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PARTIE I. LA CHINE ET L’ALLEMAGNE, UNE HISTOIRE PARTAGÉE

CHAPITRE 2. LES CHINOIS DANS ET À TRAVERS LE MONDE

2.2. Le cas chinois

2.2.1. La notion de « diaspora »

Ainsi, tu trouves normal que j’abandonne une terre qui m’a nourri, pauvrement, pendant une vingtaine d’années, pour un autre bout du monde inconnu. Tu m’as même dit que tu apprécies en moi cet espèce d’instinct vagabond. Mais tu ne veux pas croire que c’est en quittant ce pays que j’apprends à le mieux aimer. Le mot ‘aimer’, tu le trouveras peut-être trop fort. Pourtant, je pourrais dire que c’est aujourd’hui, bien plus qu’à d’autres moments de ma vie, que je ressens un profond besoin de reconnaître mon appartenance à mon pays. C’est important d’avoir un pays quand on voyage. Un jour, tu comprendras tout cela : quand tu présentes ton passeport à une dame aux lèvres serrées, quand tu te retrouves parmi des gens dont tu ignores jusqu’à la langue, et surtout quand on te demande tout le temps de quel pays tu viens336. Ying Chen

L’ensemble des communautés chinoises d’outre-mer, composé d’environ 40 à 45 millions de personnes337, est communément désigné par le terme de « diaspora », dont Maggi Wai-Han Leung souligne qu’elle est une forme particulière de transnationalisme338

. La langue chinoise pour sa part ne possède pas de terme unique pour décrire sa propre émigration. Le phénomène

334

Voir aussi ce que dit Nancy Huston à propos du caractère décisif de l’enfance dans Nord perdu : « On peut conférer aux êtres d’origine étrangère la nationalité française, les ‘naturaliser’, comme on dit pour les animaux que l’on empaille, on peut leur donner des diplômes français, des honneurs français, voire l’immortalité française…Ils ne seront jamais français parce que personne ne peut leur donner une enfance française. », in : Huston, Nancy, Nord perdu, op.cit., p. 17.

335

La construction de communautés transnationales peut potentiellement se passer de la référence à un territoire.

336

Ying, Chen, Les lettres chinoises, Montréal, Actes-Sud, 1993, p. 9. Cité d’après : Bourbeau, Philippe, La Chine et la diaspora chinoise, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 13.

337

Cf. Tan, Chee-Beng (dir.), Routledge Handbook of the Chinese Diaspora, New York, Routledge, 2013. Au début des années 2000, la diaspora chinoise comptait entre 30 et 35 millions de personnes : Ma Mung, Emmanuel, « La nouvelle géographie de la diaspora chinoise », op.cit., p. 34.

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migratoire chinois fait l’objet d’une classification en six catégories : les hǎiwài huáqiáo (海外 华侨) sont les Chinois installés durablement à l’étranger mais qui ont conservé la nationalité chinoise ; les huíqiáo ( 回 侨 ) ou guīqiáo ( 归 侨 ) sont les Chinois rémigrants (qui sont retournés en Chine) ; les hǎiwài huárén (海外华人, Chinois non ressortissants à l’étranger) sont répartis entre les huájí (华籍) ou wàijí huárén (外籍华人) qui englobent les Chinois d’outre-mer naturalisés et les huáyì (华裔), descendants d’émigrés chinois. Les tóngbào (同胞) sont les « camarades » chinois de Taïwan, ainsi que les Chinois de Hong Kong et de Macao, avant la rétrocession de ces « territoires » à la RPC, respectivement en 1997 et en 1999. Précisons cependant que les tóngbào ne sont pas inclus dans le concept de diaspora chinoise. Nous n’approfondirons pas la question de la réunification de Taïwan et de la RPC, sur laquelle les deux Républiques ne s’accordent pas. Le conflit repose justement sur le fait que la RPC se refuse à reconnaître la souveraineté et l’indépendance de Taïwan, considérant qu’il n’y a qu’« une seule Chine ». Dans ces circonstances, les tóngbào taïwanais sont vus comme des citoyens « naturels » de la RPC. Dans le cas des Chinois de Macao et de Hong Kong, ils sont depuis la fin des années 1990 redevenus de fait des citoyens à part entière de la RPC. La catégorie des huárén (华人) quant à elle recouvre les six précédentes. Plus récemment, l’établissement d’une nouvelle catégorie a semblé nécessaire afin de nommer la nouvelle génération des Chinois d’outre-mer que Stéphane Dufoix appelle les xīn huáqiáo (新华侨) tandis que Dagmar Yü-Dembski préfère le terme de xīn yímín (新移民), c’est-à-dire de « nouveaux migrants ». Ces derniers sont caractérisés par un niveau d’éducation élevé, une mobilité accrue, la volonté de jouir à l’étranger d’une certaine indépendance politique (vis-à-vis de la RPC) et une remarquable flexibilité professionnelle. Cette nouvelle génération de migrants chinois, dont beaucoup ont grandi à l’étranger, se détache des modèles migratoires linéaires traditionnels pour privilégier des modèles transnationaux. Ainsi, ce ne sont plus forcément les connections locales et familiales qui président à l’installation dans un pays, mais les opportunités économiques et professionnelles qui s’y trouvent. Le cadre sécuritaire que pouvaient offrir les Chinatowns au début du XXe siècle n’est plus la priorité de migrants qui sélectionnent désormais les lieux dans lesquels ils s’établissent sur la base du montant des loyers, de la qualité de l’environnement social, majoritairement urbain, et des infrastructures qui s’y trouvent. Ce qui compte pour les nouveaux migrants chinois, dont beaucoup sont des étudiants, des entrepreneurs, des consultants et des ingénieurs, est en effet aujourd’hui la possibilité de se déplacer entre le pays d’accueil, la RPC et éventuellement des pays tiers, et

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de pouvoir entretenir des réseaux relationnels étendus qui relient tout aussi bien les différentes communautés diasporiques chinoises à travers le monde, que la diaspora à la RPC339.

Avant d’aller plus loin, une définition du terme « diaspora », qui a connu de nombreuses interprétations dans les années 1970, et des usages de plus en plus larges depuis les années 1990, nous semble nécessaire. Stéphane Dufoix rappelle dans son ouvrage sur Les diasporas l’acception première du concept :

Dans son acception classique, avant son explosion quantitative et sémantique, le mot « diaspora » s’applique avant tout à des peuples, avec ou sans État, dont les traditions séculaires, voire millénaires, de migration, n’ont pas affecté la permanence d’une conscience collective fondée sur l’entretien de la référence à une histoire, une terre ou une religion340.

Originellement, le terme « diaspora », provenant du grec speiro (semer) et de dia (à travers), qui ensemble signifient « disséminer », avait désigné l’exil forcé des Juifs de Jérusalem à Babylone au VIe siècle av. J-C. En français, le mot employé seul, hors contexte, renvoie ainsi implicitement au peuple juif. Le terme connaît cependant d’autres acceptions puisqu’il a été « longtemps confiné à l’évocation de groupes religieux (peuples, Églises, congrégations) spatialement dispersés et vivant en minorité au milieu d’autres croyances religieuses et d’autres peuples341

» avant d’être utilisé par des chercheurs en études africaines dans les années 1960, en lien avec la traite d’esclaves et la déportation forcée d’Africains à travers le monde. Au départ, le terme faisait donc référence à une expérience traumatique, où le départ du lieu d’origine et l’installation dans un autre lieu s’accompagnaient d’une profonde nostalgie pour le référent-origine et de l’ardent désir d’y retourner un jour. Ce retour étant souvent de l’ordre du fantasme, l’identification ainsi que le maintien d’un lien émotionnel solide à la « patrie », à une vision de cette dernière finissant par devenir de plus en plus abstraite et idéelle pour ne pas dire utopique, a joué un rôle important dans la formation des premières communautés diasporiques.

Dans le courant de la deuxième moitié du XXe siècle, le terme « diaspora » n’a cessé de s’élargir. Stéphane Dufoix déclare qu’aujourd’hui, « il sert à évoquer à la fois tout phénomène de dispersion à partir d’un lieu ; l’organisation d’une communauté ethnique, nationale ou religieuse dans un ou plusieurs pays étrangers [loin de son référent-origine] ; une population

339

Yü-Dembski, Dagmar, « Huaqiao – Geschichte der Auslandschinesen in Deutschland », op.cit., p. 50-51.

340

Dufoix, Stéphane, Les diasporas, op.cit., p. 43.

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répartie sur plus d’un territoire »342

. Le sociologue avance enfin que les diasporas semblent se caractériser par « une conscience commune de l’absence physique de la ‘patrie’ et de sa présence symbolique »343.

La définition du terme « diaspora » sur laquelle s’accorde Stéphane Dufoix repose donc en réalité sur deux pôles dont l’un est géographique et l’autre d’ordre symbolique. L’éloignement du pays d’origine, l’installation dans un pays étranger où l’on est minoritaire est un premier aspect de l’existence diasporique, l’autre étant la construction durable d’un lien affectif et idéel au référent-origine, sachant que ce dernier est lui-même le résultat de projections susceptibles de changer d’une communauté, voire d’un individu à l’autre. Cette entreprise symbolique peut alors se manifester là aussi de deux manières. Elle peut s’ancrer dans la tentative de création d’une identité collective à travers la mise en avant de références ethniques, religieuses, politiques, linguistiques et culturelles communes d’une part. Cette tentative d’unification symbolique de ce qui est en réalité profondément hétérogène (toute diaspora est composée de groupes de personnes et partant de là d’individus socialement et culturellement très différents les uns des autres) peut être le fait des communautés, soucieuses d’établir des mécanismes de solidarité qui les aident à « survivre », à « s’affirmer » et à « prospérer » dans le pays d’accueil344 ; mais elle peut également être initiée par le pays d’origine qui, en diffusant l’image d’une communauté diasporique soucieuse et respectueuse mais aussi aimée de sa « mère-patrie » (par le biais d’institutions, de mesures politiques et économiques en faveur des populations d’outre-mer…345

) espère tirer profit de ressortissants dont les investissements directs sont par exemple une ressource centrale pour un pays comme la Chine346. La mise en scène plus récente de la puissance nationale de la Chine et de son habilité à incarner un nouveau leadership mondial participe également d’une stratégie de

342 Ibid., p. 4. 343 Ibid., p. 61-62. 344

Une des manifestations de cette solidarité fondée en grande partie sur la mise en place de réseaux de relations (guānxi) sont d’autre part les « associations (shǐtuán) de nature diverse, notamment ‘d’assistance mutuelle’, qui sont des éléments constitutifs traditionnels de la société chinoise et tout particulièrement dans l’émigration […]. » Trolliet, Pierre, « Un monde chinois », in : Larivière, Jean-Pierre (dir.), La Chine et les Chinois de la diaspora, Paris, CNED-SEDES, 1999, p. 71.

345

En 1990, une loi de protection (Protective Law) a été passée pour protéger les intérêts économiques des Chinois d’outre-mer. Des privilèges économiques leur ont été accordés afin d’encourager leur retour en Chine. Cf. Lum, Kathryn, « The Diaspora Target: Ethnic Dividend as National Development Strategy in China », in: Kreienbrink, Alex (dir.), Fachkräftemigration aus Asien nach Deutschland und Europa, op.cit., p. 194.

346

En 1999, les investissements directs étrangers (IDE) perçus par la Chine s’élevaient à 40,4 milliards de dollars. En 2009, ils ont atteint 34 milliards de dollars. Les Chinois de la diaspora ont participé à hauteur de 60 % des IDE entre 1991 et 2003. On considère aujourd’hui que 75% des IDE en Chine proviennent de la diaspora. Cf. Pina-Guerassimoff, Carine, La Chine et sa nouvelle diaspora. La mobilité au service de la puissance, Paris, Ellipses, 2012.

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renforcement des liens entre la Chine et sa diaspora. Ainsi, depuis 1978 et à plus forte raison depuis les années 1990-2000, le gouvernement chinois a par exemple mis en place un certain nombre de mesures visant à endiguer la fuite des cerveaux et à encourager le retour de ses ressortissants les plus qualifiés. La flexibilité des règlements concernant les visas et les permis de résidence a été accrue ; en 2004, une carte verte chinoise a été lancée, en vue d’attirer des catégories de personnes spécifiques (de très puissants entrepreneurs, des universitaires, des ingénieurs, des managers réputés, etc.) ; en 2008, dans le cadre du Recruitment Program of

Global Experts, le programme « 1000 talents » offrait des salaires mirobolants (par rapport

aux revenus pratiqués habituellement), des budgets alloués à la recherche conséquents, des appartements de fonction, des assurances sociales avantageuses et des conditions de travail attractives à des professeurs des universités confirmés347 ; l’université d’élite Tsinghua de Pékin a lancé son propre programme 100 Top Talents Program dans la foulée348 ; des centres d’incubation et des zones économiques spéciales ont été créés pour des entrepreneurs prometteurs et, depuis 1980, des milliers de programmes appelés « en quête de nos racines » (« Roots seeking » programmes) ont encouragé les jeunes Chinois d’outre-mer à s’intéresser à leur pays d’origine et à devenir des ambassadeurs civils de la culture chinoise à l’étranger349

. Toutes ces mesures rendent compte de la volonté du gouvernement chinois non seulement de se rappeler au bon souvenir de ses ressortissants de l’étranger, de leur indiquer sa volonté de puissance, mais aussi d’en faire des acteurs de son rayonnement international. Cette politique volontariste, valorisante et dynamique rejaillit bien entendu de manière plutôt positive sur l’image que les Chinois de la diaspora peuvent se faire du pays dont ils sont originaires, qu’ils soient des immigrés de première, de deuxième ou de troisième génération350.

Enfin, un mécanisme d’identification au référent-origine peut être suscité, suggéré ou même imposé par des sociétés d’accueil ou des membres de celles-ci. Selon les réactions

347

Ceux-ci devaient être titulaires d’un doctorat au moins.

348

Obergfell, Johannes, « Migration aus Ost- und Südostasien nach Deutschland – Entwicklungen und Tendenzen mit Blick auf eine zukünftige Fachkräftezuwanderung », op.cit., p. 68.

349

Lum, Kathryn, « The Diaspora Target: Ethnic Dividend as National Development Strategy in China », op.cit. p. 193-196.

350

« The ideal of a Chinese nation has a wide appeal and runs deep in overseas Chinese communities. Its appeal is linked to China’s international strength and the ability of the Chinese government to provide moral leadership. Overseas Chinese, helped by the Chinese authorities, maintain a vision of a strong Chinese state, a state to be proud of. » in: Christiansen, Fleming, « Chinese Identity in Europe », op.cit., p. 59

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d’enthousiasme ou d’hostilité que l’immigré suscite, son identification au référent-origine peut être plus ou moins positive ou négative351.

La manière dont les uns et les autres construisent leur référent-origine est également en corrélation avec les circonstances du départ. Si l’importance du référent-origine concerne la diaspora au sens global, les divers liens que les individus tissent avec leur pays et leur culture d’origine en fonction du souvenir qu’ils leur ont laissé, ou des récits qu’on leur en a conté, représentent autant de manifestations de l’hétérogénéité du groupe diasporique. Selon le type d’émigration, volontaire ou forcée ; légale ou illégale ; politique, économique ou familiale ; personnelle, pour études, par amour ou par goût de l’aventure, l’attitude adoptée face au référent-origine n’est pas la même. Le statut social et administratif et les opportunités dont on est susceptible de jouir dans le pays d’accueil découlant par ailleurs aussi du statut migratoire (ou de l’absence de statut dans le cas d’immigrations illégales), les situations et conditions de vie dans lesquelles se retrouvent les membres d’une même diaspora peuvent être positives mais aussi très négatives et douloureuses. Les difficultés ou les joies associées au quotidien mené dans le pays d’accueil, qui sont le résultat des bons ou mauvais traitements que les émigrés-immigrés reçoivent ou subissent dans le pays de résidence, influent à leur tour sur l’imaginaire du référent-origine. Celui-ci pourra alors être vu comme une « bonne étoile », une fierté, un horizon positif ou bien comme la source de tous les malheurs, de toutes les contraintes ou de tous les manquements. Ainsi, le rapport au référent-origine peut-il être selon les cas tourmenté, plein de ressentiment, marqué par la peur ou la colère ; ou bienveillant, « décomplexé », confiant, empli d’espoir, voire de reconnaissance ; ou encore enseveli sous de l’indifférence (affectée ?), de l’ignorance (dans le cas des immigrés de deuxième et troisième génération qui ne connaissent parfois pas ou peu le pays et la culture d’origine de leurs parents voire grands-parents), voire le poids de l’oubli.

Le rapport au référent-origine et la définition que les émigrés-immigrés peuvent en avoir change aussi en fonction de critères que nous qualifierons d’historiques et de « naturels », en d’autres termes « temporels et familiaux ». Le lien au référent-origine n’aura ni la même teneur ni la même précision selon l’âge et donc la génération à laquelle appartient tel ou tel membre diasporique. La définition du référent-origine dépend en effet aussi du contexte historique d’une part et familial d’autre part, dans lesquels la personne immigrée a évolué. Afin d’illustrer ce point, nous nous réfèrerons à l’étude sociologique entreprise en 1992 et

351

Nous renvoyons le lecteur à l’analyse des représentations de la Chine en Occident au sens large et en Allemagne en particulier qui se trouve au chapitre 3 de la partie I cette étude.

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1993 par Tong Chee-kiong et Chan Kwok-bun, respectivement de la National University of

Singapore et de la Hong Kong Baptist University, sur la très importante diaspora chinoise à

Singapour352, dont ils ont consigné les données dans l’article intitulé « One Face, Many Masks : The Singularity and Plurality of Chinese Identity » paru dans la revue Diaspora en 2001. Cette étude, fondée sur un grand nombre d’entretiens menés avec des immigrés chinois d’âges et d’origines socioculturelles divers, s’est proposée d’explorer les conceptions que ces personnes pouvaient avoir de leur propre identité, la question étant de savoir en quoi et si elles se sentaient « chinoises ». Si pour la grande majorité des interviewés leur identité « chinoise » s’est révélée aussi indéniable qu’inébranlable (ce qui est tour à tour présenté comme étant un atout ou un handicap), les raisons pour lesquelles cela est le cas sont multiples. Si les immigrés de la première génération (tous nés en Chine) n’ont eu aucune difficulté ni hésitation à proposer une définition clairement territoriale de leur identité chinoise – ils se désignent comme des people of China, dont le berceau se trouve en Chine353 –, les plus jeunes et parmi eux surtout ceux nés à Singapour, se sont plus volontiers fondés sur des critères ethniques (la couleur de la peau, les cheveux raides et noirs, les yeux bridés)354, le recours à des critères culturels (linguistique, géodialectal, religieux, le partage de certaines valeurs telles que la piété filiale) s’étant accompagné de déclarations plutôt contradictoires, arbitraires ou stratégiques355.

Les chercheurs se sont aperçus que le référent-origine « Chine », ou du moins les accents placés sur la nature de ce dernier, pouvaient être très différents, voire divergents, selon l’âge des interviewés et les circonstances de leur présence à Singapour, mais aussi et surtout selon

352

La ville pourrait, compte tenu du nombre de Singapouriens d’origine chinoise qui y vivent, être considérée comme une ville chinoise.

353

« For [the older generation], the sense of ‘territorial’ identity was very important. In the interviews, they tended to call themselves ‘teng-swa-lang’, literally ‘Tang people’, or ‘tiong-kok-lang’, ‘people of China’. Their ethnicity is tied to a sense of place, and ethnic boundary is a geographical one, with a sense of territorial identity closely related to the fact that they were born in China and had migrated to Singapore in the 1920s as sojourners and they see China as their homeland. » Tong, Chee-kiong ; Kwok-bun Chan, « One Face, Many Masks: The Singularity and Plurality of Chinese Identity », in: Diaspora, 10/3, 2001, p. 381.

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Il faut savoir que le principe du ius sanguinis a été depuis 1909, et jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, le fondement juridique de l’attribution de la nationalité chinoise. S’il a pu être assoupli par la prise en compte du ius soli, le ius sanguinis reste valable. Toute personne née d’un parent chinois peut devenir citoyen de la RPC, et ce, indépendamment du lieu de naissance. La double-nationalité n’est pas acceptée. Symboliquement, le sang (invisible) et le phénotype (sa manifestation visible) sont donc les premiers critères d’identification sur lesquels les Chinois s’accordent pour définir leur appartenance au peuple chinois. Voir aussi : « Anybody who is known to be of Chinese descent in the blood-line and is permanently resident abroad is an overseas Chinese […]. » Christiansen, Fleming, « Chinese Identity in Europe », op.cit., p. 44.

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« This sense of China as home, as homeland – that is, ethnicity based on territorial […] dimensions – was not shared by the younger Chinese Singaporeans, whether Chinese- or English-educated; ‘Chinese