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Patriarcat et capitalisme sont deux concepts qui ont été fréquemment mis en relation par les chercheuses féministes. Shu-Ju Ada Cheng7 constate que ces deux concepts peuvent être considérés comme deux structures séparées avec des développements historiques liés entre eux ou comme un système interconnecté où le capitalisme est considéré comme patriarcal de par sa propre nature. Le débat reste ouvert concernant cette relation. Toutefois, des liens entre ceux deux systèmes ont été mis en évidence.

Ainsi, Maria Mies8 argumente que la mobilisation des femmes joue un rôle essentiel dans le développement du capitalisme. D’une part, lorsque les industries relocalisées doivent être capables de trouver des travailleurs dociles, meilleur marché et manipulables dans les pays non développés -étant donné le but de minimiser les coûts de production-, les femmes sont les premières visées. D’autre part, ces corporations doivent mobiliser les consommateurs dans les pays riches pour leur faire acheter tous les articles produits dans les pays du tiers-monde. Les femmes jouent à nouveau un rôle important dans cette stratégie.

Shu-Ju Ada Cheng affirme que c’est à travers l’expansion du système global capitaliste-patriarcal que les femmes sont reléguées à la réalisation de certaines fonctions dans la division internationale du travail. Le système patriarcal, qui dicte les relations inégales de pouvoir entre homme et femme, a interagi avec le processus d’intervention capitaliste et a déterminé un impact différentiel sur les sexes9. Ainsi, dans

6 Cf. CHANT S. & RADCLIFFE S., "Migration and development : the importance of gender" in

CHANT S. (éd.), Gender and Migration in Developing Countries, London and N.Y, Belhaven Press, 1992, p. 14.

7 Cf. CHENG SHU-JU A., "Labor Migration and International Sexual Division of Labor : A Feminist Perspective" in KELSON G. & DELAET D. (éd.), Gender and Immigration, London, Macmillan Press Ltd, 1999, p. 42.

8 Cf. MIES M., Patriarchy and Accumulation on a World Scale : Women in the International Division of

Labor, London, Éditions Zed Books, 1986, p. 114.

9 Cf. CHENG SHU-JU A., "Labor Migration and International Sexual Division of Labor : A Feminist Perspective" in KELSON G. & DELAET D. (éd.), op. cit., p. 42.

le système patriarcal, la fonction élémentaire que réalise la femme est de reproduire la force de travail. Cela veut dire non seulement que biologiquement elle est la seule capable d’engendrer des enfants, mais qu’elle a été et est celle qui tient la tâche d’alimenter, d’élever et de garder ces derniers (qui vont jouer des rôles clés dans le processus productif). Depuis l’apparition de la société de classes, le patriarcat a assigné à la femme cette mission. La famille patriarcale bourgeoise est le type de famille qui nécessite le capitalisme pour la reproduction de la force de travail10.

Par ailleurs, Shu-Ju Ada Cheng soutient que dans le système capitaliste, le travail est défini comme un processus de production qui peut contribuer à l’accumulation et à l’échange du capital. Le système capitaliste exclut tout processus de production qui n’a pas de valeur d’échange. Par conséquent, le travail domestique n’est pas considéré comme un travail productif. Il est plutôt considéré comme un processus de reproduction étant donné que son résultat conditionne principalement la valeur d’usage pour le maintien de la famille. La femme, reléguée à la sphère familiale, a été exclue de la catégorie des travailleurs même si elle est responsable au foyer d’activités qui sont cruciales pour le maintien de la famille et la continuité de la société. D’ailleurs, avec l’exclusion du travail domestique comme catégorie de travail productif, la contribution de la femme au système capitaliste, à travers la reproduction des forces de travail, est invisible11.

La réalisation des tâches ménagères, en n’étant pas considérée comme un travail mais comme une fonction naturelle de la femme, permet au régime bourgeois d’éviter le paiement d’un travail aussi ennuyeux que celui qui se réalise dans les fabriques, commerces et bureaux12. Derrière une idéologie qui prétend idéaliser le rôle de la mère, les intérêts du capitalisme cherchent à reproduire la force de travail sans y investir. Par ailleurs et comme conséquence de cette idéalisation, les femmes, en prolongeant cette tâche naturelle (celle d’être mère et de s’occuper de la reproduction) apparaissent plus

10 Cf. VITALE L., Historia y sociología de la mujer latinoamericana, Barcelona, Éditions Fontamara, 1981, pp. 81.

11 CHENG SHU-JU A., "Labor Migration and International Sexual Division of Labor : A Feminist Perspective" in KELSON G. & DELAET D. (éd.), op. cit., pp. 47-48.

orientées vers leurs familles que les hommes. Il est attendu, par l’entourage social, qu’elles le fassent dans le cadre général des obligations envers leurs parents.

Cette idéologie qui assigne les femmes à l’espace domestique et les hommes à l’espace public a des effets sur la concentration de la femme dans les occupations dites des femmes (c’est-à-dire ceux qui requièrent soumission, adresse, orientation vers le détail, la compréhension et la sensibilité). Cette perception stéréotypée de la place de la femme dans la société et dans le travail est le résultat d’une construction sociale et de la féminisation de certaines occupations qui ont été fréquemment accompagnées par la force des idéologies culturelles13.

Ainsi, selon Shu-Ju Ada Cheng, le genre agit comme un principe organisateur des relations sociales de pouvoir et modèle les rôles particuliers des membres masculins et féminins pour le travail productif et reproductif. En conséquence, pour ce qui concerne la migration, il modèle les contours particuliers du processus migratoire, la dynamique dans la famille; il dicte les négociations parmi les membres des différents sexes et générations, détermine qui migre et qui reste, aide à construire les objectifs migratoires pour les immigrés individuels et dicte comment les envois d’argent doivent être dépensés. L’idéologie de genre modèle aussi les expériences des migrants masculins et féminins étant donné le type de travail que ces derniers feront. La division sexuelle du travail dans le processus de la migration construit des contextes d’emploi complètement différents pour les hommes et les femmes 14.