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Chapitre 1 Problématiser la détresse des intervenants en protection de l'enfance

1.9 Recension des types de détresses émotionnelles chez les intervenants en protection de

1.9.2 Les traumatismes secondaires (fatigue de compassion ou stress traumatique

1.9.2.1 Le nouveau modèle de Figley et Ludick (2017)

Dans le nouveau modèle de Figley et Ludick (2017), 9 nouvelles variables sont ajoutées. Les principaux ajouts sont : 1) le stress traumatique secondaire; c’est à dire la résultante de situation dans laquelle les intervenants, afin de faire leur travail, doivent être exposés à la douleur et à la souffrance des autres et doivent les comprendre efficacement à un niveau émotionnel, et ce, jour après jour (Figley et Ludick, 2017); 2) la satisfaction de compassion, qui est le plaisir d’aider les victimes de traumatisme afin de favoriser leur rétablissement et leur plein essor (Stamm, 2005). En outre, le degré élevé de STS est associé au faible niveau de résilience de la FC et vice versa (Figley et Ludick, 2017). Ce sentiment de satisfaction est représenté, à titre d’exemple, par le nombre de cartes et de lettres de remerciements émanant des clients de traumatismes passés. Ce facteur de protection est amoindri pour les intervenants qui reçoivent rarement des rétroactions positives de la part de leurs clients, par exemple, dans les contextes non volontaires en protection de l’enfance (Figley et Ludick, 2017).

13Il est à noter que les indicateurs de la résilience traumatique sont : (a) d’effectuer une prise en charge efficace à travers l’ engagement avec le client souffrant dans un but d’efficacité maximale (b) d’utiliser des stratégies d’autogestion (self-care) efficace pour maintenir le travailleur à un niveau de force physique et mentale supérieure (c) une sensibilisation aux signes élevés du stress de compassion (que le professionnel soit introspectif face à ses propres signes de stress), (d) une prise de conscience des stratégies efficaces pour réduire le stress (p. ex., par le biais d’exercices de pleine conscience), (e) l’entretien d’un réseau de soutien social, ainsi que (f) par la conservation de la satisfaction de compassion (Figley & Ludick, 2017).

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Il y a aussi 3) la réponse empathique qui est la condition essentielle pour aider les autres (Figley et Ludick, 2017). C’est la façon dont les intervenants cadrent et recadrent leur savoir- être à travers le biais de leurs compétences de compassion et à partir des besoins spécifiques de la victime du traumatisme (Figley et Ludick, 2017). Les réponses empathiques les plus efficaces émergent des facteurs 7-8-9-10 qui seront abordés ultérieurement.

La quatrième (4) notion concerne le self-care; c’est-à- dire les efforts conscients pour surveiller l’impact des traumatismes sur ceux qui aide les traumatisés (Figley et Ludick, 2017). À cet effet, l’étude de Bloomquist, Wood, Friedmeyer-Trainor et Kim (2015) a examiné les effets des pratiques du self-care chez les travailleurs sociaux, ainsi que leurs perceptions quant aux effets positifs et négatifs sur leur qualité de vie. L’étude s’est intéressée au self-care face au burn-out, au stress traumatique secondaire et à la satisfaction de compassion (Bloomquist, Wood, Friedmeyer-Trainor, et Kim, 2015). Les résultats révèlent que malgré que les travailleurs sociaux croient en la valeur du self-care comme moyen efficace pour soulager le stress lié au travail, ils s’engagent d’une façon limitée dans ce type de processus (Bloomquist et coll., 2015). Les résultats indiquent également que les employeurs et les programmes d’études n’enseignent pas aux travailleurs sociaux comment s’engager efficacement dans la pratique du self-care de la santé; c’est-à-dire des pratiques qui exigent des individus et des organisations à s’engager volontairement dans des comportements qui contribuent à la réduction du stress dans l’intérêt du bien-être (Bloomquist et coll., 2015).

Ainsi, cinq domaines principaux de la pratique du self-care de la santé sont reconnus dans la littérature (Bloomquist et coll., 2015). Ces domaines incluent ceux du self-care de la santé physique, psychologique, émotionnelle, spirituelle et professionnelle (Saakvitne et Pearlman, 1996). Le self-care de la santé physique peut être considéré comme étant des mesures prises pour promouvoir son bien-être physique (l’exercice, un sommeil suffisant et une alimentation saine) (Bloomquist et coll., 2015). Le self-care de la santé psychologique fait référence aux mesures prises afin d’améliorer la conscience de soi et la prise de décisions éclairées (thérapie, faire un journal intime) (Bloomquist et coll., 2015). Le self-care de la santé émotionnelle fait référence aux mesures prises pour encourager le bien-être émotionnel

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(passer du temps avec les proches, rire et se faire plaisir) (Bloomquist et coll., 2015). Le self-

care spirituelle consiste à nourrir les connexions et trouver le sens de sa vie (activités

religieuses ou spirituelles, la prière et la méditation) (Bloomquist et coll., 2015). Le self-care professionnel peut être considéré comme étant des actions visant à promouvoir les compétences et les professionnels de la santé (formations pertinentes, fixer des limites appropriées aux clients, supervision adéquate ou soutien orienté sur ses propres besoins en milieu de travail) (Bloomquist et coll., 2015).

La recherche suggère aussi que des formations spécialisées en trauma peuvent améliorer la satisfaction de compassion et diminuer la fatigue de compassion et les burn-out chez les intervenants œuvrant en santé mentale (Sprang, James, et Whitt-Woosley, 2007). En effet, les connaissances et la formation peuvent fournir une protection contre les effets nocifs de l’exposition aux traumatismes (Sprang et coll., 2007). Des cinq domaines du self-care explorés dans cette étude, trois se sont avérés être en corrélation et être significatif dans la qualité de la vie professionnelle des travailleurs sociaux : il s’agit du self-care professionnel, émotionnel et spirituel. Ainsi, plus la pratique des self-care professionnel, émotionnel et spirituel sont utilisés, moins il y a d’épuisement (Bloomquist et coll., 2015). En effet, les résultats de l’étude suggèrent que le self-care professionnel, tel que bavarder avec des collègues de travail, l’établissement de limites avec les clients et prendre des pauses tout au long de la journée de travail peuvent amortir les effets du burn-out. Également, les self-care professionnel et émotionnel sont liés à une plus grande satisfaction de compassion (Bloomquist et coll., 2015).

La cinquième (5) variable du modèle de Figley et LudicK (2017) est le détachement; qui se réfère à la capacité de l’intervenant à lâcher prise quant à la souffrance du client (Figley, 2002). C’est une compétence aiguisée par la formation, l’expérience et la continuité du self-

care (Figley et Ludick, 2017). Toutefois, le désengagement ne peut être possible si

l’intervenant est affecté par un syndrome post-traumatique (Figley et Ludick, 2017). L’incapacité à se désengager des matériaux traumatiques empêche souvent l’individu d’apprécier les aspects de la vie quotidienne, tels que la famille, les amis, les émotions positives et les activités agréables. Ces incapacités contribuent ainsi à perpétuer des

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symptômes dépressifs et l’engourdissement émotionnel si souvent observés à la suite de l’exposition à des traumatismes directe (Figley et Ludick, 2017).

Figley (2017) identifie également une sixième (6) variable soit : le sens de la satisfaction qui se réfère au sentiment de satisfaction du service fourni aux usagers (Figley et Ludick, 2017). Conrad et Kellar-Guenther (2006) ont démontré qu’un sentiment d’accomplissement chez les intervenants en protection de l’enfance protège de la fatigue de compassion. La septième (7) variable concerne le support social; c’est-à-dire un environnement de travail positif qui implique que les intervenants se soucient mutuellement des uns et des autres et se le démontrent (Figley et Ludick, 2017). Concrètement, il s’agit de lieux où les intervenants apprécient vraiment leurs collègues et s’impliquent en cas de besoin (Figley et Ludick, 2017). Les intervenants s’informent également sur les changements d’humeur les plus subtils des collègues de travail et s’informent de manière bienveillante et solidaire (Figley et Ludick, 2017). En revanche, un environnement de travail négatif peut créer de l’isolement, de la distance et devient émotionnellement toxique (Figley et Ludick, 2017). Dans un environnement toxique pour les intervenants, spécialement en lien avec les personnes en position hiérarchique supérieure, les relations sont tendues et le moral du personnel tend à être négatif (Figley et Ludick, 2017). Également, les éléments absents dans un environnement de travail toxique sont le sentiment de confiance, d’optimisme et de soutien mutuel entre les membres du personnel (Figley et Ludick, 2017). Comme avec d’autres composantes psychologiques et sociales, les ressources vitales que sont le soutien des collègues, des amis et de la famille permettent au travailleur social de rebondir après l’expérimentation d’événements émotionnellement bouleversants (Figley et Ludick, 2017).

Quant à la huitième (8) variable, il s’agit des mémoires traumatiques, qui quant à elles, se réfèrent aux traumatismes accumulés à travers les relations avec le client, mais également à travers des expériences traumatisantes dans la vie du praticien (Figley, 2002). Ces souvenirs peuvent être relancés et causer une nouvelle détresse émotionnelle, la dépression et l’anxiété chez l’intervenant (Salston et Figley, 2003). Ainsi, les souvenirs traumatiques sont considérés comme étant un facteur de risque, bien qu’à l’occasion, ces souvenirs sont utiles pour aider le praticien à mieux comprendre les expériences des usagers (Figley et Ludick, 2017).

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Toutefois, c’est l’émotion qui accompagne la mémoire qui est problématique (Figley et Ludick, 2017). En effet, les souvenirs traumatiques ne permettent pas toujours une plus grande empathie pour la situation du client, mais plutôt une introspection accrue (pour l’intervenant) et un retrait du praticien dans la relation d’aide avec l’usager (Figley et Ludick, 2017).

Figley et Ludick introduisent finalement la neuvième (9) variable, les autres exigences de la vie qui sont des situations qui demandent une attention dans d’autres sphères de vie de l’intervenant et qui possèdent la capacité de perturber temporairement la vie et le niveau de fonctionnement (Figley, 2002). Des changements inattendus dans la routine ou dans le quotidien et dans la gestion des responsabilités exigeantes peuvent ajouter une tension sur l’intervenant (Figley, 2002). Celles-ci incluent les difficultés financières, les changements dans le statut social, une maladie et l’ajout d’obligations (Figley et Ludick, 2017). En effet, le stress et l’anxiété liés aux autres exigences de la vie entrainent une attention sélective des stimulus négatifs, conduisant l’individu à ne pas tenir compte des aspects positifs (e.g., Mitte, 2008). Or, lorsque l’intervenant ne possède pas une capacité d’optimisme et des schémas cognitifs sains, il ne peut pas percevoir les choses qui pourraient être positives et significatives pour l’usager (Figley et Ludick, 2017).

Étant donné la publication récente de ce modèle renouvelé, il est fort probable que les prochaines recherches sur les DÉ et psychologiques des intervenants psychosociaux utiliseront ultérieurement ces nouvelles variables.