• Aucun résultat trouvé

2. Les Homélies

2.9 L’intrigue de reconnaissances

Nous avons cru possible d’aller encore plus loin dans notre analyse de la logique « syzygique ». En effet, un propos théologique si complexe, si articulé et si présent nous a semblé être appuyé par le genre littéraire même des Clémentines, à savoir le roman de reconnaissances.

Car quel avantage y avait-il à opter pour cette forme littéraire plutôt qu’une autre? En quoi un processus narratif permet-il de mieux aborder des questions doctrinales qu’une autre forme littéraire? La mise en scène permet, dans un premier temps, une lecture plus agréable et une assimilation plus facile de propos théologiques complexes. Mais il ne s’agit pas seulement de cela ; les enseignements doctrinaux sont non seulement mis en scène, mais aussi ils sont intégrés à une intrigue de reconnaissances. En ce sens, comme l’affirme P. Boulhol dans son ouvrage sur le motif des reconnaissances dans la littérature antique et médiévale, le travail imposant que représentait l’entreprise valait, pour le rédacteur des

Homélies (tout comme celui des Reconnaissances), toutes les peines et les difficultés

rencontrées189. Le rédacteur a choisi de se compliquer la tâche, car la forme servait le contenu : « il s’agissait non seulement de plaire, mais surtout d’instruire. L’anagnorismos fut mis au service du propos théologique et apologétique »190.

L’article de F. S. Jones, « Eros and Astrology in the Περίοδοι Πέτρου ; the Sense of the Pseudo-Clementine Novel », creuse la question. En effet, alors que certains chercheurs

189 P. BOULHOL, Anagnorismos : la scène de reconnaissance dans l’hagiographie antique et médiévale,

Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1996, p. 70.

63

ont souvent perçu les éléments romanesques comme superflus, inutiles, et ne servant qu’à enjoliver le livre191, F. S. Jones pense plutôt qu’ils n’ont pas été simplement copiés d’une source romanesque perdue, mais plutôt intégrés volontairement par l’auteur de l’Écrit de

base192 ; l’Écrit de base aurait pour thème central la réfutation du déterminisme astrologique, puisque toute l’intrigue des Pseudo-Clémentines s’organise autour de celle-ci. Malgré les apparentes incohérences du récit, F. S. Jones montre plutôt comment, si on suit le thème de l’astrologie, tout se met en place parfaitement193 : sans la prédiction que Mattidie serait l’objet d’un amour illicite, celle-ci n’aurait jamais quitté Rome, et par conséquent, il n’y aurait jamais eu d’histoire194.

Plus encore, l’intrigue de reconnaissances elle-même sert à réfuter la thèse du déterminisme astrologique de Faustus (livres XIV et XV) puisque c’est la Providence divine qui réunit les membres de la famille. Pierre affirme à Faustus :

Pour ma part, je dis que tout est gouverné par la providence de Dieu d’après ce qui a été dit à ton sujet — le fait que tu as connu pendant tant d’années la séparation d’avec les tiens. En effet, puisqu’ils n’auraient peut-être pas prêté l’oreille aux paroles de la religion s’ils avaient été avec toi, il a été prévu qu’ils partent à l’étranger avec leur mère, qu’il y ait aussi un naufrage et une mort supposée, et que, de plus, ils soient instruits des doctrines athées des Grecs — afin que cette connaissance leur donne la possibilité de les réfuter encore mieux —, qu’en outre ils aiment la parole de la religion et qu’ils puissent se joindre à moi pour m’assister dans ma prédication, mais encore que se joigne à eux leur frère Clément, et qu’ainsi leur mère ait été reconnue puis pleinement convaincue de la divinité par sa guérison, et que, peu de temps après, les enfants jumeaux soient reconnus, la reconnaissent, te rencontrent le jour suivant et que tu retrouves les tiens. Je ne pense donc pas qu’une convergence aussi rapide d’événements concourant de toute part vers un seul but soit sans préméditation.195

191 F. S. JONES, « Eros and astrology in the Περίοδοι Πέτρου ; the Sense of the Pseudo-Clementine Novel »,

p. 65.

192 F. S. JONES, « Eros and astrology in the Περίοδοι Πέτρου ; the Sense of the Pseudo-Clementine Novel »,

p. 75-78.

193 F. S. JONES, « Eros and astrology in the Περίοδοι Πέτρου ; the Sense of the Pseudo-Clementine Novel »,

p. 77.

194 F. S. JONES, « Eros and astrology in the Περίοδοι Πέτρου ; the Sense of the Pseudo-Clementine

Novel », p. 75.

64

Ainsi, toutes les mésaventures de la famille de Clément furent supervisées par la Providence pour qu’après tant de souffrance, ils soient tous réunis et puissent se convertir, prouvant de ce fait qu’il n’existe pas de puissance plus forte que celle de Dieu.

Mais dans ce motif, n’est-il pas possible de distinguer le principe fondamental de la règle des syzygies, à savoir que le bon est toujours précédé du mauvais? Et qu’est-ce qu’une reconnaissance sinon le passage de l’ignorance à la connaissance? Pierre l’exprime explicitement : pour faire parvenir Clément et sa famille à la vraie religion, il a fallu auparavant qu’ils « soient instruits des doctrines athées des Grecs »196 pour qu’ensuite, ils puissent la combattre. Le passage du mensonge à la vérité se joue sur deux plans : un plan humain, où les membres de la famille de Clément se croyaient mutuellement morts ; un plan divin, où ces mêmes personnes passent de la croyance fausse en l’astrologie à celle du Dieu véritable.

La réunion et la conversion de la famille deviennent donc un exemple de l’application de la règle des syzygies dans le monde humain, comme l’était l’histoire des premiers hommes : il est possible d’arriver à cette conclusion grâce à la cohérence globale et la présence très marquée de la règle dans les Homélies, ce qui n’est pas le cas dans les

Reconnaissances.

La règle est avant tout un concept, qui s’applique dans une variété de cas et de façons diverses. Son but est de faire triompher une version bien précise de Dieu et de Jésus / vrai Prophète dans un monde où l’ancienneté d’une religion rime avec sa vérité. Il fallait donc un système qui permettait de justifier que des croyances nouvelles puissent être reconnues comme vraies.