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1. Les Reconnaissances

1.4 Reprises et développements (Rec., VIII, 52-55)

1.4.1 Retour sur la théorie des couples antagonistes (Rec., VIII, 52-53)

Les livres VIII à X sont le théâtre de discussions entre, d’une part, un vieillard, et d’autre part, Pierre, Nicètas, Aquila et Clément sur le thème du déterminisme astrologique et de la Providence divine ; les trois frères prennent successivement la parole, un à chacun des trois jours que durent les discussions. Chacun, par des discours étendus105, tente de convaincre le vieillard que la thèse selon laquelle tout est déterminé, pour les humains, par le thème de la naissance, est fausse ; plutôt, c’est la raison et la Providence qui gouvernent tout.

Lors de la deuxième journée, Aquila explique la raison de la présence dans le monde

104 Mt 6, 24 ; Lc 16, 13.

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à la fois d’ordre et de désordre ; car si la création est gouvernée par une raison, comment expliquer qu’il s’y produise des troubles? Il affirme que les maux sont la conséquence de l’incroyance et de l’impiété des hommes qui, du fait de leur libre arbitre, ont choisi de faire le mal106.

Aquila reprend ici la thèse des deux rois : Dieu a assigné « à celui qui prend plaisir au bien »107 l’ordonnance des biens qui mènent les justes vers la foi en la Providence, mais à « celui qui prend plaisir au mal »108, Dieu a attribué des maux, qui sont les contraires exacts des biens, et qui mènent à douter de la foi en la Providence. C’est pourquoi, poursuit Aquila, si le mouvement ordonné des astres inspire la foi en une raison supérieure, « les perturbations de l’air, le vent pestilentiel, les feux vagabonds de la foudre contredisent l’œuvre de la providence »109.

Toute chose bonne dans la création a donc un mal qui lui est à la fois opposé et uni : la pluie féconde a comme antagoniste la grêle, la rosée paisible la rouille qui détruit les récoltes, les vents légers les tourbillons des tempêtes, les arbres fruitiers les arbres stériles, les animaux doux les bêtes sauvages. De la même manière, on retrouve dans le monde des hommes pieux et des hommes impies, des prophètes et des faux prophètes, des philosophes et des faux philosophes110, une bonne circoncision pratiquée par les juifs et une mauvaise

106 Rec., VIII, 51. 107 Rec., VIII, 52, 2. 108 Rec., VIII, 52, 2. 109 Rec., VIII, 52, 3.

110 Malgré la vision plutôt négative véhiculée à son sujet dans les Reconnaissances, par exemple en Rec., I, 3-

4, alors que Clément est frustré dans sa quête de vérité auprès des écoles philosophiques, la philosophie n’est jamais complètement rejetée. La discussion sur l’astrologie, aux livres VIII-X, en montre quelques exemples. Par la forme des exposés prononcés par Nicétas, Aquila et Clément qui se rapproche du genre philosophie, d’une part, et aussi par l’autorité qui est donnée à Platon (Rec., VIII, 20, 2) et aux stoïciens (Rec., VIII, 33-34). C’est que la tradition philosophique est incomplète sans la connaissance révélée par le vrai Prophète. En effet, la philosophie est incapable de purifier la conscience (Rec. X, 48,2) et ne peut pas donner accès au savoir des choses invisibles et futures (Rec., X, 51, 2). Si les philosophes ont formulé des idées qui se rapprochent de la vérité, ils n’ont pas la connaissance de Dieu (Rec., X, 48, 1). Il est donc essentiel de se baser sur la foi en la vérité prophétique (Rec., X, 51, 3), car elle n’est pas fondée sur l’intelligence humaine et faillible. Dans les Reconnaissances, mais aussi dans les Homélies, c’est Pierre qui incarne la figure parfaite du philosophe, puisqu’il est dépositaire de la tradition transmise par le vrai Prophète. Comme l’affirme D. Côté : « Malgré le discours négatif que le texte fait tenir à l’endroit de la philosophie, la figure de Pierre comporte tout de même certains éléments caractéristiques du philosophe. Par exemple, [...] l’apôtre sait se montrer habile dialecticien dans ses échanges avec Simon. Il s’agit de là, à

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pratiquée par les arabes, le culte divin et le culte des démons, le baptême et le baptême111, la Loi divine et les lois humaines, les apôtres et les faux apôtres, les docteurs et les faux docteurs, le pouvoir de la parole de Dieu et l’art de la magie. Il n’y a donc rien qui mène à la foi en la Providence qui n’ait pas son contraire, qui conduise vers l’incroyance. Chacun doit ainsi connaître cette organisation des choses pour choisir l’ordre plutôt que ce qui est contre l’ordre112.

1.4.2 Les deux voies (Rec., VIII, 54)

Le vieillard demande alors comment savoir lequel des deux ordres il faut suivre ; Aquila lui répond que là où il y a de l’ordre, il y a forcément une intelligence sous-jacente. En effet, si une pierre tombe et éclate en mille morceaux, aucun des morceaux ne sera identique. Mais si Phidias sculpte un bloc de pierre, il peut lui donner la forme qu’il veut. Aquila exhorte ensuite le vieillard, maintenant qu’il a appris l’existence de ces deux voies, à fuir celle de l’incroyance, afin qu’il ne soit pas conduit à ce prince qui prend plaisir aux maux, mais qu’il suive plutôt le chemin de la foi qui le mènera vers le roi qui prend plaisir au bien des hommes.

1.4.3 Les deux règnes (Rec., VIII, 55)

Le vieillard interroge ensuite Aquila sur l’origine de ce prince qui prend plaisir aux maux : a-t-il, oui ou non, été créé? Et s’il a été créé, d’où l’a-t-il été? Aquila répond qu’il

n’en point douter, d’une qualité philosophique, à laquelle il nous faut ajouter un trait, tout aussi propre à identifier le philosophe, c’est-à-dire l’enseignement. [...] Il attire à lui des élèves, jeunes hommes de familles aisées comme Clément et ses frères, qu’il initie à une doctrine bien structurée et bien constituée ». Voir D. CÔTÉ, Le thème de l’opposition entre Pierre et Simon dans les Pseudo-Clémentines, p. 153-154 ;

J. BARNES, « [Clément] et la philosophie », dans Nouvelles intrigues pseudo-clémentines, p. 284-302.

111 L’opposition entre ces deux baptêmes pourrait faire écho à l’opposition entre Jean-Baptiste et Jésus. En

effet, les Homélies associent Simon le Magicien à Jean-Baptiste, puisque le premier faisait partie des disciples du second. Dans les Reconnaissances, on retrouve des traces de cette association, mais celles-ci sont définitivement moins hostiles à Jean que dans les Homélies. À ce propos, voir p. 119 et la note 369.

112 On pourrait objecter que ceux-ci restent dans le péché non pas par choix, mais par ignorance. Pierre répond

à cela, en affirmant, en Rec., V, 7, 1, qu’« avant que quelqu’un entende ce qui lui est avantageux, il est certain qu’il ignore et dans son ignorance il souhaite et désire faire ce qui ne lui est pas avantageux. Aussi n’est-il pas jugé pour cela ». Le jugement de Dieu est posé sur celui qui, ayant eu la connaissance de ce qui est bien et la possibilité de le faire, a choisi de faire le mal. Voir Rec., III, 37, 7. Pierre insiste sur l’importance d’endiguer ce fléau qu’est l’ignorance, puisque c’est ce seul mal qui tient les humains éloignés des plus grands biens. Voir Rec., V, 4-8. Mais malgré tout, l’ignorance n’est pas une excuse : celui qui y reste devra tout de même rendre des comptes. En Rec., V, 18, 4, Pierre dit : « il n’est aucun ignorant qui parvienne à se sauver par le fait d’ignorer, mais il est certain qu’il va à sa perte ».

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traitera de ces questions plus tard113, mais donne tout de même quelques indications à ce sujet. Il dit que Dieu, sachant d’avance que certains hommes choisiraient le bien, d’autres le mal, plaça les premiers sous son autorité et les appela à recevoir ses biens. Mais il abandonna les autres au pouvoir des anges qui, en vertu de leur propre choix, avaient décidé de se séparer de lui à cause de leur orgueil et de leur envie (il s’agit ici des démons). Toutefois, Dieu imposa à ceux-ci la restriction suivante : ils n’auraient du pouvoir que sur ceux qui se placeraient volontairement sous leur domination en faisant leur volonté, c’est-à- dire en leur vouant un culte.

1.4.4 Analyse des passages (Rec., VIII, 52-55)

Ces passages reprennent plusieurs idées déjà abordées précédemment et les élaborent. En Rec., VIII, 52-53, Aquila procède à une variation sur la théorie des couples antagonistes : il affirme que tout ce qui se trouve dans la création a été ordonné ainsi. L’élément bon du couple mène à la foi et au bien, l’élément mauvais mène à l’incroyance et au mal. Il est nécessaire de prendre connaissance de cet ordre du monde pour ne pas douter de l’existence de la Providence, quand des événements malheureux surviennent, ou quand des faux prophètes (comme Simon) proclament leurs mensonges. Ici, les couples n’ont pas de valeur de succession, mais seulement d’opposition.

La doctrine des deux rois est ensuite jointe à la théorie des couples antagonistes pour montrer que celui qui choisira de croire l’élément bon ou mauvais de la paire se placera aussitôt sous le pouvoir du bon ou du mauvais roi. Si Aquila n’explique pas l’origine de ce mauvais roi, il donne plus d’information sur son identité : il est l’un des anges déchus, les démons, que les païens adorent en pensant qu’ils sont des dieux. Il ne parle pas ici d’un chef de ces anges, bien qu’il soit sous-entendu dans ce passage que le Malin est à leur tête, comme Pierre l’affirme en Rec., III, 55, 1.