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Les études sur la migration féminine associent l’augmentation de celle-ci avec certains changements dans les pays récepteurs. Il s’agit, en Europe, des changements démographiques, des changements dans les rôles sociaux et économiques de la femme (augmentation du nombre des femmes de classe moyenne employées hors du foyer), du déclin de la famille élargie dans le sud de l’Europe et de l’influence moindre de l’État providence dans le nord de l’Europe qui sont en relation avec la demande de travail féminin des migrantes dans le secteur domestique. Le nombre de familles avec double revenu augmente parallèlement à une demande d’aide à la maison pour la réalisation des tâches ménagères, la garde des enfants ou celle des personnes âgées. En France, par exemple, où la participation de l’État pour la garde des enfants est plus élevée que dans la majorité des pays occidentaux, les employées domestiques sont surtout sollicitées pour le nettoyage des maisons34.

La dualité carrière/famille a surgi dans les années 1960 comme une nouvelle formule familiale qui peut fonctionner dans la mesure où il y a un(e) remplaçant(e) pour accomplir le rôle domestique attribué à la femme. Beaucoup de familles n’ont pas accès aux sources traditionnelles que sont les membres de la famille étendue pour la réalisation du travail ménager et pour la garde d’enfants. C’est ainsi que la participation

33 Les pays du sud de l’Europe sont devenus depuis les années 80 des pays d’immigration avec des modèles distinctifs des flux de genre. L’immigration des Philippines, du Cap Vert et plus récemment du Pérou vers l’Italie a été surtout féminine. Cf. KOFMAN E., "Female ‘Birds of Passage’ a Decade Later : Gender and Immigration in the European Union" in International Migration Review, volume XXXIII, nº2, summer 1999, p. 281.

34 Cf. ANDERSON B., "Overseas domestic workers in the European Union" in HENSHALL MOMSEN

croissante de la femme, spécialement celle de la femme mariée dans le marché du travail, a créé le besoin de travailleuses domestiques pour réaliser le travail au foyer. L’économie du foyer est de moins en moins subventionnée par le travail non payé de l’épouse et de la mère, qui à l’heure actuelle, fait partie de la force de travail salariée. Le travail domestique revient donc souvent à l’employée étrangère, qui est maintenant souvent la remplaçante payée à bas prix, ce qui libère les femmes qui s’affairent aux tâches principales de la maison et leur donne plus de temps pour elles et pour les activités familiales35.

De ce fait, en employant quelqu’un pour assumer le travail de la maison et la garde des enfants, le système traditionnel de la famille patriarcale est conservé. Ainsi, la double charge des mères travailleuses de classe moyenne est réduite aux dépens de l’augmentation de la charge de travail pour les employées domestiques qui sont, elles aussi, fréquemment des mères de famille36. Le fait d’employer une migrante pour la réalisation du travail domestique est considéré comme une stratégie permettant aux familles de concilier la dualité carrière/famille mais aussi comme une forme de reproduction des relations sociales, spécialement des relations entre les genres. Selon Bridget Anderson, pour le cas de la Grande Bretagne, les femmes de classe moyenne choisissent de se libérer des tâches domestiques pour être disponibles pour le développement physique et émotionnel de leurs enfants (et compagnons) et se maintiennent ainsi comme des épouses et des mères correctes. Ainsi, les conflits entre hommes et femmes, de même qu’entre générations sont évités dans la mesure où la femme n’est pas disponible pour discuter avec son compagnon et/ou ses enfants sur le partage du travail domestique37.

En conséquence, les mères travailleuses sont fréquemment obligées de prendre des options alternatives : elles doivent ainsi partager les obligations du foyer entre les membres de la famille, chercher des centres pour la garde des enfants, des baby-sitters ou grands-parents ou prendre du travail à temps partiel pour faire face aux demandes de

35Cf. YEOH B. & alii, "Migrant Female Domestic Workers : Debating the Economic, Social and Political Impacts in Singapure" in International Migration Review, volume XXXIII, nº1, Spring 1999, pp. 122- 127.

36 Cf. Ibid., p. 133.

37 Cf. ANDERSON B., "Overseas domestic workers in the European Union" in HENSHALL MOMSEN

la sphère reproductive38. Les femmes avec des enfants en Europe sont probablement plus impliquées que les hommes dans des travaux à temps partiel, ce qui restreint leur autonomie financière et leur droit aux bénéfices de contribuable39. Cela indique que même en réalisant un travail productif à temps partiel, les familles auraient besoin d’une migrante qui devrait également réaliser des tâches reproductives dans la maison. Cette alternative ne met pas en question la division traditionnelle des tâches à l’intérieur des familles européennes.

Les résultats d’une enquête menée par Patricia Roux pour la Suisse confirme également que la répartition des tâches ménagères occupe une place extrêmement secondaire dans les préoccupations des partenaires masculins : dans 60% des couples, les choses s’organisent d’elles-mêmes, autrement dit, la différenciation des rôles ne se discute pas, elle va de soi et les tâches ménagères sont assumées par l’épouse. Cet inégale répartition des tâches ménagères provoque peu de conflits : « (…) Tout se passe comme si une norme préexistait au mariage et s’imposait de façon tacite, sans qu’on ait besoin de s’accorder (…) le couple peut économiser son énergie, en terme de communication, pour la placer ailleurs, là où il perçoit un enjeu important, comme dans le domaine des enfants »40.

En Suisse, l’entrée massive des femmes sur le marché du travail rémunéré s’est produite dès les années 1960 ; en 2001 selon l’Office fédéral de la statistique, les femmes représentent 44,4% de la population active41. Toutefois, plus de la moitié d’entre elles (55%) travaillent à temps partiel contre près d’un homme sur dix. Ainsi, près de 80% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes42. Selon Patricia Roux, cette formule du travail à temps partiel n’est qu’un instrument de flexibilisation de l’emploi même encouragé par les milieux économiques, car la productivité s’est avérée supérieure à celle du plein temps en raison d’une meilleure gestion du temps de travail. Par ailleurs, le travail à temps partiel est souvent présenté comme une nouvelle

38 Cf. YEOH B. & alii, loc. cit., p. 122.

39 Cf. ACKERS L., Shifting Spaces. Women, citizenship and migration within the European Union, Great Britain, The Policy Press, 1998, p. 185.

40ROUX P., Couple et égalité. Un ménage impossible, Lausanne, Éditions Réalités sociales, 1999, p. 47. 41 Office fédéral de la Statistique in Communiqué de Presse, http : //www.statistique.admin.ch, octobre 2001.

forme de travail qui contribuerait à une meilleure répartition des emplois disponibles permettant ainsi de résoudre le chômage43. Selon Magdalena Rosende, la main-d’œuvre féminine est la cible privilégiée pour assumer cette formule de travail à cause des représentations sociales dominantes et traditionnelles qui associent les femmes à la sphère domestique. Les femmes la préféreraient car elle permet la « conciliation » des activités familiales et professionnelles, c’est ce fameux « travail à temps partiel choisi » qui est socialement toléré44.

Magdalena Rosende considère que l’idéal de la femme au foyer en Suisse, qui s’est cristallisé au milieu du XXe siècle (années 1950 et 1960), est à la base de la plupart des politiques familiales et d’emploi. Les politiques adoptées pendant cette période sont encore marquées aujourd’hui par le sceau de cette idéologie: les allocations familiales (qui sont peu élevées en Suisse), le faible développement des infrastructures de garde de la petite enfance, le système fiscal (qui, par le biais du quotient familial joue en défaveur du travail rémunéré des femmes) en sont des exemples. En Suisse comme dans la plupart des pays occidentaux, les femmes gagnent en moyenne entre 20 et 30% de moins que les hommes, ne serait-ce que parce que le revenu de la femme est considéré comme un salaire d’appoint ou complémentaire45.

En conséquence, selon Janet Henshall, le travail domestique se présente comme un secteur de travail pour les émigrées, spécialement pour celles ayant peu de qualifications et pour les illégales46. Selon Bridget Anderson, cela crée, en Europe et en Amérique du Nord, des hiérarchies raciales et des stéréotypes envers les immigrées et transfert ce conflit de genre aux relations entre l’employeuse féminine et l’employée

43 Cf. Ibid., p. 30.

44 Cf. ROSENDE M., "Histoire du travail des femmes ou l’utopie de la femme au foyer" in www.espacefemmes.org, p. 15, juin 2003. Voir aussi ROUX P., op. cit., p. 31.

45 Cf. ROSENDE M., loc. cit. p. 12 et p. 14.

46 Cette même chercheuse affirme qu’en Grande-Bretagne moderne, il y a plus de domestiques que de mineurs de charbon. Le fait d’avoir une bonne est devenue un symbole important du statut de la classe moyenne. Ainsi en est-il de l’exemple dans le Middle East (même quand peu de femmes travaillent en dehors de la maison), en Malasie et dans quelques pays de l’Europe, où il y a une participation croissante de la femme dans le marché du travail. D’ailleurs, les professionnels travaillent beaucoup d’heures spécialement aux États-Unis et Grande-Bretagne. Ils ont moins de temps pour réaliser un travail non payé à la maison et ont donc besoin de flexibilité dans la garde des enfants. Cf. HENSHALL MOMSEN J., "Maids on the Move. Victim or Victor" in HENSHALL MOMSEN J. (éd.), op. cit., pp. 1-17 et HENSHALL MOMSEN J., "Conclusion future trends and trajectories" in HENSHALL MOMSEN J. (éd.), op. cit., pp. 301-304.

domestique47. Il est possible de dire que la possibilité de leurs emplois dépend de la participation de la force de travail de réserve au sein du marché du travail de ces régions (soit les femmes mariées). Tandis que les femmes se trouvent motivées pour joindre la force de travail, les États de ces pays de destination ne prennent pas la responsabilité de la reproduction. En permettant l’importation des travailleuses domestiques immigrées, ils transfèrent la responsabilité de la reproduction aux femmes des pays moins développés avec moins de coûts48.

Ces constatations sont confirmées par une étude réalisée dans la région de Zurich : une infrastructure insuffisante au niveau des crèches impose des obstacles aux femmes ayant des enfants pour pouvoir travailler ; beaucoup d’entre elles ne veulent plus ou ne peuvent plus se limiter au travail ménager. Étant donné que le marché du travail ménager privé ne peut pas être couvert par l’offre d’employées bénéficiant d’un permis, des employées domestiques mal payées, ne bénéficiant d’aucun droit sont considérées comme étant une solution éventuelle à ce problème. La Suisse officielle accorde touts les ans des quotas de nouveaux travailleurs étrangers ; toutefois, dans la distribution des quotas, le secteur de l’économie domestique n’est pas considéré comme un secteur économique à part entière et il n’est pas pris en considération49.

Selon une étude du Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs de Genève, le secteur domestique est le plus grand employeur de sans-papiers / employeurs atypiques puisqu’il s’agit de simples ménages, de familles communes de la bourgeoisie et de la classe moyenne. Il couvre environ les 3/4 (76.25%) des emplois occupés par ces personnes, les femmes étant représentées à 99%. À Genève, 4’200 enfants âgées de 0 à 4 ans n’ont pas trouvé de place dans une institution de la petite enfance -crèches, jardins d’enfants et garderies-. Par ailleurs, faute de subventions publiques suffisantes, le prix de placement en institution ou chez une maman de jour est prohibitif pour de nombreuses familles. Face au nombre grandissant de personnes âgées dépendantes, ne

47 Cf. ANDERSON B., "Overseas domestic workers in the European Union" in HENSHALL MOMSEN

J. (éd.), op. cit., p. 128.

48 Cf. CHENG SHU-JU A., "Labor Migration and International Sexual Division of Labor : A Feminist Perspective" in KELSON G. & DELAET D. (éd.), op. cit., pp. 51-52.

49 Réseau de solidarité envers les femmes en situation illégale. Illégales mais indispensables : employées domestiques sans permis de séjour valide dans la région de Zurich, Éditions FIZ, Zurich, p. 8, p. 12 et p. 16. Cette solution permet aussi aux employeurs de différer les conflits sur la responsabilité (financière) de l’État face à la reproduction.

voulant on ne pouvant pas (faute de places) aller en établissement médico-social, la demande de main-d’œuvre féminin s’est accrue50.

Ces études désignent le cadre dans lequel s’inscrit la migration des femmes du Sud pour la réalisation des tâches ménagères au Nord. Le contexte particulier de la Suisse se situe aussi dans ce paysage. Or, ce contexte est aussi modelé par la législation existant dans le pays d’immigration (c’est-à-dire la Suisse) qui va déterminer le type de statut que la femme ressortissante d’Amérique latine aura dans ce pays.