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PARTIE I. LA CHINE ET L’ALLEMAGNE, UNE HISTOIRE PARTAGÉE

CHAPITRE 3. DE LA FORCE DES IMAGES ET DES IMAGINAIRES

1. La Chine et les Chinois, une histoire des représentations

1.1. De la mécanique stéréotypique

Ruth Florack nos rappelle dans Bekannte Fremde. Zu Herkunft und Funktion nationaler

Stereotype in der Literatur que le terme « stéréotype » a été employé pour la première fois par

Walter Lippmann dans son livre intitulé Public Opinion, paru en 1922. Dans cet ouvrage, Walter Lippmann définit le stéréotype comme étant une « image » (pictures in our heads) ou encore une « fiction », un produit de l’imagination et non pas de la raison, une manière d’appréhender le monde et les autres qui les réduit à un ensemble de caractéristiques fondées sur des a priori culturels380. À partir de là, il est important de souligner que l’image stéréotypée, en tant que croyance partagée à propos de personnes ou de groupes de personnes (et, au-delà, de nations) est à la fois subjective et collective. Ruth Amossy et Anne Herschberg-Pierrot ajoutent que le stéréotype « serait principalement le fait d’un apprentissage social ». À travers l’appropriation et l’adhésion individuelles à une « image partagée, une opinion entérinée », l’individu peut « proclamer indirectement son allégeance au groupe dont il désire faire partie ». Il « exprime en quelque sorte symboliquement son identification à la collectivité en assumant ses modèles stéréotypés », ce qui lui permet l’intégration dans le groupe et l’autorise « implicitement, à revendiquer la reconnaissance de son appartenance à ce groupe »381. Ainsi, le stéréotype joue-t-il un rôle important dans les interactions humaines, fondées sur une tension permanente entre mouvements d’opposition et de rapprochement, de rejet ou au contraire d’acceptation. En tant que facteur polarisant, le stéréotype révèle et cimente le même, par le détour de la mise à distance, de la délimitation et de la schématisation de l’Autre.

Les images stéréotypées réduisent en effet l’objet de la représentation, comme nous venons de l’évoquer, à quelques traits clairement identifiables, rigides et stables. Notons que l’adjectif « stéréotype » renvoie originellement aux mots grecs stereos signifiant « dur, ferme » et

tipos qui signifie « forme, modèle ». Au début du XIXe siècle, la « stéréotypie » en français, était un vocable répandu dans le milieu de l’imprimerie où il désignait la reproduction d’œuvres faite à l’aide de presses typographiques aux caractères d’écriture fixes. Dès le milieu du XIXe siècle, le mot a commencé à être utilisé au sens figuré pour désigner des modèles préconçus ou une façon de penser schématique. Au-delà, le terme renvoyait à des phénomènes répétitifs, monotones, restant inchangés, mais aussi vides de sens, rebattus. La

380

Florack, Ruth, Bekannte Fremde. Zu Herkunft und Funktion nationaler Stereotype in der Literatur, op.cit., p. 34.

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nuance péjorative qui s’attache depuis ce temps-là à la notion est nette, les stéréotypes étant considérés comme des raccourcis, des jugements biaisés d’une réalité dont la complexité les dépasse nécessairement. Précisons avant d’aller plus loin que le stéréotype n’est en revanche pas en soi péjoratif. Un même stéréotype peut en effet servir deux usages opposés, de valorisation ou au contraire de dénigrement, selon « le sens dans lequel on le tourne » et le cadre qu’on lui donne, qui dépendra systématiquement d’un contexte idéologique particulier.

Den im gruppenspezifischen Stereotyp prädizierten Eigenschaften wird das Merkmal „gut“ oder „schlecht“ […] in Übereinstimmung mit der in der Kulturformation geltenden Werthierarchie quasi automatisch zugeordnet, wobei ein Wert in Abhängigkeit vom Kontext durchaus mal „gut“, mal „schlecht“ sein kann382

.

L’adaptabilité des stéréotypes, à défaut de leur plasticité, est un de leurs attributs fondamentaux, qui explique leur longévité et leur ubiquité, c’est-à-dire leur capacité à transcender le temps et les frontières. Il n’est pas rare en effet qu’un même stéréotype soit réactualisé à des époques différentes, au sein de cultures diverses. À chaque époque et dans chaque culture, le stéréotype est alors mis en scène de manière singulière, les stéréotypes pouvant être réappropriés à la fois par les objets mêmes de la représentation – qui les reprennent à leur compte et/ou les remanient à leur convenance, notamment pour les déconstruire – et par des locuteurs autres, qui emploient l’image stéréotypée afin de se distinguer de son objet et de se reconnaître ou de s’assurer par ricochet d’eux-mêmes dans cette opposition383. Dans la représentation de l’Autre, l’image que l’on se fait de soi-même est en effet toujours contenue aussi. Elle se manifeste de manière sous-jacente et se révèle comme étant son négatif.

La fabrication d’images de l’Autre sert en ce sens à la fois à l’auto-affirmation et à l’autodéfinition de soi. Par la mise en avant de la différence de l’Autre, il nous est possible de tracer les contours de notre être propre. Or ce processus implique souvent une logique de stigmatisation, l’image positive de soi résultant du dénigrement de l’Autre. Dans les études postcoloniales, ce procédé a été appelé l’othering384

. La première à avoir théorisé ce concept de manière systématique a été Gayatri Chakravorty Spivak dans son essai The Rani of Sirmur :

382

Magdalena Telus, « Einige kulturelle Funktionen gruppenspezifischer Stereotype », in: Zeitschrift für Empirische Textforschung, 1, 1994, p. 37. Cité d’après : Florack, Ruth, Tiefsinnige Deutsche, frivole Franzosen : nationale Stereotype in deutscher und französischer Literatur, op.cit., p. 16.

383

Signalons les termes « auto-stéréotype » et « hétéro-stéréotype ».

384

La construction d’un Orient inférieur et exotique par un Occident souhaitant le dominer qu’Edward Said a décrite dans L’Orientalisme est une forme d’othering.

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An Essay in reading the Archives385. Elle y fonde sa réflexion sur l’analyse d’un corpus

d’archives de l’administration coloniale britannique en Inde qui montre la construction et la manipulation par la Compagnie des Indes orientales et l’administration coloniale d’un objet, l’Inde et par extension la culture hindoue, comme figure de l’« Autre », à des fins de domination et d’expansion. Spivak énumère trois dimensions de l’othering pratiqué par les colons britanniques : la première consistait à opposer et à imposer aux colonisés l’image – le « spectacle » – de la puissance britannique pour en faire des subordonnés et leur rappeler leur infériorité, leur nécessaire soumission ; la deuxième revenait à construire les « autres » indiens en tant qu’êtres humainement et moralement inférieurs, et la troisième à leur refuser l’accès au savoir et à la technologie, qui devaient rester le privilège du colon et de ce fait la marque distinctive de sa supériorité indiscutable et avérée.

To sum up, the theory of identity formation inherent in the concept of othering assumes that subordinate people are offered, and at the same time relegated to, subject positions as others in discourse. In these processes, it is the centre that has the power to describe, and the other is constructed as inferior386.

Dietrich Hart explique que dans un contexte d’opposition culturelle et idéologique tel qu’il a caractérisé l’époque impérialiste, le stéréotype culturel, à mettre en lien ici avec le préjugé qui émet un jugement de valeur négatif sur l’objet qu’il représente, opérait une séparation

(Grenzziehung) consistant à affirmer l’infériorité et la médiocrité de l’Autre, en l’occurrence

du colonisé, du « Jaune » ou encore du « barbare », pour mieux révéler, de manière contrastive, la grandeur du même, c’est-à-dire du colon, de l’« homme civilisé », du « Blanc »387. Pour exister, pour s’assurer de leur puissance et l’afficher non seulement face aux peuples dominés mais aussi et surtout face à leurs propres populations et aux autres pays colonisateurs, les puissances coloniales occidentales ont tout bonnement nié l’humanité des peuples colonisés. Ces derniers incarnaient l’Autre par excellence, non-humain388

, dépourvu

385

Spivak, Gayatri Chakravorty, « The Rani of Sirmur: An Essay in reading the Archives », in: History and Theory, 24/3, 1985, p. 247-272.

386

Jensen, Sune Qvotrup, « Othering, identity formation and agency », in: Qualitative studies, 2/2, 2011, p. 65.

387

Harth, Dietrich, « Über die Bestimmung kultureller Vorurteile, Stereotypen und images in fiktionalen Texten », in: Kubin, Wolfgang (dir.), Mein Bild in deinem Auge. Exotismus und Moderne: Deutschland - China im 20. Jahrhundert, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1995, p. 17-41.

388

Souvenons-nous de la question qui consistait à se demander « si les Noirs avaient une âme » et des nombreuses métaphores animalières et entomologiques (dans le cas des Chinois comparés à des « fourmis ») qui ont joué un rôle important dans la rhétorique colonialiste et les clichés racistes, empreints de social-darwinisme, qui avaient cours au XIXe et au début du XXe siècle.

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de droits, de besoins, de sentiments et d’intelligence – autant de caractéristiques et de qualités humaines qui devenaient en retour l’apanage exclusif des Occidentaux389.

C’est donc en toute logique que l’emploi de stéréotypes culturels connut une accélération et une importance croissante à partir du XIXe siècle, au moment de l’émergence d’une presse aux tirages de masse, d’un taux d’alphabétisation allant augmentant et de la « nationalisation » de consciences collectives et individuelles avec la création et l’affirmation des États-nation. La nation, devenue l’unique horizon d’identification individuelle légitime et réclamant une attitude loyale de la part de ses citoyens, devint le terreau d’une polarisation de stéréotypes du soi ou du même et de l’étranger ou de l’Autre, la relation entre ces deux pôles étant envisagée de manière ciblée comme une relation d’opposition, un antagonisme naturel (naturgegeben)390. Les nations, conçues comme des « individus collectifs », étaient en effet

supposées avoir chacune leur « caractère national » propre391, qu’on pourra rapprocher aujourd’hui du terme de « mentalité » ou encore d’« habitus », selon lequel chaque nation, chaque peuple national pense, ressent et investit le monde à sa manière et diffère en cela radicalement des autres.

Nous voyons dès lors en quoi ces conceptions, la terminologie qui les accompagne et les stéréotypes nationaux et culturels qu’elles ont produits, essentialisent les objets auxquels ils s’attachent. L’objet du stéréotype, décrit comme un donné naturel, déshistorisé, est dépouillé de sa « souveraineté », de la possibilité d’intervenir, de parler en son nom, ainsi que de sa matérialité, de son histoire, de sa réalité concrète, existentielle. Par son action et sa fonction, le stéréotype empêche une réciprocité véritable (au sens d’échange) de s’installer entre le producteur ou plutôt celui qui professe le stéréotype et l’objet de celui-ci, les deux pôles du discours étant privés de toute possibilité de dialogue puisque la parole de l’un réduit l’autre au silence, les deux parties étant simultanément renvoyées à des images d’elles-mêmes qui les enchaînent et les enferment dans le cercle réduit du regard approbateur ou désapprobateur de l’Autre et du même.

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« […] dès son origine grecque, le terme porte des connotations péjoratives : le barbare, c’est celui qui bégaie, ne sait articuler correctement le grec, et, par voie de conséquence, qui ne sait penser correctement dans une civilisation qui repose sur le logos, mot qui signifie à la fois ‘parole’ et ’raison’. […] Les emplois de barbarus accentuent la valeur dépréciative héritée des Grecs, le barbare, la plupart du temps ennemi, est soit menaçant, assimilé à la bête sauvage dont il a la sauvagerie (feritas) soit incompétent dans tous les domaines, militaire, religieux, social, etc. caractérisé par sa nullité (vanitas). » Ndiaye, Émilia, « ‘Tristes tropiques’ : du si loin, si près ou les sentes étymologiques de l’exotisme », in : Aubès, Françoise ; Françoise Morcillo (dir.), Si loin si près : l’exotisme aujourd’hui, Paris, Klincksieck, 2011, p. 18-19.

390

Florack, Ruth, Bekannte Fremde. Zu Herkunft und Funktion nationaler Stereotype in der Literatur, op.cit., p. 57.

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Ce que le stéréotype favorise en revanche, c’est la communication au sein du groupe qui le partage. En tant qu’outil de catégorisation et de généralisation qui réduit drastiquement la complexité du monde par le biais de la « promotion de l’attribut au rang d’essence », le stéréotype « appelle le consensus socioculturel le plus large possible »392 et offre des repères qui permettent à un groupe de se positionner et de s’orienter par rapport à un autre et dans le monde, tout en s’assurant de son statut et en se rassurant sur ce dernier.

Par conséquent, l’on comprendra aisément l’utilité du stéréotype dans la rhétorique politique et à plus forte raison dans le discours de propagande où il permet de scinder les camps de manière à la fois rapide et précise, et de mettre en place des oppositions binaires favorables à la dynamique politicienne qui se nourrit de confrontations et de conflits. La quête de pouvoir et de puissance politique, économique et sociale étant basée sur l’instauration de relations de domination, « la promulgation d’images de supériorité-infériorité dans une société est l’un des moyens qu’utilise le groupe dominant pour maintenir sa position »393

.

Afin d’illustrer ce point, nous allons revenir sur l’histoire des relations de domination qui ont affecté le rapport de l’Occident, et plus précisément de l’Allemagne, à la Chine au XIXe

siècle, jusqu’au début du XXe

siècle. À l’époque, l’idéologie impérialiste de nations colonisatrices telles que le Royaume-Uni, la France, le Portugal et l’Allemagne394 s’accompagna d’une rhétorique « orientaliste » fondée sur la construction stéréotypée d’un Orient395 désigné d’une part comme « dangereux » et « menaçant », et d’autre part comme « inférieur » et « arriéré ».

392

Daniel-Henri Pageaux, « Une perspective d’étude en littérature comparée : l’imagerie culturelle », in : Synthesis VIII, 1981, p. 173. Cité d‘après : Florack, Ruth, Tiefsinnige Deutsche, frivole Franzosen : nationale Stereotype in deutscher und französischer Literatur, op.cit., p. 22.

393

Amossy, Ruth ; Anne Herschberg-Pierrot, Stéréotypes et clichés, op.cit., p. 41.

394

Même s’il faut préciser que l’Allemagne fut « colonisatrice » dans une moindre mesure. Son histoire coloniale, de petite ampleur et d’une importance minime dans l’évolution du pays et de son rapport au monde n’est en effet pas comparable à celle de pays tels que la France et la Grande-Bretagne, dont l’histoire coloniale longue, complexe et difficile affecte toujours le devenir actuel.

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1.2. « De la sinophilie à la sinophobie »396

Les Occidentaux ont adopté des attitudes ambivalentes et variables à l’égard de la Chine depuis le début de leur histoire commune, dont l’incipit a été rédigé par Marco Polo au XIIIe

siècle397. Si les premiers missionnaires jésuites, arrivés en Chine aux XVIe et XVIIe siècles, approchèrent ce « nouveau monde » avec fascination et admiration, allant jusqu’à l’idéaliser parfois398, offrant en tout cas « un tableau de la Chine extrêmement large et varié, mais aussi un tableau précis et globalement compréhensif, sinon toujours objectif »399, les récits sur l’« Empire du Milieu »400

se dégradèrent sensiblement à partir de la deuxième moitié du XVIIIe et au XIXe siècle, donnant lieu à ce qu’on a appelé le passage « de la sinophilie à la sinophobie ».

Deux facteurs seraient à l’origine de la multiplication des déclarations péjoratives sur la Chine ayant eu lieu à cette époque. Muriel Détrie nomme le premier ci-dessous :

À la différence des missionnaires qui doivent leur connaissance approfondie de la Chine au fait qu’ils ont longtemps séjourné dans le pays, appris les langues locales et pénétré les plus hautes sphères de la société chinoise, les marchands ou ambassadeurs, qui n’ont fait que de courts séjours, n’ont côtoyé que les plus basses couches sociales, auraient laissé des récits moins

396

Le titre de cette sous-partie est tiré de : Étiemble, René, L’Europe chinoise. De la sinophilie à la sinophobie, Paris, Gallimard, 1989.

397

Jonathan Spence rappelle que le Livre des merveilles, aussi connu sous le titre Le Devisement du monde, que Marco Polo aurait dicté à un homme du nom de Rusticello en 1298, est « la première œuvre occidentale à traiter principalement de la Chine ; […] la première à avoir été écrite par un Occidental qui prétend examiner la Chine de l’intérieur », in : Spence, Jonathan D., La Chine imaginaire: la Chine vue par les Occidentaux de Marco Polo à nos jours, Montréal, Presses de l’université de Montréal, 2000, p. 17.

398

« Sous l’impulsion du Père Ricci qui, le premier, parvient, à la cour de Pékin, les jésuites mènent aux XVIIe et XVIIIe siècles une politique d’accommodation qui les conduit à adopter les mœurs et les coutumes du pays, à apprendre la langue de ses habitants, à essayer de comprendre leur esprit et leur philosophie, bref, à aller vers l’autre et à le respecter. Soucieux de persuader l’Europe de leurs chances d’évangéliser la Chine, ils répandirent une image avantageuse des Chinois, faisant d’eux un peuple naturellement vertueux et policé, développé et prospère, gouverné par un souverain sage entouré de conseillers philosophes […]. » Détrie, Muriel, « L’image du Chinois dans la littérature occidentale au XIXe siècle », in : Cartier, Michel (dir.), La Chine entre amour et haine: actes du VIIIe colloque de sinologie de Chantilly, Paris, Desclée de Brouwer, Institut Ricci, 1998, p. 405-406. Voir aussi: Leutner, Mechthild; Dagmar Yü-Dembski, « Einleitung», in: Leutner, Mechthild; Dagmar Yü-Dembski (dir.), Exotik und Wirklichkeit. China in Reisebeschreibungen vom 17. Jahrhundert bis zur Gegenwart, op.cit., p. 7-14.

399

Détrie, Muriel, « L’évolution de l’’Europe chinoise’ de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe siècle », in : Dollé, Marie ; Geneviève Espagne (dir.), Idées de la Chine au XIXe siècle. Entre France et Allemagne, Paris, Les Indes savantes, 2014, p. 21.

400

Il s’agissait principalement de récits de voyages (rédigés par des aventuriers, des marchands, des ambassadeurs) qui étaient diffusés par la presse (qui connut un énorme développement au XIXe siècle) et notamment dans les magazines illustrés spécialisés dans les voyages, sous la forme de feuilletons. Les autres sources d’informations sur la Chine en Europe étaient les traductions et études réalisées par les missionnaires jésuites, puis les premiers sinologues européens tels que le français Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832) qui occupa la première chaire d’études orientales d’Europe, créée en 1814 au Collège de France. Voir : Ibid., p. 19-37.

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bien informés et beaucoup moins indulgents à l’égard de la Chine. La multiplication de ces récits de moindre qualité à partir de la fin du XVIIIe siècle où les échanges commerciaux et l’envoi d’ambassades européennes auprès de la cour impériale s’intensifient, ajoutée au tarissement progressif des sources d’informations jésuites suite à la dissolution de la Compagnie de Jésus en 1773, serait la cause principale du passage « de la sinophilie à la sinophobie »401.

Les récits et témoignages de commerçants ont en effet joué un rôle de premier plan dans la diffusion d’une image négative de la Chine. Mécontents de sa politique d’ouverture restrictive, les marchands de thé américains et les agents de la compagnie anglaise des Indes orientales402, dont la volonté de profit se heurtait à la résistance des autorités chinoises, ont contribué à forger l’image d’une Chine « rétrograde » et « pauvre ». Cette vision d’une Chine « déficiente », éloignée des idéaux de progrès occidentaux, restée « barbare » au sens de « primitive », alors qu’en Europe la « révolution industrielle » donnait lieu à un développement et à un essor économique fulgurants, justifiait la volonté d’intervention des Occidentaux.

Die Idee von der Überlegenheit der „weißen“ Völker auch gegenüber dem „alten“ Kulturvolk der Chinesen setzte sich nach der Französischen Revolution und den Erfolgen der Industriellen Revolution im 19. Jahrhundert allmählich durch. Sie war eng gekoppelt mit dem Fortschrittsgedanken und evolutionistischen Vorstellungen der Menschheitsgeschichte, wobei militärisch-technische Überlegenheit als Beweis zivilisatorischer Superiorität betrachtet wurde403.

Avides d’accélérer leur croissance économique et de conquérir un marché de taille extraordinaire, les puissances occidentales (le Royaume-Uni, la France, la Russie, le Portugal, les Pays-Bas, l’Autriche-Hongrie et les États-Unis), fortes de leur arrogance, ne tardèrent pas à imposer à la Chine leur mercantilisme agressif, par le biais d’opérations militaires et de la première guerre de l’opium. Cette dernière aboutit, comme nous le savons, au traité de Nankin, que les Chinois qualifient de « traité inégal », en 1842. La conséquence en fut l’ouverture forcée de la Chine aux activités commerciales occidentales et l’instauration sur le territoire chinois de comptoirs sous législation étrangère404.