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Chapitre 4. Retour d’expérience et méthode de recherche

2. Le retour d’expérience en tunnel routier

2.2. Diagnostic des pratiques

Sur la base d’entretiens avec les représentants des sociétés partenaires, les différentes rencontres ont permis de recueillir les témoignages des responsables locaux sur leur perception de la base de données réglementaire ainsi que ceux du personnel de l’exploitant (opérateurs, chef sécurité, etc.) et de visiter les ouvrages. Les entretiens ont été complétés par le point de vue des responsables de la base de données qui la gèrent au quotidien au niveau central (CETU).

2.2.1. Le retour d’expérience réglementaire

Les exploitants et les responsables de la base de données questionnés reconnaissent que le retour d’expérience est le vecteur de valorisation et de partage de leur

expérience. Toutefois, la base de données nationale est perçue comme une obligation

nécessitant un lourd travail de saisie informatique de données ne répondant pas à leurs

besoins propres en terme de capitalisation et de partage d’expérience en matière

d’incidents ou d’accidents en tunnel.

En effet, les exploitants n’assimilent pas ce dispositif à « un véritable retour d'expérience

(avec échanges d'informations) » mais considèrent qu’il relève « d'une remontée réglementaire d'informations ». Ils constatent, entre autre, que la fiche pré-formatée mise à

leur disposition ne permet pas de rendre compte des comportements des usagers.

Il est également remarqué que le résultat est décevant au regard de l’effort fourni pour alimenter ce retour d’expérience. Les rapports annuels rendus anonymes sont jugés peu efficients pour permettre un partage réel d’expérience entre exploitants d’un même type d’ouvrage. En conséquence, la remontée des évènements n’est ni systématique ni homogène.

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Au vu des éléments exposés par les exploitants et par les responsables de la base de données du CETU, il apparaît important de faire évoluer le dispositif de retour d’expérience réglementaire en fonction des difficultés exprimées afin d’adapter le système aux besoins de chacun.

2.2.2. Les pratiques locales

2.2.2.1. Pratiques courantes

Dans les sociétés rencontrées, deux types de retour d’expérience sont la plupart du temps réalisés en interne.

D’une part, les retours d’expérience sur les évènements significatifs (incendies/accidents) font généralement l’objet d’un débriefing avec le personnel de l’exploitant et les services d’intervention et de secours au cours duquel l’ensemble des éléments constitutifs de l’événement et son traitement sont discutés puis analysés. Le plus souvent ce type d’évènements est renseigné dans la base de données du CETU.

D’autre part, les retours d’expérience sur les évènements « mineurs », jugés porteurs d’enseignement, font parfois l’objet d’un débriefing réunissant les personnels « exploitant. » Ces évènements sont quelques fois remontés dans la base de données réglementaire.

S’il existe des points de ressemblance entre ces deux types de retour d’expérience, le

formalisme utilisé est généralement propre à chaque exploitant. Le comportement des

usagers peut faire l’objet d’un traitement particulier mais celui-ci est rarement formalisé et est limité aux données accessibles (vidéo sans recueil de témoignage). Il n’est pas traité à partir d’une approche psychologique.

En 2005, dans le cadre d’un partenariat avec le Centre de recherche sur les Risques et les Crises, un exploitant a engagé une étude spécifique afin d’élaborer un système

de retour d’expérience « le plus transparent possible » qui intègre des indicateurs

pouvant être exploités par les différents services de la société. Nous présentons cette approche car elle est source d’apprentissage pour l’élaboration du système de retour d’expérience à proposer aux exploitants (Ecole des Mines de Paris - Cofiroute, 2005). Le système défini comporte trois niveaux d’analyse d’événement et inclut les dispositions réglementaires aux pratiques internes. Le « cœur » du système repose sur un outil de gestion et d’analyse des données qui contient les informations (indicateurs) concernant tout événement anormal qui se produit (fiche main courante, réclamation des usagers, etc.). Un premier niveau de retour d’expérience (niveau de veille permanente) correspond à la surveillance des indicateurs pour lesquels tous les mois un tableau de bord est émis. Chaque responsable de service peut interroger la base de données sur les indicateurs qui l'intéressent. Si les indicateurs ont besoin d’être analysés ou si un événement est considéré comme significatif, un retour d’expérience de deuxième niveau (niveau évènementiel) est

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Lorsque l’évènement significatif décelé correspond aux prescriptions de l’instruction technique d’août 2000, un retour d’expérience de troisième niveau est réalisé. Ce niveau correspond au retour d’expérience réglementaire pour lequel un débriefing a lieu avec le préfet. Par la suite, un compte-rendu par voie électronique est envoyé au préfet et au CETU.

2.2.2.2. Exemple d’un exploitant

Pour donner un exemple d’organisation, nous évoquons les principales pratiques observées au sein de la SFTRF en matière de retour d’expérience sur les évènements d’exploitation et les exercices des sécurité.

 En ce qui concerne les tunnels de l’autoroute A43, une synthèse des évènements est

élaborée tous les jours puis un compte-rendu mensuel des évènements significatifs est remonté à la direction. Les évènements significatifs font l’objet d’un débriefing interne et, si besoin, d’un débriefing avec les services incendie. Ils sont l’occasion de faire le point sur la gestion de l’événement avec les acteurs de l’événement et de proposer, voire mettre en place, des solutions pour pallier les difficultés rencontrées. L’analyse porte surtout sur les aspects techniques et organisationnels. Ces compte-rendus résument les principaux points ressortis de chaque événement. Certains points saillants font l’objet d’analyses et des mesures correctives sont appliquées si nécessaire.

Les réunions de service avec les opérateurs, les fiches d'incident d'exploitation et d'incident technique ainsi que la main courante s’intègrent à la démarche de retour d’expérience. Trois ou quatre exercices sont réalisés chaque année (exercice réglementaire annuel, exercice interne, exercice externe, exercice cadre). Ils font l’objet d’un débriefing interne et d’un compte-rendu transmis à la hiérarchie.

 Au niveau du tunnel du Fréjus, un retour d’expérience « opérationnel » est mis en

œuvre sur la base d’une réunion deux fois par an avec les opérateurs/régulateurs. Elle est l’occasion d’émettre des pistes de progrès et de passer en revue les PSB39. Les opérateurs préparent les évènements qui feront l’objet de la réunion. Au cours de celle-ci, le déroulement de l'évènement avec le timing (chronologie d'intervention) et des illustrations (photos) sont présentés. Un retour est fait sur ce qui s'est passé (points positifs et négatifs) et un compte-rendu est établi. Les pompiers « tunnel » qui ne sont pas présents lors des PSB font l'analyse des images du fichier vidéo et le support de présentation pour la réunion avec les opérateurs. Parfois un ou deux d’entre eux participent à la réunion avec les opérateurs.

Les pompiers « tunnel » ont une réunion mensuelle qui fait l’objet d’un compte-rendu. Les notes internes facilitent le dialogue avec les personnels.

En ce qui concerne les exercices, deux à trois exercices sont réalisés chaque année. L’exercice réglementaire fait souvent l’objet d’un scénario incendie. Les services internes et les services publics de secours des parties française et italienne sont toujours présents.

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Parfois le personnel d'exploitation des deux sociétés joue le rôle des usagers avec des rôles prédéfinis.

Ces exercices font l’objet d’un débriefing avec le personnel interne et les services publics (sapeurs-pompiers et gendarmes) ainsi que d’un compte-rendu. Les éléments analysés sont en particulier les procédures, les installations et l’engagement des secours.

2.2.3. Le retour d’expérience sur les exercices

Les exercices de sécurité donnent lieu généralement à une réunion de débriefing plus ou moins formelle avec le personnel de l’exploitant, parfois les services d’incendie et de secours y participent et un compte-rendu en est fait.

Certains exploitants regrettent que ces réunions soient souvent très institutionnelles (surtout quand elles sont présidées par la préfecture) et qu'elles s'attachent plus à respecter la forme et à protéger les bonnes relations entre les acteurs qu'à vraiment approfondir l'analyse de l'évènement ou de l'exercice pour en tirer les enseignements positifs et/ou négatifs. Ils estiment que sur certains évènements, il serait intéressant de s'interroger sur ce qui a concouru à un bon traitement de la situation et ce qui à l'inverse aurait pu la faire basculer vers une situation de crise. Par ailleurs, il a été souligné l'importance qui doit être donnée au suivi des enseignements tirés des retours d'expérience. Certains exploitants font état de difficultés récurrentes avec certains services qui formalisent peu voire pas du tout les retours d’expérience et de rapports humains parfois difficiles avec d’autres intervenants lors du déroulement des interventions. Ce sentiment est partagé par certains membres des services d’incendie et de secours.

Dans ces exercices, les usagers sont joués par des plastrons au rôle prédéfini par le concepteur de l’exercice. Le comportement est déterminé a priori, le plus souvent sur la base de certaines idées pré-conçues, et ne permet pas d'observer les réactions naturelles des participants. Par l’absence d’interview, les exercices actuels ne permettent pas de recueillir de données sur le comportement des usagers et leurs déterminants.

Pour les exploitants ces exercices visent trop souvent à vérifier « le bon fonctionnement et la bonne application des procédures, l’utilisation des outils, etc. » et pas assez la mise en avant de certaines difficultés et des moyens déployés pour les dépasser. De même les bonnes pratiques qui ont pu apparaître ne sont pas systématiquement répertoriées.

2.2.4. Bilan et perspectives

Aujourd’hui, les dispositifs de retour d’expérience existants dans le domaine des tunnels routiers ne donnent pas la possibilité, dans la majorité des cas, d’approfondir les déterminants du comportement des différents acteurs et en particulier celui de l’usager (manque de méthode, d’outil approprié). En effet, les retours d’expérience existants conduisent généralement à la rédaction de rapports d’évènements décrivant ces derniers de façon hétérogène. Le comportement des usagers est décrit en termes trop lapidaires,

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la plus objective possible de l’événement et d’un manque de formalisme de rapport commun.

Les recherches et pratiques en matière de sécurité dans les systèmes à risques ont d’abord et pendant longtemps été orientées sur les aspects techniques avant de prendre en compte, plus ou moins récemment, les facteurs humains. De même, les

stratégies de sécurité en tunnel routier ont, jusqu’à présent, principalement porté sur l'amélioration des dispositions techniques. Dans ce contexte, le retour d'expérience s'est surtout focalisé sur les composantes « infrastructure » et « exploitant ». Dans cette perspective, le tunnel est considéré comme un système industriel et la démarche de retour d’expérience découle de cette perception.

Au vu des éléments exposés, il apparaît le besoin de redéfinir un dispositif de retour d’expérience au sein de l’exploitation des tunnels routiers. Il s'agit maintenant de développer le retour d'expérience autour de la composante « usager » en intégrant les interactions avec les autres sous-systèmes et les caractéristiques psychologiques des usagers telles que les représentations, la perception, les connaissances et l'expérience (facteurs cognitifs et affectifs). Pour cela, il faut introduire dans un monde d’ingénieurs et de techniciens une nouvelle vision du tunnel, défini comme un système socio-technique, et un processus de retour d’expérience (REX), qui doit intégrer les facteurs humains et organisationnels.

L’analyse des évènements réels et des exercices de sécurité est source de progrès pour la sécurité en tunnel routier en termes de réglementation et de stratégie notamment. Elle est conduite sur les incidents (fréquents, gestion quotidienne), les accidents (plus rares) et les catastrophes (exceptionnelles). Aujourd’hui, les progrès portent sur trois aspects,

technique, organisationnel et réglementaire (Figure 15). Comme dans d’autres domaines

industriels, lorsque les progrès en matière de technique ont atteint un certain palier (niveau de sécurité élevé) on s’est intéressé aux facteurs humains et organisationnels dans l’analyse des évènements. Dans le domaine des tunnels routiers, les progrès doivent être orientés sur le comportement humain (usagers notamment) et les aspects organisationnels dans une situation d’urgence. Les évènements de grande ampleur sont source d’apprentissage. Cependant, ils ne sont le reflet que d’une partie de l’ensemble des évènements qui se produisent au sein des tunnels. Les exploitants gèrent au quotidien des « quasi-accidents » (routines) voire des signaux faibles qui ont, la plupart du temps, une issue favorable mais qui sont également source de progrès pour la sécurité.

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