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Chapitre 1 Problématiser la détresse des intervenants en protection de l'enfance

1.12 Retombées potentielles sociales et scientifiques

En se centrant ainsi sur la perspective des intervenants et à partir de leurs expériences, notre recherche vise à mieux comprendre les DÉ chez les intervenants en protection de l’enfance et mettre en lumière les stratégies pour y faire face. Plus spécifiquement, nous proposons l’ajout de connaissances à partir des objectifs suivants: 1) identifier, à partir d'un point de vue situé, les facteurs (individuels, organisationnels, interpersonnels, etc.) favorisant ou freinant l’émergence des DÉ chez les intervenants; 2) examiner la place du travail émotionnel dans le cadre des fonctions, c’est-à-dire la compréhension, l’évaluation et la gestion de ses propres émotions ainsi que celles des interlocuteurs selon les attentes et les exigences de l’institution; 3) examiner les conséquences des DÉ sur la carrière (ex. arrêt temporaire ou permanent) et sur les relations professionnelles (sur le plan des émotions, des attitudes et des conduites) entretenues avec les collègues, les supérieurs, les collaborateurs, les enfants et les familles suivis; 4) identifier les stratégies de protection disponibles et utilisées par les intervenants, afin de faire face aux difficultés émotionnelles.

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De plus, en considérant les risques et implications pour les intervenants, de même que pour les enfants et leur famille, avec lesquels ils travaillent, il importe de poursuivre le développement des connaissances sur le traumatisme vicariant, sur l’usure de compassion (stress traumatique secondaire) et le travail auprès des survivants traumatiques (Cunningham, 2004; Horwitz, 1998; Maltais et coll., 2015; McFadden et coll., 2015). Notamment, le développement de connaissances sur ces questions permettrait de mieux former les étudiants. En effet, les formations en travail social traitent actuellement peu des défis et de la complexité du travail auprès des personnes résistantes et souvent hostiles (Bessette, 2010. Ferguson, 2005). Ainsi, le « coût » qu'exige le travail auprès d'une clientèle au bagage traumatique pour l'intervenant est rarement abordé (Bessette, 2010; Cunningham, 2004; Dane, 2002). De plus, selon les écrits scientifiques consultée, les connaissances et la formation spécifique (spécialisée) peuvent fournir une protection contre les effets nocifs de l’exposition aux traumatismes de la clientèle (Sprang et coll., 2007). Le développement des connaissances sur cet enjeu de la pratique permettra également d'offrir une meilleure formation en cours d’emploi, quant aux risques liés à l’exercice de la fonction en protection de l’enfance. Il est donc nécessaire d’identifier les facteurs de risque et de protection (résilience) et de tenir compte des émotions vécues par les intervenants, afin de formuler des lignes directrices quant aux pratiques de soutien et de rétablissement professionnel.

Finalement, en tenant compte des résultats et des limites des études présentées, nous proposons également, dans le cadre de cette thèse, de mettre à contribution le domaine de la recherche en travail social dans l’étude des DÉ des intervenants en protection de l’enfance; domaine d’étude majoritairement étudié par la psychologie et la psychiatrie (Haight, Sugrue, Calhoun, et Black, 2016). Ce côté novateur s’ajoute à l’intérêt d’étudier en première instance la question des relations professionnelles (avec les collègues, les supérieurs, les collaborateurs, les enfants et les familles suivis), au moment où les intervenants sociaux vivent des difficultés émotionnelles.

Dans la foulée de cette nouvelle prise de conscience populaire et politique, spécifiquement liée au décès d’un enfant suivi par la Direction de la Protection de la Jeunesse en mai 2019,

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le moment semble opportun pour faire les choses différemment et refléter cette responsabilité collective et partagée dans le bien-être des enfants. En nous intéressant à l’ensemble des modèles proposés par la psychologie, qui séparément, nous éclairent sur les dimensions psychologiques des DÉ des intervenants, l’idée est maintenant de situer et de juxtaposer la complémentarité des dimensions sociales à l’analyse. Pour ce faire, nous utiliserons un cadre d’analyse de la détresse professionnelle qui tient compte de l’influence des dynamiques à la fois organisationnelles et interpersonnelles sur le développement et la prévalence des DÉ. Ainsi, le portrait des DÉ devient plus vaste et complet et offre des alternatives pour repenser la protection des intervenants et, par le fait même, celle des enfants sous leur responsabilité.

Pour ce faire, deux perspectives théoriques seront présentées lors du prochain chapitre. Celle de la sociologie clinique du travail et celle de la sociologie interactionniste des émotions. La sociologie clinique du travail permet de mettre en perspective le registre existentiel (les conditions de travail, la mobilisation des compétences et d’implication subjective et la manifestation de la souffrance comme symptôme de la dysfonction organisationnelle) (Gaulejac, 2014) pouvant être à la source de symptômes psychologiques vécus au ou en raison du travail. De ce fait, cette perspective évite de réduire la détresse des intervenants à des causes strictement individuelles (telles qu’un manque d’adaptation, de motivation, de performance, etc.). Toutefois, si la perspective de la sociologie clinique tend à déduire que les DÉ sont issues des structures organisationnelles et sociales, elle permet moins, en revanche, de comprendre les dynamiques individuelles et interpersonnelles (relations professionnelles avec les collègues, les gestionnaires et les clients) qui peuvent également être sous-jacentes aux difficultés émotionnelles. Ainsi, pour comprendre toutes ces dynamiques telles qu'elles prennent forme dans le travail de l'intervenant, nous ajouterons le cadre de la sociologie interactionniste des émotions. En effet, celle-ci permet l'analyse des dynamiques qui entrent parfois en contradiction ou en tension avec les exigences du « savoir- faire » et du « savoir-être » proposés pour favoriser l’adaptation et le bien-être individuel dans le cadre des fonctions professionnelles (L’huillier, 2006).

La plupart des études actuellement utilisées pour appréhender la problématique s’entendent pour favoriser les recherches de nature quantitative, d’adaptation individuelle et depuis les

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années 1990, pour favoriser la « protocolarisation » des pratiques professionnelles avec l’apparition de la perspective Evidence based Practice (Couturier et coll., 2009). Cette perspective est cependant incomplète. Ainsi, la complémentarité de la sociologie clinique et l'interactionnisme des émotions nous offre la possibilité de sonder d’une manière qualitative le jugement « pratique » et expérientiel des intervenants (Redner, 2001).

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Chapitre 2 – Mieux comprendre les difficultés émotionnelles d’un point de