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Cognition sociale et attitudes linguistiques : de la perception au jugement

2.2. CONSTRUCTION DU SENS SOCIAL objet avec d’autres objets familiers

En effet, la catégorisation est un processus qui permet de systématiser et de simplifier les infor-mations reçues par un sujet, soit en créant de nouvelles catégories avec ces inforinfor-mations, soit en les affectant aux catégories existantes (Tajfel & Wilkes, 1963). Il s’agit d’un mécanisme qui permet d’ordonner l’environnement en termes de catégories : groupes de personnes, d’objets et d’événe-ments. Mise en évidence par Tajfel (1959), la catégorisation sociale s’opère par différents biais perceptifs qui impliquent une distorsion dans l’appréhension d’autrui4. SelonTajfel (1972), « les nombreux changements rapides et continus qui se produisent dans l’individu, dans son environ-nement et dans les rapports qu’ils entretiennent doivent être traités par les individus comme si les similitudes ou différences étaient plus prononcées qu’elles ne le paraissent » (ibidem, p. 272). En d’autres termes, pour mieux comprendre le monde qui l’entoure, du point de vue cognitif, l’indi-vidu maximise les ressemblances intracatégorielles (biais d’assimilation) et exagère les différences intercatégorielles (biais de contraste). Deux activités cognitives sous-tendent ce processus de clas-sement, l’induction et la déduction (Leyens et al., 1996). Du fait de certains de ses traits perçus comme saillants, un individu sera affecté par induction dans une catégorie. Ensuite, par déduc-tion, des traits stéréotypiques lui seront associés. Par exemple, un individu pourra être associé à une catégorie religieuse quelconque à partir de sa façon de s’habiller et ensuite être jugé selon les caractéristiques stéréotypiques associées à cette religion.

La catégorisation se fait à partir de la ressemblance entre les objets et de leur spécificité dans les classes hiérarchiques qu’ils représentent. Les individus regroupent des objets similaires et les classent du plus spécifique (par exemple, un piano) au plus générique (par exemple, un instrument de musique). Certains éléments sont plus typiques d’une certaine catégorie, c’est-à-dire qu’ils en sont les plus représentatifs. Chaque catégorie est donc représentée par un prototype (Roch et al.,

1976), c’est-à-dire un élément abstrait qui contient les traits les plus saillants et qui sert de référence pour les jugements concernant cette catégorie. Par exemple, rose peut être le prototype de la caté-gorie fleur car elle présente un grand nombre de traits représentatifs de la catécaté-gorie fleur (pétales autour d’un cœur, couleur, odeur agréable, etc.). La classification d’un objet dans une catégorie se fait par la comparaison entre l’objet et l’élément prototypique de la catégorie. Cette classification prend en compte la fréquence des traits similaires entre l’objet et l’élément prototype. De cette façon, les informations reçues par les sujets doivent s’accorder ou être modifiées afin de s’intégrer aux catégories pré-existantes. SelonYzerbyt & Schadron(1996), certaines catégories ont une pré-gnance perceptive particulière. C’est le cas des catégories primitives (Brewer et al., 1981), telles

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que l’âge et le sexe. Ces catégories évoquent des dimensions qui sont perçues par les sujets non seulement plus rapidement mais aussi plus fréquemment lors des tests perceptifs.

La saillance joue également un rôle important dans le processus de catégorisation. Selon sa saillance, un même objet peut être classé de différentes façons. Plusieurs facteurs contribuent à l’effet de saillance, comme la récence et la fréquence d’exposition à l’objet, le contexte dans lequel il est inséré, sa visibilité. Le fait qu’un item ou une caractéristique soit le plus visible favorise l’effet de saillance. Par exemple, la seule personne habillée en t-shirt parmi plusieurs personnes qui portent une veste sera la plus saillante dans son groupe. L’étude de Taylor et al.(1978) met en évidence le rôle de la saillance dans le processus de catégorisation. Ils ont mené trois études auprès de 207 étudiants en école d’été à Harvard. Dans l’une des études, les auteurs ont créé un scénario dans lequel six personnes discutaient pendant une durée de 15 minutes. Le visage de chacun d’entre eux a été montré sur une diapositive au moment de son tour de parole. Trois conditions ont été établies. Dans la première, les six sujets étaient blancs. Dans la deuxième, le groupe était composé de trois personnes noires et trois personnes blanches. Dans la troisième, une seule personne était noire. Les étudiants devaient écouter la conversation et répondre à des questions sur ce dialogue. Les résultats montrent que le sujet noir de la troisième condition a été jugé comme étant plus persuasif que son homologue de la deuxième condition. Les étudiants lui ont attribué des caractéristiques plus extrêmes qu’au sujet noir de la deuxième condition. En outre, les étudiants ont interprété de façon différente ce qu’il avait dit dans chacune des conditions et ils se souvenaient mieux de ce qu’il avait dit lorsqu’il était seul parmi les 5 sujets blancs.

2.2.3 Stéréotypes sociaux

La catégorisation sociale est étudiée en psychologie sociale à partir de la relation établie entre les groupes et les traits stéréotypiques qui leur sont attribués. Les stéréotypes n’ont pas simple-ment un impact direct sur la perception des individus mais égalesimple-ment sur leur conduite. D’après

Leyens et al.(1996), « les stéréotypes sont le résultat d’un processus visant à réguler de façon aussi efficiente que possible les interactions sociales » (p.23). Les stéréotypes représentent un raccourci simplificateur qui amène à une prise de position (Baugnet, 2003). En ce sens, les schématisations et simplifications qu’opèrent les stéréotypes vont avoir pour fonction de permettre aux individus de vivre socialement en réduisant le degré de complexité des informations reçues.

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prunté à la typographie et utilisé parLippmann(1922) comme l’idée d’ « images dans nos têtes ». Les stéréotypes représentent une « manière de penser par cliché qui désigne les catégories descrip-tives simplifiées basées sur des croyances et par lesquelles nous qualifions d’autres personnes ou d’autres groupes sociaux » (Fischer,2015, p.163).

Les stéréotypes sont le produit final du processus de stéréotypisation. D’après Leyens et al.

(1996), ce processus consiste à appliquer aux individus un jugement qui les rend « interchangeables avec les autres membres de leur catégorie » (ibidem, p. 24). Autrement dit, la stéréotypisation im-plique que tous les membres d’une catégorie soient quasi identiques. Par exemple, si une personne est assignée à la catégorie des introvertis, alors elle est censée présenter tous les comportements typiques des introvertis (Leyens et al.,1996).

SelonYzerbyt & Schadron(1996), la création d’un stéréotype au sein de la population est due à l’analyse des rôles sociaux et des différentes positions occupées par les sujets dans la société. Ils citent le travail de Eagly & Kite(1987) comme le plus représentatif de cette proposition. D’après les auteurs, les croyances concernant les groupes d’origines différentes dans un pays sont directe-ment liées au fait que ces groupes sociaux sont inégaledirecte-ment répartis entre les classes sociales, ce qui affecte directement leurs rôles sociaux. Par exemple, aux États-Unis, les Noirs, moins favorisés économiquement que les Blancs, occupent des rôles qui exigent moins de compétences ou de pou-voir. Les stéréotypes dévalorisants qui leur sont attribués viennent du fait qu’il existe une confusion entre les caractéristiques propres aux Noirs et celles des rôles sociaux qu’ils occupent.

D’aprèsLeyens et al.(1996), les stéréotypes sont de nature corrélationnelle. Un lien est établi entre un attribut et un groupe donné. Cependant, les stéréotypes peuvent aussi être biaisés et ame-ner à de fausses corrélations. Ils illustrent cette proposition avec l’étude classique de Hamilton & Gifford (1976). Dans cette étude, les sujets ont reçu une série de 39 phrases décrivant différents comportements réalisés par des personnes identifiées soit par la catégorie « A » , soit par la caté-gorie « B ». La personne de la catécaté-gorie A est décrite par 26 comportements dont 18 positifs et 8 négatifs, et la personne de la catégorie B par 13 comportements dont 9 positifs et 4 négatifs. Les sujets reçoivent ensuite une liste de tous les comportements, puis doivent retrouver quel compor-tement appartient à la catégorie A ou B et ensuite juger les deux groupes. Les résultats montrent que les comportements négatifs sont plus souvent associés au groupe ayant le moins de compor-tements (groupe minoritaire, catégorie B) et les comporcompor-tements positifs sont plus souvent associés au groupe ayant le plus de comportements (groupe majoritaire, catégorie A), malgré la proportion identique de caractéristiques positives et négatives dans ces deux groupes. Cette étude met en évi-dence l’illusion de corrélation que les sujets établissent entre le nombre de caractéristiques attribué

Chapitre 2. Cognition sociale et attitudes linguistiques

à un certain groupe et la surestimation de certains traits selon l’appartenance du groupe (minori-taire ou majori(minori-taire). L’expérience a été reprise en adoptant le même nombre de caractéristiques par groupe mais en inversant la polarité des comportements (donc pour le groupe A, 18 compor-tements négatifs et 8 positifs ; pour le groupe B, 9 négatifs et 4 positifs). Les résultats vont dans le même sens que les résultats antérieurs : les comportements plus fréquents (négatifs) ont été at-tribués au groupe majoritaire et les comportements moins fréquents (positifs) ont été atat-tribués au groupe minoritaire.

2.3 Représentation des Variétés Sociolinguistiques : Jugement