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Perception et jugement des variétés sociolinguistiques en langue étrangère

3.2. REPRÉSENTATION DES VARIÉTÉS SOCIOLINGUISTIQUES

3.2.2 Jugement et attitudes linguistiques

À l’instar de Lambert et al. (1960), plusieurs chercheurs ont utilisé la technique du Matched Guisepour explorer les attitudes linguistiques8envers des variétés sociolinguistiques dans le contexte plurilingue du Canada. Ces études se sont centrées sur les attitudes des locuteurs francophones et anglophones envers les variétés du français et de l’anglais (Lambert,1967;Lambert et al.,1960), sur les attitudes des locuteurs francophones et anglophones envers les variétés du français de France et du français québécois (Preston, 1963)9, et sur les attitudes des locuteurs francophones et an-glophones monolingues et bilingues envers les variétés de l’anglais, du français de France et du français québécois (Anisfeld & Lambert, 1964). De façon générale, ces études montrent que les locuteurs ont des jugements plus favorables envers les variétés de prestige ou les langues majori-taires.

D’autres études ont montré la même tendance chez des migrants apprenant la langue au sein du pays d’accueil.Ibarraran et al.(2008) ont analysé les attitudes envers la langue basque des étudiants étrangers installés dans la Communauté Autonome du Pays Basque. Dans ce contexte, la langue basque est minoritaire et la langue espagnole est une variété majoritaire. Cette étude montre que les étudiants ont des attitudes plus favorables envers l’espagnol qu’envers le basque. Une étude similaire (Bernaus et al.,2004) montre que des apprenants migrants à Barcelone ont des attitudes plus favorables envers l’espagnol qu’envers le catalan.

Enfin, une troisième catégorie d’études porte sur les attitudes des apprenants de l’anglais envers les variétés internationales standard et non standard de la langue anglaise, parlées par des locuteurs de différentes nationalités. Les résultats montrent que les apprenants ont en général des attitudes plus favorables envers les variétés parlées par les locuteurs natifs britanniques et américains. Par

8. Cf. Chapitre 2, section 2.3.1. 9. Cf. page 54.

Chapitre 3. Perception et jugement en langue étrangère

exemple Jenkins(2009) montre que les apprenants ont des attitudes moins favorables envers les locuteurs non natifs de l’anglais d’origines indienne, chinoise et japonaise et des attitudes plus fa-vorables envers les variétés standard parlées par des locuteurs natifs britanniques ou américains.

McKenzie (2006) observe la même tendance chez des apprenants japonais. Son étude, menée au-près de 558 étudiants, concerne leurs attitudes envers 6 variétés de l’anglais : Gasglow vernacular speech, Gasglow Standard English, Southern United States English, Midwest United States En-glish, ainsi que deux variétés parlées par deux locuteurs japonais non natifs de l’anglais, accent modéré et fort accent. Les résultats montrent que les étudiants ont des attitudes plus favorables envers les natifs quel que soit le niveau de formalité des énoncés par comparaison avec les locu-teurs non natifs. Cependant, en ce qui concerne les attitudes portant sur la solidarité, les résultats montrent que les étudiants se déclarent plus solidaires envers des locuteurs non natifs ayant un fort accent.

Nous allons présenter maintenant deux études portant sur les attitudes linguistiques des appre-nants du français à propos des variétés sociolinguistiques de cette langue. La première concerne les attitudes des apprenants en classe de FLE en France, et la deuxième porte sur les attitudes des apprenants migrants de français langue seconde, en immersion au Canada.

L’étude deBerchiche & Stéphan(1996) examine les représentations de différentes variétés du français chez des apprenants de FLE et les compare à la façon dont ils considèrent différentes variétés de leur propre langue maternelle. Le travail a été mené auprès d’étudiants de différentes nationalités10inscrits au cours de Langue et civilisation françaises de l’Université de la Sorbonne. Le but des chercheuses était double : étudier les représentations des variétés des apprenants et les sensibiliser à la diversité de la langue française, pour leur apprendre à mieux se faire comprendre dans différents contextes. Afin de susciter la réaction des apprenants envers les différentes variétés, les auteures ont utilisé les documents issus de la méthode Libre échange11. Ces documents abordent la notion d’accent en opposant le français parlé à Paris et celui parlé en "province", ainsi que différentes variétés trouvées dans la région parisienne. La discussion menée pendant le cours portait précisément sur différentes catégories de français distinguées par les chercheuses : le "français soutenu", le "français naturel" et le "français familier".

L’analyse des discussions en classe a été faite en deux parties. Dans la première, les auteures ont repéré les catégories morales et esthétiques évoquées par les étudiants, catégories sur lesquelles ces

10. L’article ne nous fournit pas le nombre de participants de l’étude, ni leurs nationalités, ni la méthodologie du recueil des données.

3.2. REPRÉSENTATION DES VARIÉTÉS SOCIOLINGUISTIQUES

derniers se sont appuyés pour verbaliser leurs impressions au sujet des variétés. Dans la seconde, elles ont comparé la perception que les apprenants ont de la variation dans leur langue maternelle avec leur représentation de la variation en langue française. L’objectif était de vérifier à quel point les étudiants sont conscients de l’hétérogénéité dans leur langue maternelle et à quel point ils sont capables de percevoir l’hétérogénéité de la langue cible. Les résultats montrent que les étudiants ont tendance à valoriser les formes prestigieuses et normées du français. Par exemple, une étudiante allemande déclare que le français qu’elle entend à la laverie est « moins joli et moins chic » que le français qu’elle entend à l’université. Un étudiant iranien affirme que « tous les jeunes Fran-çais entre 8 et 20 ans parlent mal » (ibidem, p.15). Malgré l’existence de ces représentations, les étudiants ne savent pas expliquer pourquoi ils ont de telles impressions.

En ce qui concerne la perception de la variation dans leur langue d’origine, les résultats montrent que les étudiants y sont très sensibles et qu’ils sont capables de la repérer. Selon les auteures, les apprenants seraient capables, après quelques mots prononcés, de reconnaître l’origine régionale de la personne qui leur parle dans leur langue natale. Cependant, quand il s’agit de repérer les mêmes différences dans la langue cible, les étudiants ne perçoivent que des contrastes sociolinguistiques très généraux, notamment ceux qui concernent les variétés liées à l’âge et à l’opposition du français parlé au nord et au sud de la France. Par exemple, les apprenants affirment que les jeunes Français utilisent davantage de termes comme truc, machin, etc. et davantage d’expressions familières par rapport aux personnes plus âgées. En ce qui concerne les différences régionales, les apprenants affirment qu’ils se sentent plus à l’aise pour comprendre les locuteurs de la région parisienne qui ont, selon eux, une façon de parler plus standard que les locuteurs venus d’autres régions. Nous pouvons supposer que cette aisance résulte du fait que ces étudiants sont immergés dans la variété sociolinguistique qu’ils entendent à Paris. Ils ont donc développé une certaine familiarité avec la variété d’Île-de-France, ce qui rend plus facile leur compréhension des locuteurs parisiens.

Une étude plus récente portant sur le jugement des variétés sociolinguistiques auprès des étu-diants de FLS a été menée à Montréal, au Canada.Guertin(2016) a analysé les attitudes des étu-diants hispanophones d’origine latino-américaine envers les variétés du français parlée au Québec et en France. Selon l’auteure, des études antérieures (Maurais,2008;Kircher,2009) ont montré que les étudiants allophones ont des attitudes défavorables envers la variété parlée au Québec. D’après ces études, le français de France est considéré comme étant la norme et la variété québécoise comme étant une variété non standard. L’auteure utilise la technique du Matched Guise pour faire juger 4 variétés du français par les apprenants : le français de France formel, le français de France informel, le français québécois formel et le français québécois informel. Les énoncés ont été enregistrés par

Chapitre 3. Perception et jugement en langue étrangère

4 locutrices natives : 2 locutrices françaises et 2 locutrices québécoises. Au total, les étudiants ont écouté et évalué 10 énoncés, 2 énoncés d’entraînement et 8 portants sur les variétés. Les étudiants ont écouté et évalué les locutrices à partir d’une grille portant sur des traits de caractère reliés à la dimension statut et à la dimension solidarité12, selon une échelle de 4 points : "pas du tout", "un peu", "assez" et "beaucoup". En outre, il a été demandé aux étudiants l’origine de la locutrice pour chaque énoncé (Française, Québécoise). Les résultats de l’analyse de variance montrent des dif-férences significatives entre les jugements en fonction de l’origine dialectale - français de France versus français québécois- et du style - style formel versus style informel. En ce qui concerne les traits reliés à la dimension statut, les apprenants jugent plus favorablement les locutrices québé-coises en situation formelle que les locutrices françaises en situation informelle. En ce qui concerne la dimension solidarité, les étudiants jugent plus favorablement les énoncés formels que les énon-cés informels. Dans ce dernier cas, l’opposition entre le français de France et le français du Québec a peu d’influence sur les jugements. D’une façon générale, les étudiants ont tendance à évaluer plus positivement les énoncés formels que les énoncés informels d’une même locutrice, quel que soit son origine. En ce qui concerne l’opposition entre le français de France et le français québécois, les deux locutrices évaluées le plus positivement étaient originaire pour l’une de France et originaire du Québec pour l’autre, toutes deux en situation formelle. En ce qui concerne l’association des styles formels et informels aux variétés, les résultats montrent que les pistes sonores informelles d’une locutrice d’origine française et de deux locutrices québécoises sont perçues par les étudiants comme étant des variétés québécoises et les pistes sonores formelles de deux locutrices françaises et d’une locutrice québécoise sont perçues comme étant des variétés françaises par les étudiants.

En comparant ses résultats avec celles d’études précédentes,Guertin(2016) conclut que les dif-férences concernant les jugements reliés à la dimension statut, portant sur l’origine des locutrices, peuvent être expliquées par la perception que les étudiants ont eue de la locutrice. En effet, la lo-cutrice évaluée le plus favorablement (lolo-cutrice québécoise) a été perçue par les étudiants comme originaire de France. D’une façon générale, sur le plan de l’origine, les locutrices perçues comme étant d’origine française ont été évaluées de façon plus favorable que celles qui ont été perçues comme étant québécoises. En mettant en perspective ces résultats, l’auteure conclut qu’il existe malgré tout une modification favorable des attitudes envers les variétés québécoises du français.

12. Les traits reliés à la dimension statut sont : intelligente, éduquée, digne de confiance, qui a de l’ambition, qui a les qualités d’un leader. Les traits reliés à la dimension solidarité sont : chaleureuse, sympathique, aimable, sociable, qui a de l’humour.