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Chapitre 3. Gestion des risques et système tunnel

1. Les cindyniques et la gestion des risques

1.1. Les cindyniques : une science pluridisciplinaire

1.1.1. Définition

Le terme « cindynique » est de création récente (Wybo, 2002). Il a été inventé par l’université de la Sorbonne et apparaît pour la première fois dans le journal Le Monde en 1987 et dans le dictionnaire Larousse, quelques années plus tard, avec la définition suivante : « Ensemble des sciences et des techniques qui étudient les risques (naturels et

technologiques) et leurs préventions. » (Larousse, 2003, p. 217).

D’après Kervern et Boulenger « Le terme vient du grec kindunos qui signifie le danger. »

« Les cindyniques sont une science et regroupent ce que l’on appelle, un peu familièrement, les sciences du danger. » (2007, p. 1). Kervern et Wybo les définissent

ainsi : « Science visant à rendre intelligibles et donc prévisibles, les dangers, les risques

qui en découlent, endogènes et exogènes au sein d’un système et de permettre de les réduire. » (2002, p. 34).

Les cindyniques désignent les divers aspects des recherches sur le danger. Il s’agit d’un vaste espace qui couvre des domaines techniques, scientifiques mais également sociologiques (Wybo, 1998). Ces études peuvent être décomposées en trois parties :

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L’approche de Kervern, fondateur des éléments théoriques des cindyniques, tend à fédérer différentes disciplines qui concourent à l’analyse et la compréhension des dangers et des risques dans les systèmes socio-techniques complexes (Kervern & Rubise, 1991). En effet, il remarque que « Les développements actuels permettent à l’approche cindynique

d’investir des champs d’application très divers et trouvent une pertinence dans les domaines : de la psychologie, […] de l’appréhension et la résolution des crises majeures. » (Kervern & Boulenger, 2007, p. 2).

Les cindyniques proposent un cadre de formalisation qui permet de décrire, d’analyser et de gérer les situations. Elles fournissent une formalisation globale des risques et des

dangers. L’objet d’étude est la situation porteuse de danger (situation cindynique) (Wybo,

2002). Elle peut être représentée de différentes façons dont nous reparlerons plus en aval.

1.1.2. Evolution dans le temps : prise en compte des facteurs

humains et organisationnels

Pour faire face à l’augmentation de la complexité des systèmes et maintenir un niveau suffisant de sécurité, les recherches ont porté sur différents aspects des systèmes socio-techniques. Il est possible de trouver un consensus entre les auteurs sur l’existence de trois générations (Kervern & Wybo, 2002 ; Kervern & Boulenger, 2007 ; Morel, 2007). Cependant selon le domaine considéré et son évolution, leur enchaînement et leurs caractéristiques ne sont pas toujours les mêmes. Nous retenons ce qui est commun dans les approches de l’analyse et de la gestion des risques. Selon nous, elles peuvent se décomposer à partir de trois points de vue : technique, individuel et organisationnel.

1.1.2.1. Approche technologique

Selon Kervern et Wybo (2002), la première génération s’est formée à partir des réflexions sur les évènements de Bhopal (1984), Tchernobyl (1986) et Challenger (1986). Elle correspond aux premiers efforts en matière de sécurité qui ont porté sur le

développement de méthodes et outils visant à fiabiliser les composants techniques des systèmes. Leur mise en oeuvre s’est traduite par une diminution très nette des accidents

attribués aux défaillances techniques (Morel, 2007).

Soulignons dans cette approche, le point de vue de Lagadec (2003) qui parle de risque

technologique majeur et fait l’hypothèse que derrière les « séries » de catastrophes existe

un générateur de catastrophes. L’étude du processus de production des catastrophes (involontaires) est assimilé à un processus industriel de production qui doit être décrit de façon scientifique pour être maîtrisable (Kervern & Wybo, 2002).

1.1.2.2. Approche individuelle

Par la suite, un certain nombre d’accidents industriels majeurs ont fait apparaître que l’opérateur humain constituait un facteur « d’infiabilité ». Le besoin de fiabiliser la composante humaine s’est alors imposé comme une évidence. Les principes quantitatifs

issus de la sûreté de fonctionnement et un certain nombre de méthodes visant à améliorer la fiabilité humaine ont été élaborés. Cependant, plusieurs accidents dont

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Three Miles Island (1979) ont fait prendre conscience des limites de ces méthodes de quantification des erreurs et de la nécessité de développer de nouveaux cadres de description visant à mieux appréhender la composante humaine dans sa dimension cognitive (Morel, 2007).

La psychologie ergonomique a apporté ces cadres de description, notamment grâce aux travaux ayant été réalisés sur la modélisation du fonctionnement cognitif des opérateurs (Rasmussen, 1987) et ceux ayant porté sur l’erreur humaine (Reason, 1990).

L'image des opérateurs humains a évolué. Jusqu'alors considéré comme le maillon faible du système, de part son inattention, ses « limites » intellectuelles ou ses comportements « déviants », la prise en compte par l'ergonomie des aspects humains a permis de faire

évoluer la compréhension à propos du « facteur humain » (Chevreau, 2008). Des

spécialistes des sciences humaines (ergonomie, psychologie, organisation, etc.) ont commencé à être impliqués dans la conception des salles de contrôle, l'analyse des risques, la formation des opérateurs ou l'aide à la décision (Amalberti, 1996 ; Hoc & Amalberti, 2003). Leur contribution vise l’amélioration des conditions dans lesquelles s’effectue l’activité de l’homme et porte sur de nombreux aspects (interfaces homme-machine, présentation des informations, etc.).

Cependant, comme le notent Kervern et Wybo (2002), « Ce sont évidemment les erreurs et

les défaillances humaines, mais aussi la capacité des individus et des organisations à résister aux situations de danger, qui ont très rapidement conduit les recherches sur le danger à prendre en compte les facteurs humains et organisationnels, ainsi que les questions de Culture. » (p. 34).

1.1.2.3. Approche organisationnelle

Selon Morel (2007), l'objectif d'évitement total de l'erreur a rapidement été abandonné et la sécurité s'est naturellement déplacée vers une perspective plus systémique (Reason 1990, 1997 ; Rasmussen, 1997). En effet, la série d’accidents majeurs survenus entre 1985 et 1990 (Bhopal, Tchernobyl, Challenger, etc.) a mis en évidence que les causes

de ces accidents pouvaient se situer au niveau des sphères managériales et organisationnelles des systèmes complexes et non pas uniquement au niveau du travail

réalisé par les opérateurs humains.

La sociologie s’intéresse vivement à ce type d’approche en examinant plus particulièrement le rôle des organisations dans la genèse des accidents. Deux approches majeures ont été développées. La première est centrée sur les accidents qui surviennent au niveau des sphères organisationnelles des systèmes (Turner, 1978 ; Vaughan, 1996, 1999 et 2005) et la deuxième s’intéresse davantage à la manière dont les organisations peuvent jouer un rôle en matière de sécurité (culture de sécurité, etc.). Par la suite, de nombreux chercheurs en psychologie ergonomique se sont inscrits dans cette mouvance. Ils portent notamment un intérêt aux situations dynamiques complexes (aéronautique, rail,

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D’après Perilhon et Londiche (2003), « Nous sommes passés d’une démarche déterministe

et probabiliste, essentiellement centrée sur les procédés industriels, à une approche systémique qui souligne les points de vue quelquefois contradictoires des différents acteurs. L’importance du facteur humain et de la composante « gestion des risques » sont aujourd’hui reconnus. Les dysfonctionnements observés mettant en cause les facteurs humains et organisationnels sont de plus en plus nombreux et constituent les domaines où des progrès sensibles sont attendus. La mise en place de modèles s’est imposée. » (p. 53).

Le terme « maîtriser » est utilisé pour traduire l'association d'une connaissance des risques et d'une volonté d'agir pour prévenir les causes et protéger des conséquences. Les

objectifs de la maîtrise des risques sont de supprimer ou de réduire les éléments dangereux, mais aussi d’être capable de réagir de manière appropriée quand le risque se transforme en accident ou en crise (Wybo, 2004b ; Wybo, Colardelle &

Guinet, 2005). Pour atteindre ces objectifs, les organisations mettent en place des moyens et des stratégies de prévention, de protection et d'intervention. Cependant, le terme maîtriser peut avoir plusieurs définitions et renvoie à des notions de perfection, de capacité à se rendre maître de forces difficilement contrôlables alors que gérer la crise ou un problème se définit comme administrer les choses au mieux malgré une situation difficile (Larousse, 2003). Nous préférons utiliser le terme gérer car notre approche repose sur la prise en compte des facteurs humains qui, selon nous, ne peuvent être parfaits et totalement contrôlables même si les apports de l’ergonomie permettent de se rapprocher au plus près du comportement attendu.