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Un projet économique /familial est celui qui est dirigé vers l’épargne d’argent pour améliorer les conditions de vie de la famille. Il s’agit de l’investissement que la famille fait à travers l’immigration d’un de ses membres (notamment la femme) dans un pays étranger. Parmi ces objectifs économiques, figure la satisfaction de différents besoins de la famille restée au pays d’origine : soit le fait de subvenir à l’éducation des enfants, de payer des dettes, de construire une maison propre ou d’établir un petit commerce et

66 Cf. TABOADA-LEONETTI I., "Le projet de migration. La nature du projet de migration et ses liens avec l’adaptation" in L’année sociologique, volume 26, 1975, pp. 107-123 ; DE RUDDER-PAURD V., "Des projets aux aspirations. Les immigrés et leur logement en France" in L'année sociologique, volume 26, 1975, pp. 125-151.

d’avoir une indépendance économique pour le futur. Ce projet est généralement envisagé pour une période courte de 2 à 3 ans.

Les femmes qui mènent ce type de projet sont des mères de famille, mères célibataires ou filles de famille ayant pour « mission »68 d’envoyer de l’argent régulièrement à leurs parents, à une membre de la famille -qui souvent prend en charge les enfants de la mère migrante -s’il s’agit des mères célibataires, cf. chapitre 1, deuxième partie- ou à leurs maris afin, d’une part, de rendre l’argent emprunté pour la réalisation du voyage et, d’autre part, de participer au budget familial de la famille restée dans le pays d’origine.

Deux groupes des femmes ont été identifiés :

Femmes avec éducation primaire ou secondaire : Il s’agit de mères de famille entre 40 et 50 ans, en provenance d’un milieu social pauvre avec un niveau d’éducation relevant de l’école primaire ou secondaire. Elles ont travaillé durant leur adolescence en faisant le ménage, en gardant des enfants, ou bien en ayant un petit commerce ou petite place dans le marché. Dans le pays de réception, soit elles sont avec leur familles (partenaire et enfants), soit elles se retrouvent seules avec des enfants restés dans le pays d’origine. Le fait d’être en Suisse signifie déjà la possibilité de surmonter de grandes difficultés économiques et donc une première « réussite » (étant donné qu’elles considèrent cette possibilité comme n’étant pas donnée à tous) : « Je suis

venue parce que je voulais donner quelque chose de meilleur à mes enfants, qu’ils aient quelque chose dans leur futur, qu’ils puisent se défendre, qu’ils puissent étudier ».

Femmes avec un niveau d’éducation plus élevé : Il y a un autre groupe de femmes plus jeunes, en provenance d’une couche sociale moyenne/basse avec une formation

68 Abdelmalek Sayad, pour décrire le processus de l’émigration/immigration algérienne en France, utilise la figure des trois "âges" de l’émigration, chaque âge étant caractérisé par un mode de génération distinct de l’émigration et une "génération" différente d’émigrés. Ainsi, le premier âge est une émigration par ordre : le paysan était mandaté par sa famille et plus largement par la société paysanne pour une mission bien précise et limitée dans le temps, celui-là, malgré l’exil, continuait à vivre et penser en véritable paysan. Le deuxième âge de l’émigration, "la perte de contrôle", était caractérisé par l’acte d’un individu agissant de son propre chef et pour son propre compte, l’émigration devenait une entreprise individuelle dépouillée de son objectif initialement collectif. L’émigré devait subvenir aux besoins alimentaires de la famille laissée au pays: les mandats sont réguliers, souvent mensuels, calculés pour couvrir les besoins identifiables et prévisibles. Le troisième âge de l’émigration : une "colonie" algérienne en France, caractérisée par l’émergence d’une communauté algérienne en France. Cf. SAYAD A., "Les trois âges de l’immigration algérienne en France" in Actes de la Recherche en Sciences sociales, 1977, nº15, pp. 61-79.

supérieure (entre autres secrétaire ou étudiante à l’université) ou occupant un poste dans l’administration publique. Ces femmes ont des enfants dans le pays d’origine ou elles sont célibataires avec la responsabilité d’aider leurs parents. C’est le cas des familles ou des femmes frappées par la crise économique qui subissent de l’insécurité quant au fait de trouver un emploi ou quant au fait de continuer leurs études à cause de la fragilisation des revenus familiaux, ces personnes ont un poste non fixe avec des salaires très précaires et ne peuvent pas donc faire face aux différents besoins : « Je me

sentais mal de me voir dans une situation aussi critique. Je ne pouvais rien acheter pour moi parce que mon salaire était destiné à payer la dette de la famille. Je m’étais dit en travaillant à l’étranger, j’enverrai de l’argent pour payer la dette de la famille et pour que ma sœur puisse faire des études ».

Finalement, il est pertinent de remarquer que, même si le projet migratoire est économique et familial, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’éléments de type personnel qui s’y mêlent surtout quand il s’agit de femmes plus jeunes. C’est ainsi que ces femmes expriment également le fait de vouloir atteindre des objectifs personnels tels que : « découvrir », se rencontrer avec elles-mêmes, étudier ou épargner de l’argent pour ne pas dépendre de leur famille en cas où elles rentreraient au pays. Ces objectifs d’ordre personnel vont aussi être trouvés dans le projet indéterminé -cf. ci-après-. L’âge apparaît comme un élément important qui influence les objectifs, les comportements et, d’une certaine manière, le type d’adaptation de la personne : « Tout ce temps que je vais

être ici, je n’aimerais pas seulement travailler mais j’aimerais aussi connaître, épargner un peu d’argent pour moi et étudier quelque chose ».