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Chapitre 4. Retour d’expérience et méthode de recherche

1. Les conceptions du retour d’expérience

1.1. Le retour d’expérience : outil ou démarche de management ?

1.1.1. Evolution du REX : prise en compte des facteurs humains

et organisationnels

Nous évoquons ici les éléments entourant les phases constitutives de l’évolution du retour d’expérience dans le temps ainsi que les pratiques qui nous amènerons à positionner notre point de vue et définir le retour d’expérience selon celui-ci.

Selon Amalberti et Barriquault (1999), l’analyse des évènements repose sur deux catégories de dysfonctionnements centrés sur les données techniques et sur les facteurs humains. « Le retour d’expérience possède une antériorité dans le domaine technique,

même s’il existait sous un nom différent. La plupart des accidents ont donné lieu à des correctifs et à de nouvelles règles dont l’objectif était d’aboutir à une plus grande sécurité des personnes, des biens et de l’environnement. Plus généralement, c’est souvent le retour d’expérience sur des catastrophes marquantes qui a été le moteur de la mise en place de lois et de règlements de prévention des risques. » (Wybo, Colardelle & Guinet, 2005, p. 9).

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Dans la plupart des secteurs d'activités à risques, les retours d'expérience ont été élaborés dans une optique « technique » et « quantitative », les sciences de l'ingénieur étant au cœur de la méthodologie. Dans les secteurs où la sécurité a atteint un « palier »

(niveau de performance élevé) sur le plan technique mais dans lesquels les enjeux en terme de maintien ou de progrès sont cruciaux, le retour d'expérience inclut, désormais, les aspects humains et organisationnels. Il s'appuie sur des démarches plus

qualitatives qui prennent en compte les acquis des sciences humaines et sociales (Gilbert, 1999). L'objet d'étude du retour d'expérience a ainsi évolué au cours des années. On s'est d'abord intéressé à la défaillance technique, puis à l'« erreur » humaine, ensuite à l'organisation et aujourd'hui à l'organisation et son contexte (Lim & al., 2002 ; Wybo, Colardelle & Guinet, 2005).

Si les domaines les plus en pointe connaissent d'importants développements et innovations en matière de retour d'expérience, celui-ci est dans bien des cas encore trop

souvent restreint à la simple constitution d'une base de données (Mortureux, 2004).

Pour mémoriser l’expérience de gestion d’accidents ou de crises, la première méthode généralement utilisée consiste à formaliser chaque accident via des bases de données. Cette méthode est efficace pour un usage statistique et pour établir une épidémiologie des accidents. Elle est une aide à la décision importante pour la politique générale de sécurité de toute organisation, pour son suivi ainsi que pour une évaluation des mesures prises (Wybo & al., 2001 ; Wybo & al., 2003).

Bien que nécessaire à la connaissance statistique des phénomènes, cette approche du retour d'expérience réduit les possibilités de comprendre les phénomènes accidentels dans leurs multiples composantes. Selon Wybo et al. (2001), « Elle présente l’inconvénient de faire

perdre une information importante : le déroulement des événements, l’enchaînement et la justification des décisions.» (p. 118). Aujourd’hui, cet aspect est intégré dans des

approches plus globales qui définissent des échelles de niveaux de gravité et des types de

retour d’expérience qui peuvent leur être appliqués en fonction de leur potentiel d’apprentissage. En effet comme le souligne Wybo (2004a), « Le choix de la profondeur

d’analyse est ainsi guidé par l’ampleur des dommages, alors que ce ne sont pas toujours les accidents les plus dramatiques qui permettent d’apprendre le plus et d’en tirer les enseignements les plus pertinents. » (p. 28).

1.1.2. Eléments de définition

Le terme « retour d’expérience » est appliqué à une variété de démarches : méthodes d’enquête, ensemble de moyens de collecte d’informations, démarches analytiques (Wybo & al., 2003). La définition du terme est ainsi devenue vaste et

polysémique. Il existe de nombreuses définitions du retour d’expérience : outil d’aide à la

correction de pannes techniques, source d’information des bases de données statistiques, source de progrès des organisations, etc..

Le retour d'expérience est un outil relativement récent développé dans le domaine de la maîtrise des risques des systèmes complexes (aviation, nucléaire, ferroviaire, etc.) ayant

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pour principal objectif le maintien d'un niveau de sécurité optimal du système considéré. Plusieurs auteurs remarquent que « Le retour d'expérience est une démarche

nécessaire dans tous les secteurs d'activité à risques. » (Gilbert, 1999, p. 4). « C'est l'objet indispensable à toute politique de sécurité de systèmes complexes. » (Amalberti &

Barriquault, 1999, p. 67). « C'est une démarche organisée et systématique de recueil et

d'exploitation des signaux que donne un système. [...] Le retour d'expérience fournit des données pour l'étude des risques. C'est l'outil essentiel de la maîtrise des risques [...] et l'outil principal pour avoir des informations exploitables sur les comportements réels en situation de production. » (Mortureux, 2004, p. 1).

Dans les domaines les plus avancés en matière de gestion des risques (nucléaire, aviation, ferroviaire, etc.), le retour d'expérience est défini comme un processus itératif de recueil, d’analyse et d’apprentissage des facteurs techniques, humains et organisationnels en jeu lors d’évènements qui se produisent dans un système complexe à risques afin d’en améliorer la compréhension et d’optimiser les interventions liées à la sécurité (Wybo & al., 2003).

« La démarche de retour d’expérience consiste à utiliser le développement d'un événement réel comme une opportunité pour collecter l'expérience individuelle de plusieurs acteurs et la réunir sous la forme d'une expérience collective. Le retour d’expérience doit permettre de capter la représentation de la dynamique des situations pour mieux comprendre les accidents passés et permettre de partager l’expérience acquise lors de la gestion des risques et des crises. » (Wybo & al., 2003, p. 7.).

Le retour d’expérience est une démarche managériale d’amélioration continue de la

sécurité du système considéré qui implique tous les niveaux hiérarchiques de l’organisation. Il permet de consolider les forces du système (barrières de prévention et de

protection qui ont bien fonctionné, réseaux d'acteurs qui ont collaboré, organisation adaptée, etc.), mais aussi de déceler les faiblesses du système qu'elles soient techniques, organisationnelles ou humaines (problème au niveau de la communication, de l’information, des compétences, du savoir, etc.).

Selon Wybo, Colardelle et Guinet (2005) et Wybo et al. (2003), le retour d'expérience est considéré comme une source de progrès des organisations. Il s'applique à l'étude des événements non voulus et à leur gestion. Il permet de comprendre l'enchaînement des faits, d'identifier les difficultés techniques, humaines et organisationnelles rencontrées et les pistes d'amélioration. Il a pour objectif de mettre en valeur les acteurs et les modes d'organisation qui ont permis de gérer des situations délicates (actions et informations qui ont joué un rôle positif sur le déroulement de la situation). Il doit être aussi une opportunité de dialogue et de partage afin de participer à l'apprentissage de tous. Les auteurs parlent de « retour d'expérience positif ».

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1.2. Des approches propres aux besoins de l’organisation