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La sélection de la population s’est faite d’après la méthode du « theoretical sampling » de Barney Glaser et Anselm Strauss144. Il s’agit de constituer progressivement un échantillon au fur et à mesure que les données sont collectées et qu’elles font l’objet de premiers traitements. Ces auteurs définissent l’échantillonnage théorique comme l’unité des trois opérations de recherche, à savoir la collecte, le codage et l’analyse des données (rédaction des mémentos). Ces trois opérations, en constante interaction, permettent de retourner sur le terrain avec un regard dirigé. Une fois la collecte des données réalisée, le chercheur commence à les coder pour ensuite, avec la rédaction des mémentos, chercher des nouvelles données selon des critères définis. Cela présuppose donc une inclusion progressive de groupes successifs de données. L’échantillon est constitué ainsi par approximations successives jusqu’à ce que les catégories proposées, confrontées avec les allers-retours du travail de terrain, apportent des confirmations régulières (saturation).

143 Cf. BLANCHET A. & GOTMAN A., op. cit. p. 43.

144 Cf. GLASER B. & STRAUSS A., The discovery of Grounded Theory, Strategies for Qualitative Research, Aldine Publishing Company, New York, 1967.

L’objectif de cette recherche n’est pas de décrire, de mesurer systématiquement ou de faire des généralisations comme dans une démarche quantitative. Il est de « comprendre » des aspects plus complexes comme les représentations et les attitudes. La question ne se pose donc pas en termes de représentativité, mais de diversité de l’échantillon. Cela veut dire que, dans la mesure du possible, toutes les grandes catégories doivent être représentées. Il est donc important de « s’assurer de la variété des personnes interrogées, et de vérifier qu’aucune situation importante pour le problème traité n’a été omise lors du choix des sujets »145. Pour le dire avec les mots de Jean-Claude Kaufmann : « (...) plus que de constituer un échantillon, il s’agit de bien choisir ses informateurs »146.

L’échantillon nécessaire à la réalisation d’une enquête par entretien est, de manière générale, de taille plus réduite que celui d’une enquête par questionnaire. Dans une démarche de type qualitatif « c’est l’individu qui est considéré comme représentatif (…) de la culture (…) à laquelle il appartient »147. La validité n’est pas à chercher dans les probabilités d’occurrence, voire dans des informations répétées de nombreuses fois comme dans les questionnaires. Dans cette optique, par contre, c’est l’individu qui fabrique son identité et se construit à partir de cette dimension sociale : l’individu est à la fois produit et acteur de l’histoire. C’est dans cette perspective que Didier Demazière et Claude Dubar affirment qu’ « un entretien met en mots une manière de catégoriser le social »148. En voulant comprendre l’expérience sociale des immigrées clandestines, la « (…) perception du social (qui) transite par les consciences individuelles, (consciences

individuelles) où ce social est trié, malaxé, pour déterminer des comportements parmi

des milliers possibles, c’est-à-dire pour choisir ce qui va être concrétisé et s’inscrire à son tour dans le social »149 est dégagé. Le subjectif est donc, dans cette perspective, un moment dans la construction de la réalité.

145GHIGLIONE R. & alii, Les enquêtes sociologiques, Paris, Éditions Armand Colin, 1998. p. 51. 146KAUFMANN J.C., op. cit., p. 44.

147 MICHELAT G., "Sur l’utilisation de l’entretien non-directif en sociologie" in Revue française de sociologie, Paris, XVI, 1975, p. 236.

148 DEMAZIÈRE D. & DUBAR C., Analyser les entretiens biographiques, Paris, Éditions Nathan,

1997, p. 98.

Après un certain nombre d’interviews apparaît un phénomène de saturation des modèles. C’est-à-dire qu’au fur et à mesure de l’identification des grandes lignes, une fois que les dernières données n’apportent plus grand chose, il est possible de considérer qu’il y a saturation. Autrement dit, les données recueillies se révèlent suffisantes du point de vue de l’objet sociologique de l’enquête. Il s’agit de dépasser la singularité des différents témoignages de l’expérience vécue d’une même situation sociale, (c’est-à-dire la clandestinité) pour atteindre progressivement une représentation sociologique de la situation 150. Selon Jean-Pierre Olivier de Sardin151, le principe de saturation n’est pas seulement un signe de la fin de l’enquête mais il constitue aussi une garantie méthodologique en ce sens qu’il soumet les données à la validation. En effet, la saturation des catégories ne se fait que par rapport au terrain. C’est le travail de terrain qui apporte de nouvelles données divergentes, contradictoires ou qui constatent des régularités. Bref, ce sont les données qui attestent de la résistance des catégories. Cette garantie méthodologique est complémentaire à la triangulation.

La « triangulation »152 consiste à confronter des méthodes d’investigation différentes et complémentaires. Il s’agit de faire varier les points de vue des informateurs. Le fait de s’appuyer sur les variations, et ainsi élargir les sources du recueil des données, est une manière de valider les informations. En effet, ne prendre en compte qu’un seul point de vue serait trompeur : « (…) il faut recouper les informations »153. D’un côté, les résultats de cette recherche sont à croiser et à confronter avec des textes théoriques et avec les résultats d’autres enquêtes réalisé sur le sujet. Il doit en être fait de même, avec le point de vue des « experts » et des personnes sur le terrain (triangulation des sources). D’un autre côté, les récits recueillis sont à mettre en lien avec l’identité du sujet, c’est-à- dire l’origine sociale et culturelle, les éléments d’anamnèse, les états ou circonstances psychologiques dans lesquels l’information a été recueillie (triangulation interne).

Ensuite, c’est la validité de signifiance154 qui s’avère nécessaire pour rendre compte de la validité de la recherche. La validité de signifiance consiste en la vérification d’une

150 Cf. BERTAUX D., Les Récits de vie, op. cit., p. 33.

151 Cf. OLIVIER DE SARDAN J.P., "La politique du terrain. Sur la production des données en

anthropologie" in Enquête, nº 1, 1995, p. 98.

152 Cf. POURTOIS J.P. & DESMET H., op. cit., pp. 52-54. 153 Cf. OLIVIER DE SARDAN J.P., loc. cit. p. 92. 154 Cf. POURTOIS J.P. & DESMET H., op. cit., pp. 57-60.

compréhension réciproque entre l’interviewée et l’enquêteur, et vice-versa. Cela veut dire qu’il faut, s’assurer que les thèmes à traiter représentent une cohérence entre le sens objectif de ceux-ci et la perception qu’ils provoquent chez l’interviewée. Il s’agit donc de contrôler si le langage des sujets et du chercheur coïncident. C’est pour cela que dans le travail de terrain de cette recherche, les deux premiers entretiens ont eu comme principal objectif de contrôler la compréhension des items et du sens de la part de l’acteur par rapport au Guide d’entretien. Il faut relever également que, dans tous les cas, le lieu où l’entretien s’est déroulé a été choisi par les interviewées. Cela sous- entendait que la personne choisissait un endroit où elle se sentait à l’aise pour s’exprimer.