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Mirjana Morokvasic52 fait une compilation de la littérature existante sur la migration féminine et affirme que la présence de la femme dans les études de la migration suit trois tendances :

1) La femme est absente : pendant une longue période, la migration est apparue dans la littérature comme une affaire d’homme dans laquelle la femme était exclue. La conception du migrant comme une personne qui cherche à maximiser les gains économiques mesurés normalement en termes de salaire n’a pas permis de focaliser l’attention sur la femme. En effet, puisque la migration du travail a généralement impliqué des proportions élevées d’hommes, les femmes ont été traditionnellement ignorées et ce même dans des contextes où le nombre de femmes surpassait celui des hommes comme au Mexique ou en Amérique Latine (où les femmes sont plus nombreuses dans la migration rurale vers la ville).

2) Migrantes comme épouses : le stéréotype selon lequel la femme est épouse et

mère a eu comme conséquence le fait de considérer la femme comme un accessoire du

processus migratoire dont elle ne fait pas vraiment partie. La femme migrante est considérée comme dépendante, non-productive, isolée, analphabète et ignorante. En

51 Diverses études arrivent à cette conclusion. Voir UNITED NATIONS, The Migration of Women. Methodological issues in the measurement and analysis of internal and international migration. International Research and Traininig Institute (INSTRAW), Dominican Republic, 1994 ; JAMES SIMON R. & BRETELL C. (éd.),. International Migration. The female Experience, United States of America, Éditions Rowman & Allanheld, 1986 ; KELSON G. & DELAET D. (éd.), Gender and Immigration, London, Macmillan Press Ltd, 1999 ; ACKERS L., Shifting Spaces Women, citizenship and migration within the European Union, Great Britain, The Policy Press, 1998 ; etc.

52 Cf. MOROKVASIC M., "Women in migration : beyond the reductionist outlook" in PHIZACKLEA A. (éd.), One way ticket Migration and female labour, London, Éditions Routlegen & Kegan Paul, 1983, pp. 13-24.

revanche, elle est évaluée en termes de capacité d’accès à la modernité à travers l’emploi et la contraception, d’où la tendance ethnocentrique de ce mouvement. Cette approche, typique d’une certaine période, existe encore dans beaucoup d’études qui, en donnant un statut d’actrice sociale à la femme migrante, ont maintenu cette polarisation tradition-modernité où les valeurs modernes sont vues comme des valeurs émancipatrices.

3) Femme immigrée : l’image de la femme migrante comme dépendante de l’homme est restée bien ancrée jusque dans les années 70. L’émergence d’une littérature prenant en compte la femme migrante s’est faite grâce au développement d’une perspective féministe et à la reconnaissance de la femme comme étant économiquement importante. Ces études revendiquent une perspective de genre dans l’étude de la migration qui considère que l’expérience peut être une expérience différente de celle des hommes migrants, c’est-à-dire que la perspective de genre appelle une analyse sociale, économique, politique et culturelle particulière qui influence les femmes migrantes comme immigrées et aussi comme femmes.

La perspective de genre revendique donc de prendre en considération le fait qu’à cause de leur socialisation, les rôles des femmes sont différents de ceux des hommes et la manière de percevoir et manipuler l’environnement va dépendre ainsi de la position et des valeurs spécifiques d’une société donnée. Ainsi, dans beaucoup de sociétés, les femmes ont probablement plus tendance à subordonner leurs propres besoins à ceux des hommes. Les facteurs qui permettent la migration féminine et ceux qui conditionnent ses résultats diffèrent probablement de ceux qui concernent la migration masculine. Le genre détermine aussi si une personne va percevoir la migration comme une option53.

Les tendances décrites ci-dessus se reflètent d’une certaine manière dans quelques théories de la migration internationale qui, tout en prenant en compte la femme comme catégorie d’analyse, sont encore influencées par des présupposés homogénéisants (où homme et femme sont vus comme semblables), ethnocentriques (où les valeurs européennes sont considérées comme des valeurs émancipatrices), psychologisants et culturalistes (où les motifs individuels sont survalorisés).

53 Cf. RILEY N. & GARDNER R., "Migration decisions : the role of gender" in International Migration of Women in Developping Countries, New York, Éditions United Nations, 1993, p. 196.

Ainsi, l’approche néo-classique ou de l’équilibre, l’approche du comportement et l’approche psychoculturaliste (qui considèrent la présence de la femme dans leur analyse) ne sont pas toujours adaptées à notre recherche54. Par contre, les approches considérant, à notre sens, la perspective de genre, soit l’approche structuraliste et l’approche de la stratégie familiale, sont celles qui s’avèrent les plus adaptées pour notre étude.

Même si la théorie néo-classique ou de l’équilibre distingue cette fois-ci la migration pour des raisons de mariage -et non seulement pour des motifs de travail-, les motivations des hommes et des femmes sont généralement considérées comme similaires dans cette approche. Étant donné les rôles multidimensionnels que réalise la femme tant au niveau de la reproduction -la responsabilité de maintenir la famille, garder les enfants, etc.- qu’au niveau de la production -dans beaucoup de cas, la femme joue un rôle majeur dans l’économie productive- (cf. chapitre 1, deuxième partie), nous pensons que les facteurs qui déterminent la migration féminine sont probablement plus complexes que ceux qui déterminent migration masculine, variant probablement selon le pays d’origine, la classe sociale, l’âge et le statut marital.

De ce fait, dans la mesure où cette approche considère les femmes comme un groupe homogène, elle ne nous paraît pas pertinente. Les différences en termes de classe, cycle de vie, références culturelles, etc. ne sont pas prises en compte. Nous pensons que ces aspects qui englobent les caractéristiques personnelles, familiales, historiques, culturelles, etc. exercent une influence sur le mode de vie des femmes migrantes, sur leurs projets migratoires et sur leurs logiques d’action. Ceci est donc important si l’on veut comprendre l’agir de ces femmes dans le nouveau contexte et de saisir la complexité de la migration féminine.

Mirjana Morokvasic nous rend attentifs au fait qu’en utilisant des modèles basés sur la migration masculine, il est possible d’oublier certains aspects essentiels du processus de la migration féminine. Il y a des facteurs non-économiques qui influencent la décision d’émigrer et qui définissent en même temps le bagage avec lequel ces femmes

54 La présentation de ces approches: néo-classique ou de l’équilibre, du comportement, structuralistes et

de la stratégie familiale est basée sur le texte suivant : CHANT S. & RADCLIFFE S., "Migration and development : the importance of gender" in CHANT S. (éd.), Gender and Migration in Developing Countries, London and N.Y, Belhaven Press, 1992, pp. 19-21.

arrivent dans la société de réception. Parmi ces facteurs, figure entre autres la transgression de certains types de comportement (avoir un enfant hors mariage, être victime de violence physique, impossibilité de divorcer, désir d’échapper à l’oppression sexiste et discrimination contre des groupes spécifiques de femmes). Ces facteurs, étroitement très liés au manque d’opportunités économiques, soulignent la position subordonnée de la femme et la nature oppressive et discriminatoire des sociétés d’émigration. L’interrelation des ces facteurs non-économiques et économiques vont déterminer quelle est la femme qui émigre et comment elle s’adaptera aux nouvelles valeurs et comportements de la société de réception ou au contraire comment elle va les refuser55.

L’approche psycho-culturaliste56, en ne considérant que les motifs individuels et personnels, n’est pas suffisante pour nous. Selon cette perspective, les femmes migrantes sont évaluées comme des individus dont le comportement est surtout déterminé par la psychologie et la culture. La théorie du comportement explique également les comportements migratoires à partir de l’influence de la culture et des différences de classe. La perspective psycho-culturaliste focalise l’attention sur le changement et l’émancipation de la femme immigrée dont l’accès au salaire et à la contraception est considéré comme une condition. Ainsi, beaucoup de ces études ne font pas une référence adéquate aux origines de la femme. Au contraire, ces origines sont reconstruites sur la base de stéréotypes comme celui de la femme traditionnellement opprimée, isolée, qui ne travaille pas et qui est constamment enceinte. Ainsi, tandis que la tradition signifie immobilité et oppression, la modernité se présente comme synonyme de promotion, d’amélioration et de liberté pour les femmes.

D’autres critiques érigées contre ce modèle comprennent l’impossibilité de faire des généralisations sur les caractéristiques importantes de la migration masculine et féminine, ce qui limite les recherches comparatives. En ce qui concerne notre recherche, nous pensons que même si les motivations individuelles sont importantes dans l’analyse de la migration latino-américaine, celles-ci doivent être recontextualisées. Cela veut dire

55 Cf. MOROKVASIC M., "Birds of Passage are also women…" in International Migration Review, nº

4, volume XVIII, 1984, p. 898.

56 Cf. MOROKVASIC M., "Women in migration : beyond the reductionist outlook" in PHIZACKLEA A. (éd.), op. cit. cit., pp. 19-24.

que le fait de comprendre l’agir des femmes migrantes aujourd’hui passe par le fait de situer leurs discours et leurs expériences migratoires dans leurs trajectoires personnelles ou familiales, par le fait de cerner le sens qu’elles donnent à leur expérience migratoire et de dégager leurs univers des croyances. Or, la réalisation des tâches ménagères dans le pays d’immigration entraîne souvent non seulement une dévalorisation professionnelle et une descente dans l’échelle sociale mais aussi l’isolement, la routine, la relégation de la femme dans la sphère de la reproduction et de l’ambiance domestique.

Plus encore, l’analyse de la migration latino-américaine doit aussi faire intervenir d’autres aspects tels que le facteur travail comme un élément attirant la main-d’œuvre latino-américaine dans les marché du travail des société développées (cf. théorie du marché de travail dual, pages précédentes). L’existence de réseaux sociaux (cf. théories des réseaux sociaux) est, à notre avis, un autre facteur facilitant la migration internationale. Celle-ci est aussi insérée dans un contexte globalisé où de multiples échanges et influences se réalisent (cf. moyens de communication et de transport).