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Perception et jugement des variétés sociolinguistiques en langue étrangère

3.1. ACQUISITION SOCIOLINGUISTIQUE EN LANGUE ÉTRANGÈRE

3.1.1 Des préconisations didactiques aux usages effectifs des apprenants

Le Cadre Européen Commun de Références pour les Langues (CECRL) privilégie l’appren-tissage de la LE selon une perspective actionnelle, particulièrement propice à la prise en compte des compétences sociolinguistiques. En effet, cette perspective envisage les apprenants et usagers d’une langue non seulement comme des locuteurs, mais aussi comme des « acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un envi-ronnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier » (Conseil de l’Europe,2001, p. 15).

Lors de la réalisation des tâches, les sujets mobilisent les compétences dont ils disposent pour parvenir à un but précis. En classe de LE, les compétences sont développées à partir d’activités qui mobilisent les savoirs des apprenants ainsi que leurs savoir-faire, savoir-être et savoir-apprendre. Le CECRL souligne la nature sociale de ces différents types de savoirs. Ces derniers sont des connaissances qui résultent d’expériences sociales (par exemple l’organisation de la journée, les modes de transport) ou d’un apprentissage formel (la connaissance académique). Les savoir-faire portent sur les activités procédurales et impliquent les habiletés des apprenants (se repérer dans un dictionnaire). Les savoir-être concernent les apprenants en tant qu’individus et incluent les at-titudes, l’image de soi et des autres. Enfin, les savoir-apprendre dépendent de tous les types de savoirs. Ainsi, du fait d’un être particulier un apprenant peut mettre en œuvre son savoir-apprendre en se donnant des occasions de prise de parole ou en favorisant une aide éventuelle de la part de l’interlocuteur (ibidem, p.16 − 17). Ces savoirs, dont certains sont de nature sociale, ou élaborés dans des situations sociales, sous-tendent des compétences développées parmi lesquelles la compétence à communiquer langagièrement. Cette dernière mobilise des connaissances linguis-tiques, pragmatiques et sociolinguistiques. La compétence sociolinguistique étant l’objet de notre travail, nous allons l’analyser. Elle est définie de la façon suivante selon le CECRL :

« La compétence sociolinguistique renvoie aux paramètres socioculturels de l’utilisa-tion de la langue. Sensible aux normes sociales (règles d’adresse et de politesse, régu-lation des rapports entre générations, sexes, statuts, groupes sociaux, codification par le langage de nombre de rituels fondamentaux dans le fonctionnement d’une

commu-Chapitre 3. Perception et jugement en langue étrangère

nauté), la composante sociolinguistique affecte fortement toute communication langa-gière entre représentants de cultures différentes, même si c’est souvent à l’insu des participants eux-mêmes » (Conseil de l’Europe,2001, p.18).

Le CECRL détaille, après cette définition, l’ensemble des connaissances qui doivent être ac-quises par les apprenants : les marqueurs des relations sociales, les règles de politesse, les expres-sions de la sagesse populaire4, les différences de registre, les dialectes et les accents. Dans notre travail de thèse, nous allons centrer notre attention sur la façon dont les apprenants se représentent les variations sociolinguistiques en tant que marqueurs de relation sociale, en les reliant avec les différences de registre, les dialectes et les accents.

D’autres cadres de référence, comme les Directives Ministérielles de l’Éducation de L’Ontario (Ontario Ministry of Education,2000), stipulent que des adolescents, élèves en immersion linguis-tique, doivent savoir utiliser les expressions familières et idiomatiques, défendre leurs idées en re-gistre formel et informel, s’exprimer avec clarté et confiance dans le cadre de discussions formelles et informelles. De la même façon, selonMougeon et al.(2002), les mêmes besoins se trouvent chez des étudiants adultes. D’après les auteurs, les enquêtes réalisées par Hart et al. (1989)5 et Tarone & Swain (1995)6 mettent en évidence le souhait des apprenants d’utiliser les variantes sociolin-guistiques de façon cohérente et adaptée aux situations auxquelles ils sont confrontés, souhait qui correspond au « désir de pouvoir adapter leur style à celui de leur interlocuteur, de pouvoir par-ler comme les élèves francophones de leur âge et de recevoir un enseignement qui leur permette d’atteindre ces deux objectifs » (ibidem, p.5).

Ainsi, les besoins didactiques exprimés par les apprenants militent en faveur de l’acquisition d’une souplesse socio-stylistique. L’enseignement d’une LE doit favoriser la prise de conscience de ces apprenants sur le fait que la langue apprise est un fait social et qu’ils doivent produire et comprendre un discours socialement adapté aux contraintes liées au contexte communicationnel. De ce point de vue, l’acquisition de la compétence sociolinguistique doit inclure l’appropriation de la variation sociolinguistique de la langue cible par les étudiants de LE. Malgré l’existence d’un cadre de référence soulignant ces besoins, les études sur la production langagière en L2 montrent,

4. Selon le CECRL les expressions de la sagesse populaire s’expriment par des proverbes (Un" tiens" vaut mieux que deux "tu l’auras"), des expressions idiomatiques (apporter de l’eau au moulin), des valeurs (qui vole un œuf, vole un bœuf), etc. (Conseil de l’Europe,2001, p. 94).

5. Hart, D., Lapkin, S. & Swain, M. 1989. Final report to the Calgary Board of Education : The evaluation of continuing bilingual and late immersion programs at the secondary level. Modern Language Centre/OISE, Toronto.

6. Tarone, E., & Swain,M. 1995. A sociolinguistic perspective on second language use in immersion classrooms. In Modern Language Journal no 79, 166-178.

3.1. ACQUISITION SOCIOLINGUISTIQUE EN LANGUE ÉTRANGÈRE

lorsqu’on la compare à celle des natifs, que l’écart d’utilisation des variantes dans les contextes adaptés est encore très grand.Mougeon et al.(2002) font un récapitulatif des recherches portant sur les productions des apprenants avancés. Ces derniers font moins souvent usage des variantes non-standard courantes que les locuteurs de langue maternelle, et ils surutilisent les variantes non-standard, comme nous pouvons observer dans le tableau 3.1.1 :

Variable sociolin-guistique Variété non-standard parlée à Montréal Production des apprenants anglo-phones en immersion Effacement du « ne » de négation 99.5% 28% Effacement de /l/ cli-tique (ex. i(l) vient)

98% 56%

Remplacement du pro-nom nous par on

98% 56%

TABLE 3.1 – Production non standard de natifs et d’apprenants en immersion (adapté deMougeon et al. (2002))

Dans ce tableau, nous voyons que le score d’utilisation des trois variantes non standard du fran-çais montréalais par les apprenants en immersion est largement inférieur à celui des natifs. Cet écart entre natifs et apprenants pourrait résulter principalement de l’input auquel les apprenants sont le plus souvent exposés : l’input institutionnel. Par exemple, nous voyons dans le tableau 3.1.1 que les natifs suppriment dans la plupart des cas la première partie (ne) de l’adverbe de négation en contexte de conversation ordinaire au Québec (99,5% de suppression, contre 0.05% de maintien (Mougeon et al.,2002, p.11)). Mais on sait par ailleurs que les enseignants de classe d’immersion maintiennent cette variante de la négation à hauteur de 71% lors de cours donnés aux apprenants (Mougeon et al., 2002, p.18). Si les étudiants sont influencés par cet usage magistral, nous pou-vons aisément comprendre pourquoi les étudiants ont une tendance à rester si formels lors de leurs échanges en LE. Plusieurs auteurs (Lyster, 1994b;Dewaele,2002b; Dewaele & Regan, 2002) in-sistent sur le fait que l’enseignement formel en classe de langue est insuffisant pour apprendre les différents usages sociolinguistiques. Ils affirment que seules les interactions avec des natifs peuvent favoriser l’acquisition de toute l’étendue socio-stylistique de la LE, et s’opposent ainsi au modèle formel fourni par certains enseignants de la classe de langue.

Chapitre 3. Perception et jugement en langue étrangère

Dans les sections qui suivent, nous allons présenter les études qui mettent en évidence les fac-teurs exerçant une influence positive sur le processus d’acquisition de la compétence sociolinguis-tique. Nous distinguerons deux groupes de recherches : celles qui portent sur la mise en place de dispositifs pédagogiques afin de faciliter l’acquisition de la variation sociolinguistique en classe de LE, et celles qui portent sur l’acquisition pendant le séjour d’étude dans le pays de la langue cible (study abroad). Le premier groupe de recherches correspond à des recherches effectuées en milieu guidé. Selon Tyne (2012a), l’acquisition en milieu guidé s’effectue dans un cadre institu-tionnel bien délimité, dans lequel l’apprenant est exposé « à des éléments de langue largement présélectionnés en vue de l’apprentissage et même "rangés" sous forme de manuel » (ibidem, p.3). Le second groupe de recherches que nous aborderons correspond à celles effectuées en milieu na-turel. L’acquisition en milieu naturel est celle qui est réalisée lors des programmes d’immersion, des séjours linguistiques ou des échanges universitaires. Ce type d’apprentissage offre, en plus de l’acquisition effectuée en classe de LE ou à l’université (milieu guidé), la possibilité aux apprenants de participer à des échanges informels avec des natifs. Plus particulièrement, le séjour d’étude (ou échange universitaire) permet à l’apprenant d’interagir avec les locuteurs de la langue cible autant pendant les cours (à l’université, par exemple) que dans des situations en dehors du contexte insti-tutionnel (Regan,2002). Pour ce second groupe de recherches, nous aborderons d’abord celles qui comparent les usages des apprenants avant et après le séjour d’étude, puis celles qui comparent les usages des apprenants pendant le séjour d’étude, portant notamment sur le développement de leur réseau social.