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Rester en tant que femme sans-papiers Différentes situations, conditions, éléments et/ou processus entraînent d’une manière

directe et indirecte la prolongation du séjour. Si certaines femmes, par un travail de réflexion et de mobilisation des diverses ressources, peuvent concevoir une logique de

retour77 à court terme, pour d’autres le fait de retourner n’est possible qu’après 2 ou 3

ans (le temps nécessaire pour rendre l’argent emprunté pour le voyage et pour retourner au moins avec « quelque chose »). Pour ces femmes, le séjour en tant que sans-papiers se prolonge et le provisoire continu ne fait que s’installer dans l’instabilité.

La logique du retour suppose un travail de réflexion où la personne essaie de son mieux de se réadapter aux circonstances contraignantes, de les retravailler et de les intégrer dans une expérience qui est considérée comme enrichissante dans la mesure où elle sera vécue pour une période limitée et dans laquelle le retour s’envisage prochainement (quelques mois). La variable temps semble avoir une influence : afin d’éviter une « installation provisoire », le temps de séjour en Suisse devrait être suffisamment court (une année ou un peu plus). Le retour n’est pas considéré comme un échec ; en effet l’expérience est reconstituée d’une manière positive : la personne pense avoir atteint ses objectifs en lien avec son épanouissement personnel (avoir du temps pour soi, voyager, élargir son univers (« je sais que le discours social de ma société va

être encore contre moi mais ça n’est pas important, c’est un problème minuscule… »).

Le retour semble être l’apanage de personnes ayant un projet individuel et qui n’ont pas de charges familiales. Il suppose également le fait de compter sur des ressources telles qu’une solide formation universitaire, un réseau social important ou autre, qui seraient mieux utilisées et adaptées dans le pays d’origine (« j’ai mon niveau dans mon

77 Nous n’avons identifié qu’un seul cas dans ce type de logique. Il convient d’indiquer qu’il s’agissait d’une femme provenant d’une classe sociale moyenne étant venue en quête d’indépendance sociale. De ce fait, son but n’est pas que de travailler et d’épargner mais aussi de faire des choses cohérentes avec ses intérêts (visiter des cercles féministes, faire des voyages -ce qui implique le fait de compter sur un passeport qui lui permettra de sortir et d’entrer en Suisse sans visa). Cet investissement est compatible avec le fait de maintenir des liens avec le pays d’origine : se renseigner sur la situation du pays, lire le journal, etc.

pays, parce que là-bas j’ai grandi, j’ai fait ma carrière, je parle la langue. J’y ai beaucoup plus d’avantages ») ainsi qu’avec le fait de maintenir des liens avec le pays d’origine (se renseigner sur la situation du pays, lire le journal, etc.). Cette expérience est vécue comme une parenthèse dans la vie et non comme un projet de vie ; il y une incompatibilité entre projet de vie et clandestinité. C’est pour cela que la sortie ne s’envisage qu’en retournant au pays d’origine, étant donné que c’est plutôt là-bas que le futur se dessine (« ici, mon futur est celui de nettoyer »).

Pour les femmes qui restent en Suisse, il s’agit, dans un premier temps, de faire face à cette nouvelle réalité en essayant tout d’abord de mettre sur place des stratégies adaptées afin de pouvoir rester sur le territoire helvétique sans être renvoyées, c’est-à- dire d’apprendre l’art de vivre dans la clandestinité et les différentes manières de se débrouiller pour assurer leur survie. Ces femmes doivent ainsi créer un mode de vie capable de reproduire leurs conditions de vie en tant que «clandestine » mais aussi leur permettant de pouvoir réinventer leurs objectifs migratoires et de les accomplir. Or, le fait d’être sans-papiers implique également la mise en place de stratégies identitaires permettant de résister aux images identitaires négatives liées à la clandestinité.

Par ailleurs, pour certaines femmes le fait de tenter sa chance, d’essayer d’accomplir son projet, de voir ce qui se passe au minimum pendant une année ou deux (« aussi

longtemps que je n’arrive pas à payer la dette, je n’aimerais pas retourner dans mon pays »), les pousse, dans un deuxième temps, à faire des investissements symboliques,

d’énergies, de temps, etc. La construction d’un cadre « stabilisateur », l’évolution des projets migratoires, le fait de se sentir plus à l’aise en tant que femme et de s’être habituée à la vie en Suisse sont des aspects qui repoussent la décision de retourner dans le pays d’origine. Ainsi, le séjour se prolonge… Dans le présent chapitre, nous allons approfondir ce que signifie le fait d’être sans-papiers tant au niveau social qu’identitaire. Malgré tout (malgré le fait de ne pas avoir de papiers), le « provisoire continue », le séjour se prolonge et ces femmes « restent en Suisse en tant que femmes

2.1. Vivre l’épreuve

Selon le Petit Robert78, le terme « vulnérable » qualifie quelqu’un pouvant être blessé, frappé par un mal physique ; au sens figuré, « vulnérable » décrit l’état de celui qui peut être facilement atteint et qui se défend mal. Le terme « vulnérable » nous renvoie donc à deux idées principales : 1) « quelqu’un qui peut être facilement atteint » autrement dit, qui se définit par un « moins » (ou un « pas suffisamment ») tant au niveau personnel que social (ce dernier est moins protégé, moins stable, moins fort, moins résistant, il a moins de sécurité, moins de confiance en soi, etc.) ; 2) quelqu’un qui se défend mal. La vulnérabilité se définit par le fait que l’individu se trouve en quelque sorte démuni pour faire face à n’importe quelle situation qui pourrait le blesser ; il n’est pas « préparé » et il a peu de ressources adaptées pour se défendre.

« Vulnérable » définit donc quelqu’un de fragile tant au niveau social que personnel (« je me sens désemparée... J’ai besoin d’avoir beaucoup de sécurité, une sécurité

financière; c’est ça ce qui me manque, la sécurité »). La clandestinité touche donc les

immigrées, des personnes provenant des pays non accueillis par la politique migratoire et qui sont tout à fait désavantagées sur le plan personnel et social précisément en raison, d’abord, de leur statut d’immigrées (les différentes ruptures que sont l’exil, l’apprentissage d’une nouvelle langue, les difficultés de transfert du capital culturel, etc.) et deuxièmement en raison de leur statut d’immigrée « sans-papiers » qui les place dans une situation de faiblesse majeure au niveau social : « la clandestinité pour moi,

c’est l’instabilité, bien sûr j’ai peur mais ce qui m’a fait beaucoup souffrir c’est l’instabilité…l’insécurité financière, l’insécurité de logement, l’insécurité du lendemain … ».

La clandestinité a des conséquences au niveau identitaire, au niveau de la dignité, et au niveau humain. Les femmes sans-papiers n’ont aucun type de droit, au contraire elles sont soupçonnées d’être des délinquantes, des profiteuses, etc. et ont évidemment des difficultés à obtenir un logement, à se faire soigner, etc. Au niveau personnel, nous pouvons relever, entre autres, des sentiments de solitude, d’insécurité, de peur, de ne pas

avoir sa place, de ne pas avoir de reconnaissance sociale. Comme nous le voyons, cette fragilité a ses origines dans une situation sociale mais touche l’individu au niveau personnel et produit une souffrance sociale : « la personne illégale n’a aucun droit, n’a

aucun type d’appui, je ne me sens pas protégée par aucune loi... on vit dans l’inquiétude, c’est une insécurité totale... ».