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Perception et jugement des variétés sociolinguistiques en langue étrangère

3.1. ACQUISITION SOCIOLINGUISTIQUE EN LANGUE ÉTRANGÈRE

3.1.4 L’influence du réseau social pendant le séjour d’étude

Des études plus récentes (Gautier, 2016; Gautier & Chevrot, 2015, 2012) se sont penchées sur la structure du réseau social des apprenants afin de comprendre pourquoi, pendant le séjour d’étude, certains apprenants adoptent des usages sociolinguistiques non standard, similaires à ceux des natifs, alors que d’autres ayant suivi le même parcours pendant une durée similaire, restent plus formels. Gautier & Chevrot(2012) examinent spécifiquement l’utilisation des variantes "ne" de négation et de la liaison facultative chez des apprenants du FLE en séjour d’étude en France. Les auteurs ont exploré le type de sociabilité développé par les étudiants en leur confiant un carnet de bord où chacun devait noter chaque personne avec qui il avait eu un échange, ainsi que leur natio-nalité et la langue utilisée lors de l’échange, et ce pendant une période de 5 jours. Parallèlement, ils ont suivi l’évolution de l’usage des variables sociolinguistiques au cours du temps, lors d’entretiens avec l’enquêteur. Le groupe observé était composé de sept étudiants américains, âgés de 19 à 23 ans, enregistrés à deux moments séparés d’un intervalle de trois mois pendant un séjour d’étude en France. Finalement, les chercheurs ont reconstruit le réseau social des apprenants à travers l’ana-lyse de ce carnet de bord et l’ont mis en relation avec l’évolution des usages sociolinguistiques. Les résultats montrent que deux apprenants présentent un réseau constitué de plusieurs locuteurs Fran-çais, tandis que le reste du groupe a maintenu des relations essentiellement centrées sur d’autres Américains. En ce qui concerne l’usage des variantes sociolinguistiques, il ressort que l’orientation vers le non standard, mis en évidence par la diminution de l’usage du "ne", est plus marquée chez les deux étudiants ayant construit des réseaux orientés vers les natifs.

Dans une étude postérieure,Gautier(2016) a élargi son échantillon en analysant la relation entre le contenu du réseau de 29 apprenants de FLE et l’évolution de leurs usages sociolinguistiques du "ne" de négation et de la liaison facultative pendant un séjour d’étude en France. Les étudiants, d’origine sinophone et anglophone, ont été suivis pendant 9 mois. Ils avaient un niveau de français situé entre le niveau B1 et le niveau B2 (CECRL) au début de l’étude. L’auteure a également évalué, tout au long du séjour, leur capacité à juger les variantes standard et non standard de ces deux variables comme étant correctes ou incorrectes.

Afin d’observer leurs usages sociolinguistiques, Gautier a mené trois entretiens semi-directifs avec chacun des 29 apprenants. Ces entretiens ont été réalisés 3 fois, avec deux intervalles de 3 mois

3.1. ACQUISITION SOCIOLINGUISTIQUE EN LANGUE ÉTRANGÈRE

entre chaque entretien (soit au début - T1, au milieu -T2 et à la fin du séjour - T3) et leur durée moyenne était de 43 minutes. Pour analyser le réseau des apprenants, de la même manière que dans ses études précédentes, l’auteure a utilisé la technique du cahier de contact. Les étudiants avaient pour consigne de noter pendant une semaine le temps de toutes les conversations face à face ou par téléphone auxquelles ils avaient participé pendant la journée. En ce qui concerne l’évaluation des variables sociolinguistiques, Gautier a mis en place une tâche d’acceptabilité des variantes standard et non standard du "ne" de négation et de la liaison facultative. Les apprenants devaient évaluer 54 énoncés. Ces énoncés étaient organisés par paires. Chaque énoncé contenant une variante stan-dard (par exemple, "Elle peut /t/ encore devenir riche", avec liaison facultative) correspondait à un énoncé contenant une variante non standard (par exemple, "Elle peut encore devenir riche", sans liaison facultative). Des énoncés distracteurs ont été ajoutés aux énoncés cibles (par exemple, Elle peut toujours devenir riche), dans lesquels aucune des deux variables sociolinguistiques n’était pré-sente. Les apprenants ont jugé les énoncés à trois moments différents, à savoir au début, au milieu et à la fin de leur séjour. Lors du dernier temps d’observation, ils devaient répondre à un ques-tionnaire qui avait pour but d’examiner leur capacité à expliciter les règles normatives concernant l’usage des deux variables. L’auteure a émis l’hypothèse que le taux de jugements indéterminés (c’est-à-dire juger indifféremment comme correctes ou incorrectes les variantes standard et non standard) devrait baisser au cours du séjour. Elle a donc supposé que lors de leur arrivée en France, les étudiants seraient peu conscients de la variation en langue cible et qu’ils ne sauraient pas dis-cerner des variantes standard et non standard et qu’ils apprendraient au cours du séjour à faire cette distinction.

Les résultats portant sur l’analyse des entretiens semi-directifs montrent une baisse significative de l’usage du "ne" de négation et de la liaison facultative entre le T1 et le T3 au sein du groupe d’apprenants. La prise en compte de la nationalité des apprenants dans chaque groupe montre que l’usage standard baisse significativement pour les d m variables chez les apprenants anglophones alors que la baisse significative ne concerne que l’usage du "ne" de négation chez les apprenants sinophones. En ce qui concerne la tâche d’évaluation, les taux de jugements indéterminés sont éle-vés lors du premier temps d’observation (60 % pour la liaison facultative et 50 % pour le "ne" de négation) et ils augmentent au fil du séjour pour les deux variables, ce qui va à l’encontre des hypothèses avancées par la chercheuse. Une hypothèse est que le contact prolongé avec la variante non standard remet en question la certitude des apprenants sur la "correction" de la seule variante standard. De ce fait, le jugement des apprenants serait de plus en plus incertain. En outre, l’auteure observe une augmentation des jugements en faveur du standard pour le "ne" de négation entre le premier et le troisième temps d’observation, mais peu d’évolution pour la liaison facultative. Les

Chapitre 3. Perception et jugement en langue étrangère

données concernant le réseau social des apprenants mettent en évidence l’influence de la socia-bilité des apprenants sur l’acquisition de la compétence sociolinguistique. D’une façon globale, les apprenants baissent leurs taux d’usage de la liaison facultative et du "ne" de négation pendant leur séjour. Cependant, cette baisse n’est pas uniforme au sein du groupe. Par exemple, en ce qui concerne l’usage du "ne" de négation, moins les réseaux sont composés de transnationaux (des étu-diants d’autres nationalités qui vivent en France), plus les individus réalisent le "ne" de négation. De même, plus les réseaux sont composés de locuteurs ayant la même nationalité que les appre-nants, plus les apprenants réalisent le "ne" de négation. L’auteure met aussi en évidence l’influence de la sociabilité des apprenants sur l’usage des variantes sociolinguistiques. D’après ses résultats, plus les apprenants développent des réseaux orientés vers leurs pairs, plus l’usage des variantes standard augmente. Inversement, plus les réseaux des apprenants sont composés de locuteurs de la L2, plus l’usage des variantes standard baisse.

3.2 Représentation des variétés sociolinguistiques en langue

étrangère

L’étude de Paternostro (2014), que nous avons citée à la section 3.1.2, nous montre que les étudiants ont été surpris par le fait que les natifs parlent rapidement et utilisent un langage fa-milier. Cette prise de conscience de la part des étudiants montre indirectement qu’en effet, leur représentation sociolinguistique de la LE est complètement différente de la réalité sociolinguis-tique elle-même. Il apparaît ainsi que les apprenants ont une vision de la langue cible en tant qu’entité homogène et normée, et qu’ils n’ont pas conscience de la variation dont elle est le siège, puisqu’eux-mêmes ne parviennent pas à utiliser cette langue "homogène et normée". Ce fait peut contribuer à une auto-évaluation négative de leur propre production, et à un sentiment d’insécurité linguistique.

Dans cette section, nous allons présenter des études qui mettent en évidence des enjeux rela-tifs à la norme dans la représentation des variétés sociolinguistiques de la langue cible chez les apprenants. Notre objectif est d’examiner d’abord l’impact de la norme sur le jugement des varié-tés sociolinguistiques par les apprenants et sur les attitudes qui les sous-tendent, et de comprendre comment la norme produit le phénomène de l’insécurité linguistique en L2. Pour rappel, l’insé-curité linguistique est un phénomène mis en évidence par Labov (1976) lors de tests de réaction subjective. Il s’agit de la divergence entre l’usage d’un locuteur et sa conception de ce qu’est la