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Chapitre 4- Portrait de l’expérience des intervenants en protection de l’enfance : Les résultats

4.5 Les stratégies individuelles pour faire face aux difficultés émotionnelles

4.5.2 Mettre ses limites

La catégorie « mettre ses limites » se réfère à la délimitation de certaines frontières auprès du gestionnaire et de la clientèle, ainsi qu’à l’adoption de comportements subséquents. La catégorie renvoie également au fait de documenter les événements ou les situations litigieuses. Finalement, elle comprend aussi le fait d’amoindrir et supprimer ses propres comportements et émotions.

Avec le gestionnaire et la clientèle

Les intervenants reconnaissent leurs zones d’inconforts dans certaines problématiques et dans les dynamiques avec la clientèle, comme le souligne Arianne :

Des fois, en co-intervention, il y a une madame qui vient complètement me chercher. Puis que je me dis : oh que ce n’est pas la bonne journée. Puis je demande à ma collègue: « Regarde, aujourd’hui, ça peux-tu être ton tour au pire, la prochaine fois, je l’appelle ».

Ils le constatent également dans le manque de considération de leur jugement professionnel de la part de leurs gestionnaires. Certains participants, comme Zoé, prennent des moyens en conséquence : « Ça va être de mettre ses limites. Puis de tenir son bout quand tu es sûre que

ce que tu fais, c’est la bonne chose à faire. Mais par rapport à toi aussi, mais oui, même par rapport au chef ». Subséquemment, les participants identifient les difficultés directement

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auprès de la personne en cause et délimitent les frontières, comme en fait foi Adrienne : « Mettre ma limite, la nommer, le dire à ma chef quand ça ne va pas ». En somme, les intervenants peuvent choisir un retrait temporaire ou définitif de la situation (ou de la tâche attitrée) et ils recherchent le respect et la défense de leur jugement clinique.

Documenter les situations problématiques

Certains participants utilisent les traces écrites afin de se protéger à court, moyen et long terme. D’abord, le fait d’identifier, de mettre par écrit et de laisser des « traces » de la situation problème (par exemple, la surcharge de travail) redonnent la responsabilité à l’organisation de mettre en place les conditions nécessaires, afin d’assurer la protection des enfants, tout en soustrayant la responsabilité professionnelle de l’intervenant (advenant une situation problématique subséquente). L’extrait des verbatim de Rachelle explique ce procédé :

Quand je me sens vraiment débordée, ce que je fais, maintenant, c’est que je mets par écrit de façon objective qu’est-ce qui fait en sorte que je suis en surcharge. Parce que moi, le constat que j’ai fait avec l’expérience avec ce que j’ai vécu dans mes différentes équipes, c’est que c’est tellement subjectif pour l’employeur être en surcharge que je le mets par écrit. Je documente. Et moi, je l’envoie par écrit à ma chef de service et j’écris dans le bas de mon courriel, tu sais, qu’actuellement, je considère que je n’arrive plus à offrir le suivi que les enfants requièrent, que les situations requièrent. Je lui envoie le risque.

À moyen et long termes, en documentant les événements liés à de l’hostilité ou de la violence par la clientèle, les participants compilent les événements traumatiques directs et indirects. La compilation permet, lors d’un congé maladie, d’être considéré en arrêt de travail par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (que la raison de leur arrêt soit liée à un accident de travail), plutôt qu’en arrêt de travail lié à des diagnostiques psychiatriques. Subséquemment, l’employeur (via les agents de la présence au travail) adopte des objectifs et des moyens différents de ceux utilisés lors de congé maladie (contre- expertise, médication, pression d’un retour rapide, responsabilisation individuelle des difficultés émotionnelles). Adrienne est éloquente à ce sujet :

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Fait que ma façon de me protéger, mais on va en reparler tantôt, c'est vraiment de remplir des rapports d'incidents. Pis tsé ça été l'un de mes regrets là. J'en ai pas faite de rapport d'incidents quand tout ça est arrivé (en référence à des événements précédents son arrêt maladie). J'aurais pas été en en assurance salaire, j'aurais été en CSST. [...] si j'avais noté tout ça. J'aurais documenté ça aurait été différent. Peut-être...pas moins gênant, mais je pense qu'aujourd'hui, je ne suis pas certaine qu'aujourd'hui j'aurais, je me serais mis la pression de revenir au travail après 7 mois. Parce que documenter…avec la CSST je suis partie en même temps qu'une collègue pis ce que nous avons su c'est qu'elle est en incapacité permanente présentement. Parce que ça revient. Tsé ce traumatisme là quand on est replongé, mais ça revient quand même.

Avec soi-même

Les intervenants utilisent la syntonisation24 afin d’effectuer une délimitation des frontières entre le travail et la maison (comportements et émotions ressenties), comme nous informe Laurie : « Il faut être capable de faire la juste part entre sa vie personnelle et professionnelle.

Puis être capable de mettre ses limites. Envers soi-même et son employeur ». Ils utilisent et

respectent également un agenda, afin de planifier les différentes tâches inhérentes à la fonction professionnelle (rédaction et organisation des rencontres avec les clients). Lionel explique ce procédé : « avoir une planification pour s’aider dans notre travail. C’est d’avoir

une planification d’un temps de rédaction, les temps d’entrevue, puis de les respecter. Sinon, on peut s’embourber ».