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Chapitre 4- Portrait de l’expérience des intervenants en protection de l’enfance : Les résultats

4.3 Les causes conjoncturelles des difficultés émotionnelles

4.3.3 Les ressources et les collaborateurs externes

Le troisième facteur conjoncturel identifié implique les ressources et les collaborateurs externes. La section suivante traite des liens avec les partenaires et l’indisponibilité des ressources, ainsi que de l’arrimage avec la magistrature de la Chambre de la Jeunesse.

Les partenaires et l’indisponibilité des ressources

Les répondants font ressortir les défis liés au travail de collaboration avec les partenaires. Comme le souligne Adèle, il existe une incompréhension et une insatisfaction face au mandat

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de la protection de l’enfance exprimées par les différents organismes impliqués dans la protection de l’enfance :

On a les partenaires qui ne comprennent souvent pas. Tu sais, il me semble, j’ai l’impression qu’on est tout le temps tout seul à ramer. Puis tu sais, c’est ça, les partenaires, c’est comme, c’est rare qu’ils soient satisfaits de ce qu’on fait, des décisions qu’on prend. Fait que tu sais, les partenaires, par exemple, du milieu scolaire ne comprennent pas pourquoi on n’a pas retenu le signalement. La même chose pour la police, la même chose pour l’hôpital. Parce que tu sais, ils n’ont pas le même regard, en fait. Toi, tu es pognée avec une loi, puis tu sais, tu es quand même assez limitée dans ce que tu peux faire.

Les intervenants soulignent également l’indisponibilité des ressources, en raison d’une insuffisance de services externes (inexistence des services). À cet effet, Sandra parle d’un manque de ressources communautaires faisant en sorte qu'il est plus difficile pour elle de soutenir adéquatement les familles : « Fait que je vois que ces gens-là, mon Dieu, ils ont un

parcours, puis c’est important de prendre le temps. [...] fait que c’est ça, fait que je vois un peu le manque de ressources du communautaire ». Sandra relie également, comme plusieurs

autres intervenants, les coupes budgétaires des dernières années à l’appauvrissement des services sociaux et à la multiplication des listes d’attente : « Puis que des fois, on a besoin

d’avoir des partenaires, puis que on ne l’a pas tout le temps rapidement, parce qu’il y a de l’attente [...] puis c’est ça, les coupures du gouvernement ».

L’arrimage avec la magistrature de la Chambre de la Jeunesse

Selon les intervenants, la préparation limitée (discussions entre acteurs impliqués) entre les services du contentieux et les intervenants aurait une incidence sur les représentations du délégué de la DPJ devant le juge. À ce sujet, Gabrielle explique que ce manque de communication peut faire en sorte qu'elle n'est pas préparée à intervenir adéquatement lors de l’audition; ce qui peut mettre en péril son témoignage:

On n’a pas eu le temps de se parler beaucoup avant, on envoie notre rapport. Puis bon je vais te poser telle, telle question, mais des fois ils nous posent des questions, puis on ne savait pas qu’ils allaient nous demander ça. Fait que là on bafouille un peu, on n’est pas super prêts.

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Aussi, le nombre de juges serait insuffisant et conséquemment, il y aurait des reports d’audience et des délais dans le traitement des situations familiales (par le tribunal et l’application des mesures), comme l’explique Dominique :

Il y en a beaucoup plus (en référence au nombre de dossiers) parce qu’on a des délais de tribunaux, de six mois. [...] On n’a pas de date d’audience. Parce qu’il n’y a pas de juge. Fait qu’on attend, on attend, on attend, on attend... Mais il y a toujours des mesures d’urgence [...] Il faut que ça passe au tribunal, ça. [...] Fait que nous autres, maintenant, rester 9 mois, 1 an dans un dossier en évaluation, orientation, ce n’est pas rare.

Conséquemment, ces délais alourdiraient la charge de travail et l’aggravation des problématiques. Les relations avec les parents sont également complexifiées, particulièrement au moment où les décisions de la Cour vont dans le sens des demandes des parents et à l’encontre des recommandations du DPJ, comme l’exprime Zoé à cet effet :

C’est plus difficile que quand on a par exemple ce qu’on voulait. Parce que souvent les parents savent un peu qu’on a raison. Mais parce que c’est des parents, parce qu’ils ont une émotivité de parents. Puis c’est normal. Ils veulent aller défendre leurs droits, mais ils finissent par s’y faire en général. Tandis que quand ils ont gain de cause, je vais dire ça comme ça, bien, là ça devient beaucoup plus.... Parce que là, ils viennent beaucoup plus en confrontation avec nous, en disant qu’ils avaient raison puis tout ça. Puis la collaboration...Fait que ça devient beaucoup plus difficile de collaborer à ce moment-là.

Lorsque certaines ordonnances respectent peu les recommandations du DPJ, les intervenants notent également qu’il devient parfois plus difficile d’assurer la protection des enfants. Effectivement, les intervenants doivent poursuivre l’accumulation des faits sans pouvoir intervenir directement sur les risques de dangerosité, puisque le juge ne considère pas les comportements rapportés comme étant des facteurs de risque. Conséquemment, les intervenants doivent composer avec l’attente d’une dégradation notable de la situation ou encore travailler indirectement sur les problématiques. Les propos de Julie sont éloquents à ce sujet :

Quand tu arrives devant le juge. Puis que tu nommes les choses. Puis qu’il prend une décision qui n’est pas la même que ce que toi tu recommandais. Bien, après, s’il se produit les mêmes choses, tu ne retourneras pas devant le juge encore avec les mêmes éléments. Il te faut quelque chose de plus gros, puis de plus lourd pour venir, dans le fond, appuyer ta recommandation.

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Les résultats indiquent que malgré la Loi 25 (Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux) ( Gouvernement du Québec, 2003) visant à rapprocher les services de la population et faciliter le cheminement de toute personne dans le réseau, l’incompréhension des partenaires quant au mandat des services en protection de l’enfance persiste. De plus, malgré les modifications législatives de la LPJ en 2006, visant à moderniser les processus judiciaires et baliser certains recours (CDPDJ, février 2011), l’arrimage, la fluidité et l’accès au système judiciaire pour les services de la protection de l’enfance demeurent problématiques. Notons aussi que les résultats s’inscrivent partiellement dans les conclusions de Grenier et coll. (2016), c'est-à-dire que la dernière réforme du système de santé et de services sociaux aurait conduit à une réduction de l’offre de services au niveau des besoins sociaux de la population.