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Chapitre 3. Gestion des risques et système tunnel

2. La sécurité et les risques en tunnel routier

2.1. Gestion et réglementation des tunnels routiers

2.1.1. Des organisations diverses en évolution constante

La gestion des tunnels routiers s’inscrit dans le contexte politique et économique des infrastructures routières de transports. Comme pour le réseau routier, les tunnels routiers sont gérés selon le type de voie sur lequel ils se situent (sauf cas particuliers), conduisant ainsi à une multiplicité et à une diversité des gestionnaires résumées comme suit (Tableau 1) :

Tableau 1 : Les gestionnaires de voiries routières

Gestionnaire Voies concernées

Sociétés concessionnaires d’autoroutes Autoroutes à péage (≈ 8 200 km ) Etat Routes nationales

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(≈ 26 600 km) et autoroutes non concédées (≈ 2 600 km)

Collectivités territoriales (conseils généraux et conseils municipaux)

Routes départementales (≈ 360 000 km) et voies communales (≈ 604 000 km)

Il existe une diversité des types de tunnels en fonction du site (urbain ou non urbain) sur lequel ils se situent, du nombre de tube(s), du caractère unidirectionnel ou bidirectionnel, de la densité du trafic, (etc). Il en résulte une diversité des procédures applicables pour la gestion quotidienne et la gestion d’évènements qui sont propres à chaque tunnel. Ce contexte a connu une évolution récente : l’application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales a conduit au transfert par l’Etat des deux tiers des routes nationales aux départements et la réorganisation des services routiers de l’Equipement.

Dans son article, Deffayet (2008) met en lumière la diversité et la complexité des tunnels routiers : « On compte à la fin 2007 un peu plus de 920 tunnels routiers en exploitation en

France dont […] 197 tunnels qui ont une longueur supérieure à 300m. » (p. 473). Il

souligne l’importance du seuil des 300m de longueur car la réglementation en matière de sécurité a mis en place des dispositions spécifiques et a doté le préfet d’un pouvoir de police spécial. Toutefois, « Pour atténuer les effets de seuil (en quoi un tunnel de 290m

nécessiterait moins de précautions qu’un tunnel de 310m) et éviter les effets pervers (par exemple distordre un tracé pour que le futur tunnel ne dépasse pas 290m), il existe une certaine graduation dans la montée en puissance des dispositions techniques et organisationnelles à prévoir. » (p. 473).

« Une autre des caractéristiques françaises tient à son organisation administrative. Celle- ci conduit à ce que certains ouvrages appartiennent à l’Etat, d’autres aux départements, et d’autres enfin aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale (en particulier les communautés urbaines), l’ensemble de ces acteurs pouvant déléguer ou non tout ou partie de la réalisation et de l’exploitation de leurs

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ouvrages. Après le récent transfert d’une partie du réseau routier de l’Etat vers les départements, la situation par maître d’ouvrage est la suivante (Tableau 2) :

Tableau 2 : Situation fin 2007 des tunnels routiers français de plus 300m, d’après Deffayet (2008)

Nombre de tunnels Dont plus de 300m Dont plus de 1000m

Tunnels du réseau routier Etat

Non concédés (1) 93 42 15

Concédés (2) 63 41 16

Tunnels du réseau des collectivités territoriales

Gérés par les Départements ou les Régions 559 55 5

Gérés par d’autres collectivités 208 59 9

Total général 923 197 45

(1) y compris les tunnels de Somport et de Tende (2) y compris les tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc

Cette répartition par maître d’ouvrage est importante car la réglementation ne peut pas s’imposer de la même manière à tous ces maîtres d’ouvrages ; en particulier l’Etat peut aisément fixer des exigences pour les tunnels dont il est propriétaire (par voie de circulaire par exemple) mais il faut une loi pour imposer des contraintes ou procédures aux collectivités territoriales. Cela explique les étapes successives dans l’évolution de la réglementation française. » (pp. 473-474).

Si l’infrastructure « tunnel » comporte une diversité du point de vue des types de tunnel et de leur organisation, les utilisateurs possèdent également des caractéristiques propres (nationalité, âge, expérience de conduite, type de véhicule utilisé, etc.) et ne sont pas les mêmes au cours du temps (vacanciers, professionnels, habitués, etc.).

A travers ces éléments, il apparaît que le système tunnel se compose d’une multitude d’organisations et d’acteurs (professionnels et usagers) amenés à interagir. Il s’inscrit dans un contexte réglementaire qui évolue dans le temps et impose des dispositions pour la construction et l’exploitation des tunnels.

Notre travail a été principalement conduit auprès de la SFTRF, société qui exploite quatre tunnels autoroutiers et un tunnel bi-national. Nos diverses interventions auprès d’autres exploitants de tunnels situés sur des autoroutes, des routes nationales et départementales, concédées ou non, nous ont permis d’avoir une vision globale du système tunnel et de mieux l’appréhender. Ainsi notre point de vue est centré sur les pratiques françaises tout en étant ponctué par des éléments de comparaison avec les pratiques européennes et internationales.

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2.1.2. Principaux éléments de réglementation

2.1.2.1. Le contexte réglementaire

Les conséquences et les leçons tirées des analyses d’évènements majeurs réels ont permis à différents pays de faire évoluer la réglementation en tunnel routier (Colombo, 2001 ; Mashimo & Mizutani, 2003 ; Ceci, 2008). En lien avec notre recherche, nous évoquons le contexte réglementaire français et européen25.

L’événement du Mont-Blanc a entraîné une réaction rapide du législateur et du réglementateur français pour la prise en compte de la sécurité (Centre d’Etudes des Tunnels [CETU], n.d.). Jusque-là deux textes concernaient principalement des aspects techniques et s’appliquaient aux tunnels de l’Etat, une circulaire relative à la réglementation de la circulation des véhicules routiers transportant des matières dangereuses (1976) et une circulaire relative à la sécurité des tunnels routiers (1981). En 1999, une refonte de la circulaire concernant le transport de marchandises dangereuses était presque terminée et une proposition de directive technique était rédigée depuis 1996. Des difficultés notamment quant à l’application à tous les maîtres d’ouvrages de ces nouveaux textes n’avaient pas encore permis leur publication officielle.

  

 En 2000, deux circulaires applicables aux ouvrages de l’Etat remplacent les deux

précédentes, l’une est relative à la sécurité dans les tunnels routiers et l’autre est relative à la réglementation du transport de marchandises dangereuses (TMD).

Depuis 2006, la circulaire n°2000-63 est remplacée par la circulaire du 29 mars 2006 (à l’exception de son instruction technique qui reste en vigueur).

  

 Un texte de loi avec son décret d’application permettant d’étendre les procédures

des circulaires à tous les maîtres d’ouvrage sont parus respectivement en 2002 et 2005.

  

 La directive européenne du 24 juin 2004 concerne des exigences de sécurité

minimales applicables aux tunnels du réseau transeuropéen (RTE) élaborées dans la perspective d’assurer un niveau de sécurité satisfaisant aux usagers de la route. Suite aux évènements de 1999, la France a été le premier pays à modifier sa réglementation sur la sécurité des tunnels et à contribuer fortement aux travaux européens et internationaux traitant de la sécurité en tunnel. Ainsi la Commission Européenne s’est inspirée pour une majeure partie des pratiques françaises pour rédiger la directive (CETU, 2004). Une loi et un décret, parus en 2006, fixent les modalités d’application de cette directive pour la France.

  

 Par ailleurs, en 2007 et 2008, d’autres textes traitent de domaines plus spécifiques

(signalisation routière et radiotransmissions) et viennent compléter la réglementation. Selon Deffayet (2008), les récents arrêtés du 11 février 2008 relatifs à la signalisation complètent les textes français de transposition de la directive européenne.

Soulignons également que la réglementation des tunnels binationaux peut être régie par un accord international (traité ou échange de lettres) co-signé des deux pays dont ils

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dépendent. Pour les tunnels situés sur le RTE, les textes doivent être réécrits en intégrant si besoin les exigences apportées par la directive.

La Figure 9 récapitule depuis 1999 la chronologie des principaux faits marquants et la réglementation en tunnel routier.

Figure 9 : Les évènements majeurs et la réglementation en tunnel routier depuis 1999, d’après Auboyer et al. (2007)

2.1.2.2. Les principes réglementaires

 Les procédures

Tous les tunnels routiers français appartenant à l’Etat de plus de 300 mètres de longueur sont soumis aux mêmes procédures. Il est imposé l’élaboration et la mise à jour d’un dossier de sécurité comportant l’avis d’un expert indépendant agréé. Ce dossier rassemble tous les documents, descriptions et études indispensables à la bonne compréhension du fonctionnement et de la sécurité de l’ouvrage à chaque étape de sa vie.

Le dossier de sécurité décrit notamment l'organisation et les moyens mis à disposition

pour assurer le fonctionnement normal du tunnel, la prévention des accidents ainsi que la sécurité des personnes en cas d'incident ou d'accident. Doivent y être inscrits :

les dispositions de sécurité définissant le fonctionnement et l'utilisation des

dispositifs de sécurité ainsi que la conduite à tenir pour le personnel de l’exploitant (en traitant notamment du régime de ventilation, des liaisons avec les services de secours, de la fermeture du tunnel pour indisponibilité des équipements ou du personnel) ;

le plan d'intervention et de sécurité (PIS), élaboré par l'exploitant en liaison avec

les services d'interventions extérieurs. Il est relatif à la sécurité des personnes et décrit les principes généraux d’action de l’exploitant ainsi que leur articulation avec les procédures des forces de l’ordre et des services publics de secours, qui disposent par ailleurs de leurs propres schémas opérationnels pour faire face aux situations susceptibles de mettre en cause la sécurité des personnes (CETU, 2006).

Au travers de ces différents éléments, le dossier de sécurité tend à induire le meilleur comportement possible du personnel « exploitant ». Il intègre le comportement de l'usager par le biais de l'étude spécifique de danger (ESD). Cette étude consiste à décrire les accidents, quelle que soit leur origine, susceptibles de se produire ainsi que la nature et

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La construction et mise en service d’un tunnel neuf est soumise à un avis préfectoral avant le commencement des travaux puis à son autorisation avant la mise en service. Par la suite, un examen périodique de sécurité doit être réalisé tous les six ans afin de renouveler l’autorisation de mise en service, voire plus rapidement en cas de modification importante des conditions d’exploitation ou des risques. Le préfet peut également demander un diagnostic de sécurité à tout moment.

L’approbation des projets et les autorisations de mise en service des ouvrages neufs sont soumises à l’avis de la commission nationale d’évaluation de la sécurité des ouvrages routiers (CNESOR). Cette commission a également pour mission l’examen des dossiers de sécurité de tous les tunnels en exploitation et donne un avis sur les conditions de poursuite de l’exploitation.

 Les responsabilités

Le principal acteur de la sécurité en tunnel routier est le gestionnaire du tunnel (c’est à dire le maître d’ouvrage ou son exploitant lorsqu’il correspond à un autre intervenant). Pour chaque ouvrage, y compris les tunnels binationaux il ne peut y avoir qu’un seul exploitant.

L’autorité administrative veille à la prise en compte de toutes les composantes de la

sécurité des tunnels. Elle a le pouvoir de fermer le tunnel si elle juge que la sécurité est insuffisante. En France, cette responsabilité est assumée par le préfet. Il est aidé dans sa mission par la CNESOR et la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité (CCDSA) qui émettent des avis sur la sécurité des ouvrages.

Une entité de contrôle est chargée d’effectuer les contrôles et évaluations. En France,

cette fonction est assurée par des experts ou organismes qualifiés.

L’agent de sécurité est un nouvel acteur, désigné par le maître d’ouvrage, introduit par la

directive européenne et imposé pour les tunnels de plus de 500 mètres sur le RTE. Il coordonne toutes les mesures de sécurité et veille à la coordination avec les services d’intervention.

 Les dispositions d’exploitation

Les exploitants sont tenus d’organiser, conjointement avec les services de secours,

un exercice de sécurité annuel visant à évaluer les réponses et la coordination des

personnels « exploitant » et des services de secours face à un événement donné. Il leur est également imposé la mise en place d’un dispositif permanent permettant d’enregistrer

et d’analyser les évènements significatifs (retour d’expérience « interne » ou « local »).

Tous les six ans lors de l’évaluation du dossier de sécurité, un compte-rendu des incidents et accidents significatifs survenus doit parvenir au préfet.

Les exploitants des tunnels de l’Etat ont également l’obligation d’alimenter une base centrale de données concernant les incidents et accidents significatifs survenus dans leur(s) ouvrage(s) (retour d’expérience « réglementaire »).

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En application de la directive européenne, les exploitants de tunnels de plus de 500 mètres situés sur le RTE doivent transmettre un compte-rendu de retour d’expérience dans un délai d’un mois au préfet ainsi qu’aux services d’intervention et de secours et à l’agent de sécurité. L’arrêté du 8 novembre 2006 précise les procédures à réaliser en cas de volonté de déroger aux mesures minimales de sécurité.

A noter que pour les tunnels situés hors du réseau national et hors du réseau RTE, le compte-rendu d’analyse des évènements est remonté au préfet tous les six ans pour la poursuite de l’exploitation du tunnel.

 Les dispositions techniques

En ce qui concerne les tunnels de l’Etat, d’une longueur supérieure à 300 mètres, l’instruction technique de la circulaire de 2000 ne s’applique qu’aux tunnels neufs. Il n’existe pas de texte obligatoire pour les ouvrages existants ni pour les ouvrages de plus de 300 mètres des collectivités territoriales. Cependant, cette instruction reste le référentiel technique pour la définition du niveau de sécurité.

Cette circulaire définit notamment les moyens mis à disposition des usagers pour donner l’alerte (poste d’appel d’urgence) et pour se mettre à l’abri en attendant l’arrivée des secours (abris pressurisés ou issues de secours). Elle vise à assurer la protection et

l’évacuation des usagers d’une part et l’intervention des services de secours d’autre part. Elle fait une place particulière aux conditions d’exploitation.

Pour les ouvrages neufs ou en exploitation de plus de 500 mètres sur le RTE, la directive est a priori moins contraignante concernant les exigences minimales. La principale différence réside dans la mise en place de poste de secours tous les 150 mètres dans les ouvrages neufs au lieu de 200 mètres dans l’instruction technique.