction des chemins de fer, l’Amérique latine des plantations et du guano ou encore les mines d’Afrique du sud. Ces prolétaires partaient plusieurs années avec un

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Avant la Seconde Guerre mondiale, la grande majorité de Chinois présents sur le sol européen étaient des marins cantonais stationnés dans les grandes villes portuaires comme Londres, Liverpool, Rotterdam, Amsterdam, Hambourg, Anvers ou Barcelone. Les compagnies maritimes européennes les employaient d’une part parce que cela leur revenait moins cher (elles n’avaient pas de frais d’assurance à payer), d’autre part afin de saboter la marge de manœuvre des syndicats de marins européens (la main-d’œuvre chinoise n’étant pas soumise aux mêmes règlementations juridiques que les marins locaux, ils représentaient une soupape importante en cas de grève). Des Chinois furent recrutés comme mercenaires ou main-d’œuvre corvéable pendant la Première Guerre mondiale également. Certains s’enrôlèrent par la suite dans des groupes communistes, au sein des Brigades Internationales en Espagne par exemple, où ils luttèrent contre Franco228.

Dans les années 1920-30, les (jeunes) Chinois qui se rendirent en Europe (en France surtout et en Allemagne mais dans une moindre mesure) profitèrent de programmes appelés « travail et études » (work-study) qui leur donnaient la possibilité de travailler pendant six mois pour gagner de l’argent avant de suivre des cours pendant un semestre dans des universités locales. Certaines personnalités politiques historiques comme Zhou Enlai ou Deng Xiaoping ont fait partie de ces travailleurs-étudiants229.

Durant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des Chinois qui se trouvaient alors en Europe quittèrent le continent. Les premiers à le faire furent les communistes.

Après 1949, tandis que les Chinois de Hong-Kong (qui a été un protectorat britannique jusqu’en 1997, date de sa rétrocession à la RPC) découvrirent le potentiel du secteur européen de la restauration, la fermeture de la République Populaire après sa fondation en octobre de la

contrat de travail misérable qui, en principe, garantissait leur retour en Chine. Mais nombreux furent ceux qui demeurèrent sur place une fois leur contrat terminé, par choix mais plus souvent parce que leur employeur ne payait pas leur voyage de retour. ». Voir aussi : « Le coolie trade se développe au XIXe siècle en relation avec deux phénomènes : l’abolition progressive de l’esclavage et la colonisation européenne. La fin de l’esclavage prive les entreprises esclavagistes de leur main-d’œuvre servile. Parallèlement, la colonisation et plus généralement le développement de l’économie coloniale, accroissent les besoins en main-d’œuvre pour le travail dans les plantations, les mines et la construction d’infrastructures de transport. Le recrutement local en suffit plus à couvrir ces besoins et le recours à la main-d’œuvre captive n’est plus possible. Les entreprises et les puissances coloniales mettent en place un système de recrutement, en Chine et en Inde, de travailleurs sous contrat d’une durée de plusieurs années. », in : Ma Mung, Emmanuel ; Léopold Mu Si Yan ; Bruno Saura (dir.), Diasporas chinoises et créolisations, Paris, Éditions You Feng, 2016, p. 8.

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Voir à ce propos les indications de Han Sen sur son père dans : Han Sen, Ein Chinese mit dem Kontrabass, Claassen, München, 2001, p. 43-44 ; 50 ; 55-56.

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Yu-Sion, Live, « The Chinese Community in France: Immigration, Economic Activity, Cultural Organization and Representations », in: Benton, Gregor; Frank N. Pieke (dir.), The Chinese in Europe, op.cit., p. 98-99.

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même année entrava durablement l’émigration chinoise vers l’Europe230

. Il est révélateur à ce propos de rappeler que la Révolution culturelle, lors de laquelle le pays s’isola encore davantage du monde, est dorénavant souvent désignée en Chine comme « la décennie perdue ».

Après la défaite en 1975 des régimes soutenus par les États-Unis au Vietnam, au Laos et au Cambodge, des dizaines de milliers de Chinois d’Indochine se réfugièrent en France, d’autres arrivèrent aux Pays-Bas en 1947 après l’indépendance de l’Indonésie (1945) et un certain nombre de Chinois originaires d’anciennes colonies telles que Singapour, la Malaisie, le Mozambique ou le Surinam trouvèrent à s’employer dans le secteur gastronomique florissant des années 1960-70 en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne.

Après l’instauration de la politique d’ouverture de la Chine à la fin des années 1970, puis la chute de l’ex-URSS et la fin de la Guerre Froide, l’immigration chinoise a rapidement augmenté231 en direction de l’Amérique du Nord, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande mais aussi de l’Europe de l’Ouest, avant de continuer de manière soutenue. Depuis la modernisation, la croissance économique de la Chine et la multiplication des accords de coopération entre la RPC et un grand nombre de pays occidentaux, la mobilité de la population chinoise n’a fait que se renforcer232, si bien que l’on assiste à la naissance de nouvelles formes migratoires, caractérisées par une flexibilité accrue :

Die Entscheidung zwischen Rückkehr in die Heimat, wie sie in der Redewendung „luoye guigen“ (Fallende Blätter kehren zu den Wurzeln zurück) zum Ausdruck kommt, oder in der neuen Heimat zu bleiben, „luoye shengen“ (Auf den Boden fallen und Wurzeln schlagen), wird zunehmend durch die Möglichkeit ersetzt, sowohl nach China zurückzukehren als auch mit einer dauerhaften Aufenthaltsgenehmigung im Aufenthaltsland zu leben233.

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« Während in der ‘Republik China’ Auslandschinesen – zumindest offiziell – stets Respekt und Unterstützung erfuhren, reichten in der ‚Volksrepublik China‘ die Einstellungen von großer Abneigung, vor allem während der ‚Großen proletarischen Kulturrevolution‘, bis hin zu Versuchen, die Überseechinesen als ‚Fünfte Kolonne‘ für die internationale Revolution zu instrumentalisieren. », in: Gütinger, Erich, Die Geschichte der Chinesen in Deutschland. Ein Überblick über die ersten hundert Jahre seit 1822, op.cit., p. 17.

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On a appelé cette vague migratoire, la « fièvre du départ » : chūguó rè, 出国热.

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L’on peut interpréter cela comme une extension étrangère, c’est-à-dire externe au territoire chinois, du phénomène domestique chinois appelé xià hǎi, 下海 (littéralement « sauter à la mer ») qui consistait à quitter la fonction publique pour tenter sa chance dans le secteur privé, ce qui impliquait souvent la nécessité de déménager dans le sud du pays, dans les régions côtières, où l’ouverture de ZES et de zones franches permettait à toutes sortes d’entreprises privées (au fonctionnement capitaliste) de fleurir.

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Groeling, Hui-wen (von); Dagmar Yü-Dembski, « Huaqiao – ein Forschungsüberblick », in: Groeling-Che, Hui-wen (von) ; Dagmar Yü-Dembski (dir.), Migration und Integration der Auslandschinesen in Deutschland, op.cit., p. 5.

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Le titre de l’article présenté par Anne Chen Shao en 2004 à la 5e conférence de l’ISSCO (International Society for the Study of Chinese Overseas), « Moving In, Moving Up, and Moving Around » 234 souligne également la fluidité, l’adaptabilité et souplesse de l’immigration chinoise contemporaine tout en suggérant des réussites sociales importantes (« moving up »).

L’émigration chinoise est en réalité un phénomène complexe, basé à la fois sur des traditions migratoires bien implantées dans différentes provinces de Chine235 (au Zhejiang, dans le Fujian et le Guangdong entre autres) et sur des regroupements dans les pays d’accueil selon les origines régionales236, les domaines d’occupation, les caractéristiques culturelles et linguistiques susceptibles de fonder des communautés par ailleurs de plus en plus versatiles. Rappelons que si le mandarin – le pǔtōnghuà, 普通话 – a été imposé sous Mao Zedong comme langue officielle et commune afin d’unifier le pays, les dialectes237

jouent un rôle très important dans un pays où il n’était pas rare, avant la diffusion du pǔtōnghuà dans les écoles et les médias, que les Chinois ne se comprennent pas entre eux238.

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Cf. Shao, Anne Chen, Moving In, Moving Up, and Moving Around. Patterns of Subjectivity as Expressed in Chinese American Literature, Paper of the 5th Conference of ISSCO, 2004. Cité d’après : Ibid., p. 2.

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Frank N. Pieke signale l’existence de communautés chinoises qui reposent sur une « culture de l’émigration ». Elles envoient de fait systématiquement les membres les plus jeunes et les plus aptes à réussir à l’étranger, qui entretiennent ensuite leur communauté d’origine depuis leur pays d’accueil. Cf. Pieke, Frank N., « Introduction », op.cit., p. 10-11.

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« Es ist in eine alte Sitte, dass sich Chinesen in der Heimat ebenso wie im Ausland eng mit Männern und Frauen, die aus der gleichen Provinz stammen, zusammenschließen. Für dieses Verhalten gibt es im Chinesischen sogar einen speziellen Begriff: ‚Tongxiang‘. […] – dieser Begriff bezeichnet eine Person, die aus demselben Dorf kommt, demselben Kreis oder derselben Provinz. Die affektive Besetzung des Begriffs ist viel stärker als die der deutschen Entsprechung ‚Landsmann‘ bzw. ‚Landsfrau‘. In China sind bis heute z.T. ganze Berufssparten nach landmannschaftlicher Zugehörigkeit organisiert. In Berlin kursierte z.B. im Jahre 2000 die Bezeichnung ‚Zhejiang-Bande‘. Mit diesem Ausdruck wurde der Zusammenhalt der Zhejianger untereinander und ihre Abgrenzung gegenüber anderen, z.B. Hong Kongern, charakterisiert. », in: Gütinger, Erich, Die Geschichte der Chinesen in Deutschland. Ein Überblick über die ersten hundert Jahre seit 1822, op.cit., p. 61.

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On compte 7 dialectes principaux: « le dialecte du nord (parlé dans le nord, le nord-est et le nord-ouest ainsi qu’à Pékin), le dialecte de Wu (parlé à Shanghai et dans les provinces du Jiangsu et du Zhejiang), le dialecte du Hunan (parlé principalement dans la province du Hunan), le dialecte du Jiangxi (parlé principalement dans la province du Jiangxi et dans le sud-est de la province du Hubei), le dialecte des Hakkas (parlé principalement dans le nord-ouest de la province du Guangdong, dans l’ouest et le nord de la province du Fujian et dans le sud de la province du Jiangxi), le dialecte du Fujian (parlé dans les régions Chaozhou et Shantou due la province du Guangdong, à Hainan et Taïwan) et le dialecte du Guangdong ou cantonais (parlé dans le centre et l’ouest de la province du Guangdong, dans l’est et le sud de la province du Guangxi, à Hong-Kong et Macao). », in : Auteur inconnu, « La langue chinoise », in : Institut Confucius [en ligne], s.d. [consulté le 03/06/2016]. Disponibilité et accès : http://www.confucius-clermont-auvergne.org/la-langue-chinoise

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« ‘Au-delà de soixante kilomètres, on ne se comprend plus’, dit un vieux proverbe toujours d’actualité. […] Un grand nombre de Chinois connaissent quatre, cinq, voire parfois six ou sept langues, certaines parlées seulement dans un district, d’autres dans différents endroits d’une même province. Le gouvernement fait de gros efforts pour promouvoir une langue nationale commune à l’ensemble du pays, le putong hua, basé sur le dialecte de Pékin et la langue des fonctionnaires, raison pour laquelle nous l’appelons le ‘mandarin’. », in : Javary, Cyrille ; Alain Wang, La Chine nouvelle. ‘Être riche et glorieux’, op.cit., p. 26.

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Aujourd’hui, les parcours des uns et des autres semblent devenir plus individuels, les solidarités villageoises et familiales se délitant doucement avec la transformation du réseau urbain et social dans une Chine où l’individualisme gagne en importance et influe sur des devenirs personnels volontiers ouverts au changement et aux opportunités (qu’elles se présentent en Chine ou ailleurs)239.

Les solidarités se nouent et se défont au gré des circonstances et des contextes socio-économiques et culturels dans lesquels les migrants se retrouvent, les profils des immigrés d’origine chinoise se trouvant en Europe étant variables. Il faut veiller à faire la différence en ce sens entre les étudiants (liúxuéshēng,留学生), dont un nombre croissant retourne en Chine au bout de quelques années d’études240

; les immigrés étant venus travailler en Europe et qui finissent par s’y installer durablement (alors que ce n’était pas leur projet de départ) ; ceux ayant suivi une chaîne migratoire241 ; ceux arrivés là par le biais du regroupement familial ; ceux qui s’y installent pour y démarrer ou y développer leur(s) affaire(s)242

et en accroître le rayonnement international (quitte à multiplier les déplacements entre « ici » et « là-bas ») ; les immigrés illégaux, les sans-papiers, les réfugiés, demandeurs d’asile et exilés ; et enfin les immigrés dits de deuxième et troisième génération dont les liens avec leur pays d’origine sont parfois distendus, voire uniquement entretenus dans le cercle familial (ces jeunes ne savent souvent ni lire ni écrire le chinois, bien qu’ils continuent cependant pour la plupart à le parler chez eux et entre amis). Chacun de ces profils implique des positionnements, des possibilités et des enjeux distincts qui structurent la nature du rapport à la fois au pays d’accueil et au pays d’origine. Cela se répercute à son tour sur la qualité de l’« intégration » dans le pays d’accueil, sur l’horizon d’appartenance (figuré) au pays d’origine et sur la représentation ou (l’auto)-définition identitaire, qui suivent un processus mémoriel et présentiel, en acte et en pensée. Nous verrons infra que les auteures de notre corpus prennent part à ces processus de

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Cf. Le chapitre sur « une société de masse en voie d’individualisation » Ibid., p. 50-58.

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Ce d’autant plus depuis que le boom économique de la Chine a rendu ce pays bien plus attractif que la vieille Europe affaiblie par des crises économiques chroniques depuis 2008 et que la RPC a mis en place un certain nombre de mesures visant à encourager le retour de ses ressortissants (diplômés). Cf. Lum, Kathryn, « The Diaspora Target : Ethnic Dividend as National Development Strategy in China », in: Kreienbrink, Alex (dir.), Fachkräftemigration aus Asien nach Deutschland und Europa, op.cit., p. 188-204.

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Les chaînes migratoires organisent un enchaînement des départs, où les migrants rejoignent des membres de leur famille ou des communautés en Europe auxquelles ils sont reliés en amont, depuis la Chine.

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Les domaines dans lesquels les xīnyímín, 新移民, les « nouveaux migrants » se distinguent changent: à côté des traditionnels milieux de la restauration et du commerce, ils sont de plus en plus nombreux à travailler dans le domaine pharmaceutique, de l’électronique, de l’informatique, du tourisme, du consulting et des services. Cf. Yü-Dembski, Dagmar, « Huaqiao – Geschichte der Auslandschinesen in Deutschland », in: Groeling-Che, Hui-wen (von) ; Dagmar Yü-Dembski (dir.), Migration und Integration der Auslandschinesen in Deutschland, op.cit., p. 50.

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questionnement et d’orientation, qu’elles initient et renouvellent régulièrement à travers leur écriture.

Notons que ces réflexions se font dans le cas de LUO Lingyuan, LIN Jun et XU Pei à partir d’un contexte allemand, dans lequel elles sont immergées depuis vingt à bientôt trente ans. Afin de pouvoir mieux cerner à la fois les similitudes et les particularités de leurs parcours – de leur émigration de Chine et de leur immigration en Allemagne – et de les situer par rapport à ceux des Chinois qui se sont établis dans la République fédérale tout au long du XXe siècle, un point sur l’histoire de l’immigration chinoise en Allemagne nous semble incontournable.