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PARTIE I. LA CHINE ET L’ALLEMAGNE, UNE HISTOIRE PARTAGÉE

CHAPITRE 2. LES CHINOIS DANS ET À TRAVERS LE MONDE

1. L’immigration en Allemagne au XX e

1.5. L’immigration chinoise en Allemagne, de ses débuts à aujourd’hui

En 2015, sur un total de 81,1 millions d’habitants, l’Allemagne comptait, comme indiqué précédemment, 16,4 millions de personnes issues de l’immigration, soit environ 20% de la population allemande. Parmi ces 16,4 millions de personnes, 1 499 164 étaient d’origine asiatique243. Si l’on s’en tient à l’Asie de l’Est244

et du Sud-Est245, ce nombre s’abaisse à 390 185 personnes.

Au sein de la population d’origine asiatique se trouvant actuellement en Allemagne, les personnes d’origine chinoise forment une large majorité avec 119 590 personnes246

(les immigrés d’origine taïwanaise sont 6705). Quand on observe les chiffres migratoires de ces dernières années, l’on remarque qu’entre 2008 et 2015, 111 694 Chinois supplémentaires (venus s’ajouter aux 78 960 Chinois présents sur le territoire allemand en 2008) se sont installés en Allemagne, et ce à un rythme exponentiel : entre 2009 et 2015 ils étaient 2 000,

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Statistik Portal (das), « Ausländische Bevölkerung 2008 bis 2015 nach ausgewählten Staatsangehörigkeiten », in: destatis.de [en ligne], s.d. [consulté le 07/06/2016]. Disponibilité et accès: https://www.destatis.de/DE/ZahlenFakten/GesellschaftStaat/Bevoelkerung/MigrationIntegration/AuslaendischeB evolkerung/Tabellen/StaatsangehoerigkeitJahre.html et : Statistisches Bundesamt, Bevölkerung und Erwerbstätigkeit. Ausländische Bevölkerung. Ergebnisse des Ausländerzahlregisters 2015, 1/2, Wiesbaden, 2016.

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Chine, Taïwan, Mongolie, Corée du Sud, Corée du Nord, Japon.

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Malaisie, Vietnam, Thaïlande, Philippines, Indonésie, Singapour, Laos, Cambodge.

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Les personnes originaires d’Inde sont au nombre de 86 214. Relativement au nombre d’habitants (Inde, 1,3 milliards ; Chine, 1,36 milliards d’habitants en 2016), la Chine connaît donc une émigration vers l’Allemagne plus importante. Entre les deux, la population d’origine vietnamienne occupe une place importante avec 87 214 personnes (l’immigration chinoise vers l’Allemagne dépasse l’immigration vietnamienne depuis 2011 : « Während […] lange die Vietnamesen die größte Ausländergruppe aus Ost- und Südostasien in Deutschland bildeten, wurden sie im Jahr 2011 erstmals knapp von den Chinesen übertroffen (83 830 zu 86 435). Im darauffolgenden Jahr 2012 hatte sich dieser Abstand erheblich vergrößert (82 923 zu 93 676). », Kreienbrink, Alex; Matthias M. Mayer, « Einführung – Migration aus Ost- und Südostasien », in: Kreienbrink, Alex (dir.), Fachkräftemigration aus Asien nach Deutschland und Europa, op.cit., p. 8.

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puis 5 000, 7 000 et enfin plus de 9 000 à s’ajouter à la population immigrée chinoise en Allemagne (ces chiffres, arrondis, résultent de la différence entre le nombre d’arrivées et de départs247). La tendance est donc clairement à la hausse, ce qui prouve le dynamisme du flux migratoire de la Chine vers l’Allemagne. Cela reflète aussi l’attractivité de la République fédérale dans un contexte d’expansion économique de la Chine dont les ressortissants veillent de plus en plus à tisser des réseaux d’influence professionnels et personnels transnationaux, constitutifs de parcours ouverts, à l’image de notre monde actuel, à la fois globalisé et interconnecté.

Avant de revenir précisément sur la situation actuelle des immigrés d’origine chinoise en Allemagne, nous tenons à souligner avec Dagmar Yü-Dembski et Erich Gütinger248 que l’histoire de l’immigration chinoise et des communautés d’immigrés chinois en Allemagne a longtemps été négligée de la part du monde académique. Bien qu’il y ait eu une première publication d’ordre plutôt général sur la « communauté chinoise d’outre-mer en Allemagne » en 1980249, puis quelques autres après 1989 sur la situation de la minorité chinoise dans l’ex-RFA ou bien à Berlin250, l’étude ambitieuse et pourtant exhaustive publiée par Lynn Pan en 1999, intitulée The Encyclopedia of the Chinese Overseas, omet de présenter un chapitre sur la situation allemande251, et ce alors qu’elle traite pourtant et étonnamment l’immigration chinoise dans d’autres régions telles que l’île de la Réunion, l’Irlande du Nord ou le royaume des Tonga252. Les ouvrages plus récents de Tan Chee-Beng253 ou d’Emmanuel Ma Mung254, qui consacre pourtant un chapitre entier à l’Europe en tant que « nouvelle destination »255

de la migration chinoise, ne font pas non plus mention de l’Allemagne. De fait, il a fallu attendre les années 2000 et les travaux des universitaires et chercheurs cités ci-dessus (citons

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Cf. Obergfell, Johannes, « Migration aus Ost- und Südostasien nach Deutschland – Entwicklungen und Tendenzen mit Blick auf eine zukünftige Fachkräftezuwanderung » Ibid., p. 45.

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« Insbesondere die Einwanderung nach Deutschland wurde bis in die jüngste Zeit herein häufig ignoriert. », in: Gütinger, Erich, Die Geschichte der Chinesen in Deutschland. Ein Überblick über die ersten hundert Jahre seit 1822, op.cit., p.1 et : Yü-Dembski, Dagmar, « Huaqiao – Geschichte der Auslandschinesen in Deutschland », op.cit., p. 27.

249

Voir le papier de Karin Bierbaum : Overseas Chinese in Germany – A Preliminary Survey qui a été publié dans : Asian Research Service, « Proceedings of the Second International Symposium on Asian Studies », Hong Kong, 1 – China, 1980, p. 21-31. Cité d’après: Gütinger, Erich, Die Geschichte der Chinesen in Deutschland. Ein Überblick über die ersten hundert Jahre seit 1822, op.cit., p. 35.

250

Ibid., p. 36.

251

La partie que consacre Lynn Pan à l’espace européen comprend la Grande-Bretagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas et la Russie mais ne fait aucune mention de l’Allemagne. Cf. Pan, Lynn (dir), The Encyclopedia of the Chinese Overseas, Richmond, Surrey, Curzon, 1999, p. 304-331.

252

La remarque est de : Yü-Dembski, Dagmar, « Huaqiao – Geschichte der Auslandschinesen in Deutschland », op.cit., p. 27.

253

Chee-Beng, Tan (dir.), Routledge Handbook of the Chinese Diaspora, New York, Routledge, 2013.

254

Ma Mung, Emmanuel, La diaspora chinoise: géographie d’une migration, Paris, Ophrys, 2000.

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également Hui-wen von Groeling-Che et Maggi Wai-Han Leung) pour découvrir les « tenants et les aboutissants » de l’immigration chinoise en Allemagne, depuis ses origines jusqu’au début du XXIe siècle256.

Les débuts de l’immigration chinoise en Allemagne remontent à l’année 1822, lorsque deux pionniers originaires de la province du Guangdong arrivèrent à Berlin depuis Canton257, après avoir embarqué sur un voilier britannique de la East India Company qui les conduisit à Londres en passant par Saint Hélène où ils dînèrent en compagnie de Napoléon Ier258. Les deux Chinois, Feng Ya Xing, alias Assing ou Asseng et Feng Ya Xue, alias Aho(k), Haho ou Hass, se retrouvèrent à Berlin après avoir été vendus à l’Empire prussien par un dénommé Heinrich Lasthausen, marchand berlinois de son état, qui en obtint la coquette somme de 1 000 couronnes (Taler)259. Les deux Feng furent envoyés par la suite à l’université de Halle/Saale où ils apprirent l’allemand avant d’enseigner à leur tour le chinois à Friedrich Helmke et Wilhelm Schott, deux linguistes réputés. Ce faisant, les Feng contribuèrent à la naissance de la sinologie en Allemagne et attirèrent l’attention sur eux d’intellectuels célèbres tels que Goethe ou Heine (Humboldt, qui étudiait pourtant à la même époque l’« esprit de la langue chinoise », refusa quant à lui de les rencontrer…)260.

Après que Feng Ya Xing eut quitté la Prusse en 1836 (après en avoir, enfin, obtenu l’autorisation), Feng Ya Xue fut sans doute le seul Chinois d’Allemagne durant près de quatre décennies. Ce n’est que peu de temps avant sa mort en 1876 que d’autres Chinois – des soldats – arrivèrent à leur tour. En 1861 en effet, un contrat de coopération commerciale et maritime avait été signé, suivi presque aussitôt de l’instauration de relations diplomatiques entre l’Empire chinois et la Prusse. En 1877, la première ambassade chinoise fut ouverte à

256

Nous nous appuierons ici sur les ouvrages suivants: Groeling-Che, Hui-wen (von) ; Dagmar Yü-Dembski (dir.), Migration und Integration der Auslandschinesen in Deutschland, op.cit. ; Gütinger, Erich, Die Geschichte der Chinesen in Deutschland. Ein Überblick über die ersten hundert Jahre seit 1822, op.cit. ; Gütinger, Erich, « A Sketch of the Chinese Community in Germany : Past and Present », in: Benton, Gregor; Frank N. Pieke (dir.), The Chinese in Europe, op.cit., p. 197-208 et : Leung, Maggi Wai-Han, Chinese Migration in Germany. Making Home in Transnational Space, op.cit., 2004.

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Le port de Canton était à cet époque le seul à être ouvert aux Occidentaux, et ce jusqu’en 1842.

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Pour de plus amples détails sur cette anecdote, se reporter à : Gütinger, Erich, Die Geschichte der Chinesen in Deutschland. Ein Überblick über die ersten hundert Jahre seit 1822, op.cit., p. 80-82.

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Cette somme équivalait à plusieurs revenus annuels d’un citoyen et citadin ordinaire de l’époque : Gütinger, Erich, « Einwanderung als soziales Phänomen zwischen Eigen- und Gemeinnutz », in: Groeling-Che, Hui-wen (von) ; Dagmar Yü-Dembski (dir.), Migration und Integration der Auslandschinesen in Deutschland, op.cit., p. 137.

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Gütinger, Erich, Die Geschichte der Chinesen in Deutschland. Ein Überblick über die ersten hundert Jahre seit 1822, op.cit., p. 89-103.

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Berlin. Dès lors, la communauté chinoise en Allemagne s’agrandit rapidement, passant de 63 individus en 1880 à 104 personnes en 1890 puis à 623 en 1910. Ces groupes étaient composés majoritairement d’hommes. Parmi eux se trouvaient surtout des diplomates, des marchands, des petits commerçants et des marins. La plupart des Chinois immigrés se répartirent sur deux villes qui sont restées depuis les principaux foyers d’accueil de la population d’origine chinoise en Allemagne, à savoir : Berlin et Hambourg261.

Étant un port, Hambourg fut investi d’une majorité de marins et de commerçants. Ces derniers profitaient de l’activité de la ville et de son ouverture sur le monde pour faire fructifier leurs affaires et se faire engager en tant que soutiers, blanchisseurs et chauffeurs sur les bateaux à vapeur qui avaient progressivement remplacé les voiliers dans les années 1850 (et ce dans les conditions terrifiantes que nous avons évoquées plus haut, la main-d’œuvre chinoise étant exploitée sans vergogne par les armateurs allemands262). Depuis l’ouverture forcée de la Chine conséquemment aux deux guerres de l’opium (1842 et 1860), un grand nombre de Chinois furent employés par les compagnies maritimes occidentales qui en tiraient des avantages financiers significatifs.

Berlin abritait la plus grande communauté chinoise d’Allemagne. En 1890, environ 29% de tous les Chinois se trouvant dans l’Empire vivaient à Berlin ; en 1910, ce pourcentage atteignit les 35%. La population chinoise de Berlin était surtout composée de diplomates, de soldats, de commerçants, d’étudiants et d’enseignants. Au moment de la Première Guerre mondiale se trouvaient à Berlin des gouvernantes et domestiques chinoises également.

La Première Guerre mondiale – en août 1917 la Chine déclara la guerre à l’Allemagne – et l’arrêt de la circulation des bateaux à vapeur firent que les Chinois (des marins en grande majorité) restés à Hambourg et à Berlin (ainsi que dans d’autres ports d’Europe tels que Liverpool, Amsterdam, Londres…) y formèrent les premières communautés de petits commerçants, de restaurateurs et de blanchisseurs, respectivement dans le quartier de St. Pauli et autour de la Kantstraße et de la Schlesischer Bahnhof.

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Dans une moindre mesure, Brême et Bremerhaven accueillirent aussi chacune une colonie chinoise.

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« Ab 1850 ersetzten Dampfer zunehmend die ehemals üblichen Segelschiffe; zum schweren und gefährlichen Betrieb der Feuerstätten wurden Chinesen als Trimmer und Feuerleute angeheuert. Für ihren hin und wieder sogar tödlichen Einsatz bekamen die Chinesen niedrigen Lohn – oft weniger als ihre deutschen Kollegen und Leidensgefährten. », in: Gütinger, Erich, « Einwanderung als soziales Phänomen zwischen Eigen- und Gemeinnutz », op.cit., p. 137.

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Après la guerre et la signature du traité du Versailles, l’Allemagne avait dû abandonner ses colonies, y compris en Chine. En 1921, la République de Weimar conclut un contrat avec la Chine dans lequel elle renonça à tous ses privilèges et où les conditions d’une collaboration dans les domaines économique, éducatif et culturel furent fixées. Ce cadre politique entraîna un afflux de jeunes Chinois en Allemagne (à Berlin, Hambourg, Leipzig et Munich), composé d’une part de commerçants et de marchands (originaires de Qingtian et de Wenzhou dans le Zhejiang), et d’autre part d’étudiants (venant pour la plupart du Zhejiang mais aussi du Jiangsu, du Sichuan, du Guangdong, de Shanghai et de Canton). Tandis que les anciens marins, petits commerçants, blanchisseurs et restaurateurs appartenaient à un prolétariat qui n’était toléré qu’à contre cœur par une population et des médias allemands suspicieux d’agissements criminels et décadents de leur part (on soupçonnait les Chinois d’être de fourbes criminels, des fumeurs d’opium et des amateurs des jeux interdits)263

, les étudiants chinois (dont beaucoup venaient de familles aisées) étaient valorisés en tant que représentants d’une culture millénaire. On soulignait leur élégance, leurs lunettes en écaille, leur chevelure précautionneusement peignée et leur mise soignée, qui contrastait ostensiblement avec celle de leurs compatriotes plus modestes. Leur maîtrise de l’allemand ainsi que leur aisance financière (qui leur permettait d’habiter des quartiers bourgeois) les rendaient dignes d’une curiosité teintée dans ce cas de respect. Des bals étaient même organisés, où Chinois et Allemands du milieu universitaire se retrouvaient pour s’égayer ensemble. Dans cette atmosphère convenable, les intellectuels chinois jouissaient d’un statut particulier, qui leur permettait d’évoluer sur un pied d’égalité avec leurs collègues allemands. Après 1925, le nombre d’étudiants augmenta de manière constante. Les études faites en Allemagne étaient en effet hautement reconnues en Chine où l’on disait d’elles qu’elles valaient autant que de l’or « 24 carats ».

Hormis les immigrés chinois d’extraction modeste et les étudiants fortunés, un troisième groupe de Chinois était apparu en Allemagne dans les années 1920-30. Il se composait de Chinois venus pour des raisons politiques et dont les séjours étaient souvent de courte durée.

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« Bereits in den als ‚Golden Twenties‘ bezeichneten Jahren waren die Chinesen aus einfachen Verhältnissen, die meist nur ihren lokalen chinesischen Dialekt verstanden, als wirtschaftliche Konkurrenz und ‚Fremde‘ zahlreichen Vorbehalten und Kriminalisierungen ausgesetzt. […] Trotz des überwiegend friedlichen Zusammenlebens zwischen Deutschen und chinesischen Händlern und Kaufleuten wurden in der Presse vor allem die spektakulären Ereignisse der Chinesenviertel herausgestellt, wobei Vorurteile und Klischees über organisierte Kriminalität, Spiel- und Opiumsucht bedient wurden. », in: Yü-Dembski, Dagmar, « Huaqiao - Geschichte der Auslandschinesen in Deutschland », op.cit., p. 36-37.

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Certains – dont de futures célébrités communistes telles que Zhu De264 (1886-1976), Xie Weijin265 (1900-1978) ou Liao Chengzhi266 (1908-1983) – s’inscrivirent en études politiques, économiques et de droit à l’université (à Göttingen entre autres). Après 1927, le comité central de l’antenne ‘allemande’ du Parti communiste chinois fut installé à Hambourg tandis que la revue Chìguāng (« Flamme Rouge ») était éditée à Berlin. Bien que les cercles d’étudiants engagés fussent plutôt petits et d’opinions divergentes, ils se faisaient remarquer par des manifestations, des rassemblements et des actions « patriotiques » menées « contre l’impérialisme » et « l’occupation japonaise » en Chine.

Avec la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes en 1933, la situation des Chinois se disant communistes et/ou socialistes devint périlleuse. Ils furent poursuivis, arrêtés et chassés, ce qui poussa la quasi-totalité d’entre eux à quitter l’Allemagne jusqu’en 1936. Certains, comme Xie Weijin, prirent part à la guerre civile espagnole tandis que d’autres retournèrent en Chine. Là ils rejoignirent les rangs des communistes à Yan’an, où Mao Zedong avait installé son quartier général. Il est intéressant à cette occasion de rappeler que beaucoup de personnalités qui ont marqué la période communiste sous Mao Zedong ont séjourné en Europe (en France et en Allemagne notamment). La culture politique qu’elles s’y sont en partie forgée a accompagné leur engagement en Chine, ce qui accentue encore une fois les liens qui ont uni un pays comme l’Allemagne à la Chine, y compris dans des moments où ces derniers n’étaient pas forcément perceptibles, ou même, comme nous allons le voir, résolument malmenés.

En 1936, plus de 1 600 Chinois se trouvaient en Allemagne. La communauté chinoise se séparait en deux groupes principaux: d’un côté il y avait les nationalistes et de l’autre les communistes. Tandis que ces derniers subirent la violence des nationaux-socialistes, les nationalistes coopérèrent souvent avec les institutions et les autorités nazies. L’idéologie nationale-socialiste fondée sur la figure d’un guide autoritaire leur semblait une réponse adéquate aux difficultés éprouvées par la Chine dans son combat pour la reconquête de la souveraineté nationale et l’obtention d’une reconnaissance internationale267

.

264

Zhu De, cadre dirigeant du Parti communiste chinois, est considéré comme le fondateur de l’Armée rouge chinoise.

265

Xie Weijin fut un des premiers membres du Parti communiste chinois. C’était aussi le père de Han Sen, auteur de Ein Chinese mit dem Kontrabass.

266

Liao Chengzhi fut un proche de Mao Zedong. Il fut directeur de l’agence de presse communiste (ancêtre de l’agence Xinhua toujours existante) et travailla notamment aux affaires étrangères.

267

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La position nationale-socialiste vis-à-vis des immigrés chinois en Allemagne resta longtemps ambiguë. Parce qu’ils avaient besoin des ressources et matières premières chinoises, les nationaux-socialistes se voyaient forcés de ménager les ressortissants chinois. D’un point de vue idéologique, la présence de ces derniers s’avérait cependant difficilement supportable puisqu’elle allait à l’encontre de la politique nazie de « purification de la race aryenne ». Celle-ci nécessitait au contraire l’expulsion de tous les éléments « non-aryens » du territoire ou du moins leur confinement à l’écart de la population nationale. Après une période transitoire, la « loi sur la protection du sang allemand et de l’honneur allemand » (Gesetz zum

Schutz des deutschen Blutes und der deutschen Ehre) du 18 septembre 1935 instaura

l’interdiction de mariages mixtes entre Allemands et personnes « de sang impur » autres que juives (Schutz des deutschen Volkstums gegen Vermischung mit anderem artfremdem Blut als

dem jüdischen Blut) : ici, ce sont les ressortissants africains et asiatiques qui étaient visés.

Bien que la formule « mit artfremdem Blut » restât assez vague pour ne pas désigner les Chinois directement (et ainsi préserver là encore des intérêts liés aux impératifs économiques et géopolitiques), les humiliations, les discriminations et les exactions dont ils eurent à souffrir (les victimes étaient surtout des commerçants et des petites gens, qui ne bénéficiaient d’aucun soutien haut placé268

) se multiplièrent rapidement. En janvier 1938, une « centrale pour les Chinois » fut ouverte au sein de la police criminelle du Reich, à la suite de quoi la liberté de circulation des ressortissants chinois fut réduite et leur présence étroitement surveillée. Les interventions à l’encontre de la communauté chinoise se durcirent ensuite, lorsqu’Hitler prit officiellement le parti du Japon contre la Chine en reconnaissant le gouvernement japonais fantoche de Mandchoukouo (1931-1945) et en renouvelant sa solidarité avec le Japon en 1941. Le consulat de Chine à Hambourg ferma ses portes et l’ambassade de Berlin resta sans ambassadeur. Dans le courant de l’année 1941, l’atmosphère devint de plus en plus oppressante pour la population chinoise. Plusieurs plaintes furent enregistrées à Berlin contre des liaisons entre des Chinois et des femmes allemandes considérées comme autant de « troubles à l’ordre public » (Erregung öffentlichen

Ärgernisses). Ces procédures pouvaient aboutir à l’emprisonnement ou à l’envoi dans des

camps de concentration. En mai 1944 eut finalement lieu la spectaculaire Chinesenaktion lors de laquelle 165 Chinois habitant Hambourg furent arrêtés et incarcérés dans le camp de travail

268

Les étudiants quant à eux ne furent que peu inquiétés si bien que certains d’entre eux décidèrent de leur plein gré de rester en Allemagne à l’issue de la guerre. Cf. Gütinger, Erich, « A Sketch of the Chinese Community in Germany: Past and Present », op.cit., p. 203.

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Langer Morgen à Wilhelmsburg. Dix-sept y succombèrent. Les survivants et leurs proches

n’ont jamais obtenu réparation pour les violences subies269

.

A l’issue de la guerre, il ne restait en Allemagne qu’entre 200 et 500 Chinois tout au plus, qui se répartissaient entre Hambourg, Berlin et Leipzig270. Beaucoup purent, dès 1946, faire légaliser leur liaison avec des femmes allemandes et les enfants nés de ces couples obtinrent la nationalité chinoise. Des efforts furent faits pour restaurer des relations entre les communautés allemande et chinoise. Nombreux furent ceux qui, profitant d’un contexte économique favorable, se reconvertirent271 et ouvrirent des restaurants. C’est aussi ce que fit un des rares survivants de la Chinesenaktion et du camp Langer Morgen : après la fin de la guerre, il demeura à Hambourg et y ouvrit un restaurant qu’il nomma, symboliquement, le

Peace restaurant.

Vint ensuite la partition de l’Allemagne en deux États. Dix-huit jours après sa fondation, la République Populaire de Chine (fondée le 1er octobre 1949) reconnut la République démocratique allemande, elle-même créée le 7 octobre de la même année. Après que la RDA