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La restauration sociolinguistique en langue maternelle et en langue étrangère

étrangère : résultats et analyse de la tâche de répétition Notre hypothèse est que les apprenants en séjour d’étude dans le pays de la langue cible

6.1. RÉSULTATS ET ANALYSE DE LA TÂCHE DE RÉPÉTITION

6.1.1 La restauration sociolinguistique en langue maternelle et en langue étrangère

En comparant nos résultats avec ceux deBuson et al.(2014) sur le même test, nous constatons que les taux de modification des énoncés non homogènes sont très proches de ceux des natifs. En effet, les apprenants modifient les énoncés non homogènes à hauteur de 55,1%, alors que les natifs modifient les mêmes énoncés à 44,1%. Cependant, si l’on regarde le taux de modification des énoncés homogènes chez les natifs, on s’aperçoit qu’il est de 8%, alors que chez les apprenants ce taux est de 23,6%.

Nous avons décidé d’approfondir notre analyse afin d’essayer de comprendre les raisons de cet écart. Les résultats de l’interaction entre le niveau linguistique et l’homogénéité, ainsi que les ré-sultats de l’interaction entre le niveau linguistique et le sens de modification nous donnent quelques pistes pour expliquer la raison de cette différence.

En effet, chez les apprenants, comme nous le constatons avec le graphique 6.3, les taux des mo-difications dans la condition homogène des énoncés comportant des variables phonologiques sont très élevés (M= 41,7%) en comparaison des taux de modification des énoncés énoncés homogènes contenant les variables morphosyntaxiques et discursives (M= 14,6% et 16,7%).

6.1. RÉSULTATS ET ANALYSE DE LA TÂCHE DE RÉPÉTITION 41.7% 12.5% 16.7% 70.8% 66.7% 27.8%

Variables phonologiques Variables morphosyntaxiques Variables pragmatiques 0%

20% 40% 60% 80%

Modification des variables Homogène

Non Homogène

FIGURE6.3 – Taux de Modification par Niveau Linguistique et Homogénéité

Il est donc probable que les taux de modification très élevés des apprenants en condition homo-gène résultent essentiellement de l’usage des variantes des niveaux phonologiques. Pour approfon-dir ce résultat, nous avons examiné les taux de modification de chaque variable sociolinguistique en fonction du sens de modification et de l’homogénéité, comme illustrés dans les graphiques 6.4, 6.5 et 6.6.

Chapitre 6. Organisation cognitive des variantes en LE

6.1. RÉSULTATS ET ANALYSE DE LA TÂCHE DE RÉPÉTITION

FIGURE 6.5 – Taux de Modification des variables morphosyntaxiques vers le standard et vers le non standard

Chapitre 6. Organisation cognitive des variantes en LE

Le graphique de la figure 6.4 met en évidence que les modifications vers le standard du niveau phonologique en condition homogène (taux à 61,1%) sont très élevés. Ce résultat signifie que les apprenants ont tendance à produire de nombreuses variantes standard du niveau phonologique, que ce soit en condition homogène ou en condition non homogène. Nous supposons que cette tendance résulte de l’input auquel les apprenants sont exposés : l’input institutionnel. En effet, en ce qui concerne la variable phonologique /l/ dans le pronom clitique « il »,Mougeon et al.(2002)5mettent en évidence la convergence entre la variante standard (le maintien du /l/) dans les extraits oraux des manuels de Français Langue Seconde d’une part, et la production des apprenants d’autre part. Selon les chercheurs, les auteurs des manuels didactiques maintiennent catégoriquement la variable phonologique /l/ dans le clitique "il" dans les extraits sonores des livres, malgré un usage presque marginal de cette variante chez les natifs (2%). De cette façon, nous pouvons supposer que les apprenants ont systématisé l’utilisation de la variante standard, conduisant ainsi à la modification des énoncés informels homogènes.

Nous constatons également que les taux de modification des variables discursives sont très faibles et qu’ils sont très proches en conditions homogènes et non homogènes. Pour cette raison, nous avons décidé de vérifier si la différence entre les moyennes de modifications des conditions homogènes et non homogènes était significative, et ceci pour chaque énoncé. Nous avons utilisé le test T de Student pour effectuer cette comparaison de moyenne. Pour ce faire, nous avons opposé chaque paire d’énoncés comportant le même marqueur. De cette façon, nous avons analysé les moyennes de modification des énoncés IH5 et FnH5, IH6 et FnH6, FH5 et InH5, FH6 et InH6. Pour rappel, le taux de modification indique le pourcentage de changement d’homogénéité de l’énoncé6. Les résultats de ce test sont illustrés dans le tableau 6.1.

5. Cf. (Mougeon et al.,2002, pp. 11,20).

6.1. RÉSULTATS ET ANALYSE DE LA TÂCHE DE RÉPÉTITION

Paire MD Énoncé Taux de Modification T de Student Significativité

Paire 1 Hein IH5 0% -1.447 Non significatif

Non standard FnH5 15,38%

Paire 2 Oh mais IH6 61,54% -5.62 Non significatif

Non Standard FnH6 69,23%

Paire 3 Euh Non FH5 6,67% -1.382 Non significatif

Standard InH5 26, 92%

Paire 4 Oui bon FH6 14,29% -0.330 p <0.05

Standard InH6 16,33%

TABLE6.1 – Taux de modification des énoncés pragmatiques

Sauf pour la paire d’énoncés FH6-InH6, soit le remplacement du MD "oui bon" par un MD moins formel, les résultats montrent que la différence entre les conditions homogènes et non ho-mogènes pour les autres MD n’est pas significative, ce qui est cohérent avec la mise en évidence d’une interaction entre le facteur d’homogénéité et le facteur linguistique : le phénomène de res-tauration serait donc moins marqué en ce qui concerne les MD qu’en ce qui concerne les variables sociolinguistiques de niveaux phonologique et morphosyntaxique. Plusieurs facteurs peuvent ex-pliquer ce résultat. En effet, comme le remarque Dostie (2004), les MD sont des particules très saillantes à l’oral. Dans la TRS, ces particules sont placées soit au début soit à la fin des énoncés, ce qui contribue davantage à cet effet de saillance. Les étudiants ont pu retenir ces particules et, de cette façon, répéter l’énoncé tel qu’il a été entendu, ce qui peut expliquer, par exemple, le faible taux de modification des énoncés IH5 et FnH5 (variable discursive "hein"). Il est important de no-ter que des résultats similaires sont attestés chez les natifs. En effet, la différence entre les taux de modifications des énoncés FnH - IH (ce qui correspondent aux paires 3 et 4 dans notre tableau) n’est pas significative non plus chez les natifs (Buson et al.,2014, p.1413).

En deuxième lieu, nous pouvons aussi remarquer que les énoncés IH6 et FnH6, contrairement aux autres énoncés, ont des taux de modification plus élevés (61,54% et 69,23%, dans les condi-tions homogènes et non homogènes respectivement). À notre avis, ce résultat met en évidence la faible connaissance que les étudiants ont de certains MD et de leurs emplois. Dans ce résultat spé-cifiquement, les apprenants ont autant modifié le MD oh mais considéré comme non standard dans l’énoncé informel homogène que dans l’énoncé formel non homogène. Ce comportement peut être le reflet d’un manque de connaissance de l’usage de ce marqueur. En effet, les MD, typiques de

Chapitre 6. Organisation cognitive des variantes en LE

l’oral, sont peu présents dans l’input institutionnel des apprenants. Nous avons consulté des sites web de référence pour les enseignants de FLE, comme le site Le point du FLE, et le site TV5.org, ainsi que les méthodes d’enseignement de base, comme La Grammaire Progressive du Français, Communication Progressive du Françaiset nous n’avons pas trouvé une seule activité proposée sur ce thème. Du fait du manque d’enseignement systématique sur les MD, l’apprenant peut avoir des difficultés pour comprendre leurs valeurs stylistiques et leurs usages. Comme le remarque Bird-song (2012), les schémas linguistiques qui sont acquis de manière uniquement inductive rendent la représentation des connaissances linguistiques et sociolinguistiques moins analytique et moins contrôlée par les apprenants. Ainsi, si les apprenants n’ont pas bénéficié d’informations sociolin-guistiques explicites sur l’usage des MD, et si, par ailleurs, ils ont des contacts peu fréquents avec la variété du français pratiqué hors de la classe de langue (ce qui aboutit à un défaut d’apprentissage implicite des MD), il est probable que la place des MD dans les schémas d’usage soit moins établie que celle pour d’autres variables de notre étude, par exemple le "ne" de négation, qui bénéficient d’un enseignement davantage explicite. Cet ensemble d’interprétations pourrait expliquer pourquoi les apprenants semblent avoir modifié certains MD de façon non conforme au contexte d’usage.

En troisième lieu, du fait que le choix des MD reste exploratoire (il n’existe pas d’études à grande échelle à ce sujet) et que leur valeur sociolinguistique reste intuitive, il pourrait aussi exister un biais lié aux choix des MD insérés au protocole expérimental. En effet, comme nous l’avons vu dans la section 5.2.1, l’analyse de l’enquête en ligne a montré que les MD utilisés dans le test et considérés comme étant formels ont été jugés par les natifs comme étant plutôt informels (même s’ils avaient déjà étaient validés comme étant formels lors d’une autre enquête). Ce qui montre qu’il est possible que les MD choisis au départ ne soient ni complètement formels ni complètement informels.

Puisque les MD ne participent pas pleinement du phénomène de RS, nous avons décidé d’ex-clure les énoncés dont la variable cible est un MD de nos analyses concernant l’influence des facteurs extralinguistiques sur la TRS. En effet, si le phénomène de RS se manifeste de façon aléa-toire dans l’usage des MD par les apprenants, nous ne pourrons plus identifier avec précision quels facteurs influencent ce phénomène. Dans les analyses qui suivent, nous allons donc nous focaliser exclusivement sur les énoncés contentant des variables sociolinguistiques de niveaux phonologique et morphosyntaxique.