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Cognition sociale et attitudes linguistiques : de la perception au jugement

2.2. CONSTRUCTION DU SENS SOCIAL

C’est la raison pour laquelle la Représentation Sociale est également connue comme théorie de la connaissance de sens commun (Elejabarrieta,1996).

En termes de définition,

« une représentation sociale est un ensemble organisé d’informations, d’opinions, d’at-titudes et de croyances à propos d’un objet donné. Socialement produite, elle est forte-ment marquée par des valeurs correspondant au système socio-idéologique et à l’his-toire du groupe qui la véhicule, pour lequel elle constitue un élément essentiel de la vision du monde » (Abric,2003a, p.59).

La représentation sociale est ancrée dans la théorie de la représentation collective (Durkheim,

1898), mais elle s’en différencie dans la mesure où, pour Durkheim, les représentations sont trans-mises ou reproduites, alors que pour Moscovici, les représentations sont le fruit d’un processus d’élaboration collective.

La représentation sociale implique une activité de reproduction métaphorique des propriétés de l’objet social. Elle ne peut pas être assimilée à une image sociale, car elle implique la construction mentale d’un objet qui ne peut pas être dissocié du sujet. Dans cette optique, la représentation sociale existe donc uniquement pour un individu ou un groupe et par rapport à eux.

Caractéristiques et fonctions

Les représentations sociales sont caractérisées par leur nature sociocognitive. Elles expriment en même temps le contenu social de la représentation et les processus cognitifs mis en œuvre pendant la formation et la mémorisation de cette représentation (Jodelet, 1992). Selon Mosco-vici (1961), le contenu des représentations possède trois dimensions : l’information, le champ et l’attitude. L’information contient l’ensemble des connaissances des sujets à propos de l’objet de la représentation. Le champ indique la façon dont l’information est structurée. Comme le souligne

Herzilich(1972), le champ de représentation peut différer d’un sujet à l’autre, d’un groupe à l’autre, et même à l’intérieur des groupes. Enfin, l’attitude désigne l’évaluation favorable ou défavorable vis-à-vis de l’objet de représentation.

Chapitre 2. Cognition sociale et attitudes linguistiques

(Moscovici (1961); Herzilich(1972);Elejabarrieta(1996); Fischer(2015)). L’objectivation est le mécanisme qui permet le passage d’éléments abstraits à des éléments concrets. Il s’agit d’un proces-sus d’agencement des connaissances et d’informations relatives à un objet social. D’aprèsMoliner & Guimelli(2015), l’objectivation s’opère en fonction de critères culturels et normatifs. Les infor-mations retenues pour être objectivées doivent respecter le principe de cohérence et le système de valeurs établi par la communauté.

Le processus d’objectivation se réalise en deux étapes. Tout d’abord, l’information à propos de l’objet représenté est retenue de façon sélective pour ensuite être mise hors contexte. Une fois ces éléments extraits, ils seront remodelés et refondus dans une reconstruction spécifique et cohérente. La deuxième étape du processus d’objectivation, appelée naturalisation, consiste en la matéria-lisation des informations, dans le remplacement des concepts abstraits par des images (contenu symbolique) et dans la création des catégories du langage enrichies de sens social. C’est à partir du processus de naturalisation que le schéma figuratif (noyau dur de la représentation) va se former.

De son côté, l’ancrage est une extension de l’objectivation. Dans ce processus, le contenu du schéma figuratif est interprété et placé dans un réseau de significations. Ce réseau représente le système de valeurs du sujet et du groupe : « Il montre les relations existantes entre différents élé-ments et, de ce point de vue, il reflète l’identité des individus au travers, précisément, des diverses significations présentes dans leurs représentations » (Fischer, 2015, p.180). L’ancrage a une fonc-tion d’intégrafonc-tion, car il insère une nouvelle représentation dans un système de pensée existant, permettant, de cette façon, une nouvelle organisation des éléments de signification. En ce sens, l’ancrage permet de transformer des informations inconnues en connaissances familières, par un enracinement social du nouveau contenu de la représentation.

Les représentations sociales remplissent des fonctions qui aident le sujet à comprendre le monde et à justifier ses prises de position. Il existe quatre fonctions : fonction de savoir, fonction iden-titaire, fonction d’orientation et fonction justificatrice. La première concerne le savoir construit au sein du groupe. Selon Tafani & Bellon (2003), la représentation sociale permet « aux acteurs sociaux d’acquérir des connaissances et de les intégrer dans un cadre assimilable et compréhen-sible pour eux, en cohérence avec leur fonctionnement cognitif et les valeurs auxquelles ils adhé-rent » (ibidem, p. 15-16). La fonction identitaire permet à l’individu d’avoir une identité sociale puisque la représentation sociale est relative à un groupe spécifique et en ce sens, elle reflète l’iden-tité du groupe concerné. La fonction d’orientation détermine le type de démarche cognitive qui sera adoptée dans une situation. Elle oriente les comportements et les pratiques sociales adoptées au sein d’un groupe. Enfin, la représentation sociale a une fonction justificatrice, dans le sens où

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les sujets prendront appui sur elle pour justifier leurs actions.

Structure de la Représentation Sociale

Au niveau de la structure, les représentations sociales s’organisent autour d’un noyau central (Abric, 1976, 1987, 1994a) qui désigne la signification et l’organisation des représentations. Le noyau est constitué d’éléments cognitifs, comme les opinions, croyances, valeurs, qui sont partagés par le groupe porteur de la représentation (Moliner, 2005). Le noyau a deux fonctions. Première-ment, il a une fonction génératrice, c’est-à-dire la capacité à créer et à transformer la signification de la représentation. Deuxièmement, il a une fonction d’organisation, car c’est lui qui détermine la nature des liens qui unissent entre eux les éléments de la représentation. D’aprèsAbric(1994b), le contenu du noyau serait défini ainsi :

« le noyau central est déterminé d’une part par la nature de l’objet représenté, d’autre part par la relation que le sujet ou le groupe entretiennent avec cet objet, enfin, par les systèmes de valeurs et de normes sociales qui constituent l’environnement idéologique du groupe » (ibidem, p. 30).

Les éléments périphériques se placent autour du noyau et possèdent plusieurs fonctions.Tout d’abord, ils ont une fonction de concrétisation : ils intègrent les représentations dans un système déjà existant (processus d’ancrage). Deuxièmement, ces éléments ont une fonction de régulation : ils adaptent la nouvelle représentation aux évolutions du contexte. Enfin, ils ont une fonction de défense: ils protègent le noyau central des changements.

Transformation de la représentation sociale

Certaines circonstances peuvent entraîner des modifications dans les pratiques du groupe, par exemple un phénomène climatique ou un problème de santé publique. Ces nouvelles pratiques peuvent être en désaccord, total ou partiel, avec une ou plusieurs représentations partagées par le groupe. Selon Flament(2011), ce désaccord impacte d’abord les éléments périphériques de la représentation. Comme nous l’avons évoqué, l’une des fonctions des éléments périphériques est de protéger le noyau central de modifications. Une fois les éléments périphériques touchés, ils seront réorganisés afin de protéger le noyau. Toutefois, si ce nouveau phénomène s’amplifie, il est possible

Chapitre 2. Cognition sociale et attitudes linguistiques

que le noyau central soit touché et que la représentation soit modifiée complètement. C’est le type de changement dans les pratiques du groupe et la façon dont le groupe se comporte devant ce changement qui vont déterminer la possibilité que le noyau central soit modifié.

D’aprèsFlament & Rouquette(2003), les transformations des représentations peuvent être de trois types : résistantes, progressives ou brutales. Les transformations résistantes correspondent aux nouvelles pratiques observées au sein d’un groupe. Elles durent un temps limité et pour cela sont considérées comme marginales ou circonstancielles. Le noyau central reste préservé et le sys-tème périphérique s’adapte à cette nouvelle conduite du groupe. Les transformations progressives correspondent à un changement partiel du système du noyau central, ce qui permet la continuité de la représentation. Les transformations brutales symbolisent les changements dans lesquels tout le contenu du noyau de la représentation est touché, ce qui indique une modification soudaine dans le comportement du groupe.

L’étude de Guimelli (1988) met en évidence le processus de transformation progressive des représentations. L’auteur a analysé la modification de la représentation de la chasse auprès des chasseurs de la région du Languedoc suite à une réduction importante du gibier et du fait de nou-velles pratiques écologiques (par exemple, la protection de certaines espèces). La représentation initiale de la chasse, à savoir la maitrise des techniques de chasse, a été confrontée à ces nouvelles pratiques. Des éléments liés à l’écologie ont été incorporés dans le niveau périphérique de la re-présentation, ce qui a produit de nouvelles représentations, à savoir la nécessité de la gestion des territoires de chasse.

Elejabarrieta(1996) synthétise le processus de transformation des représentations en trois étapes. Tout d’abord, il y a un phénomène nouveau, ou une modification des conditions ou des pratiques d’un individu/d’un groupe. Ensuite, cette nouvelle pratique devient saillante et engendre des modi-fications dans le réseau de signimodi-fications du sujet/groupe. Enfin, par un processus de communication collective, cette nouvelle représentation sera intelligible et manipulable.

2.2.2 Catégorisation sociale

Nous venons de voir dans la section précédente que les Représentations Sociales sont un en-semble organisé d’informations à propos d’un objet donné. SelonSalès-Wuillemin(2007), le pro-cessus de catégorisation influe sur l’élaboration de l’image de l’objet de représentation, dans le sens où, pour comprendre un objet de représentation, le sujet doit faire la mise en correspondance de cet

2.2. CONSTRUCTION DU SENS SOCIAL