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Les représentations sociales qui influencent les relations entre les

CHAPITRE 4 : PROFIL D’APTITUDES DES HOMMES ADMIS EN DÉTENTION

5.3. Les obstacles environnementaux de type socioculturel propres à la prison :

5.3.1. Les représentations sociales qui influencent les relations entre les

Nos analyses ont mis en lumière que la vulnérabilité et la faiblesse physique font partie des représentations collectives entretenues en prison à l’égard des hommes vieillissants. Cela signifie qu’à partir du moment où les codétenus associent les changements organiques inhérents au vieillissement biologique à un état de « faiblesse », les prisonniers vieillissants deviennent des victimes potentielles à l’exploitation. Par exemple, Pierre explique que les codétenus peuvent offrir aux prisonniers vieillissants une protection physique en échange d’une satisfaction financière ou sexuelle : « ils vont les prendre sous leur aile pour leur cantine, pour des relations sexuelles [en utilisant soit] la peur, soit l’intimidation ». Par ailleurs, dès qu’un prisonnier utilise des facilitateurs au déplacement comme une marchette, une canne, une béquille ou un fauteuil roulant, il risque d’être victimisé par les codétenus qui lui attribuent une faiblesse physique. En prison, la diminution (réelle ou interprétée) des aptitudes physiques est synonyme de vulnérabilité à l’exploitation, car « dans un pénitencier, toute faiblesse dévoilée est [une] faiblesse exploitée! », s’exclame Vincent.

Étant donné que toutes les faiblesses attribuées à un individu risquent d’être exploitées et que les représentations sociales entretenues à l’égard du vieillissement portent essentiellement sur la faiblesse, le fait de vieillir en prison pourrait compromettre la participation sociale des hommes vieillissants. Dans le contexte social de la prison, le

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vieillissement pourrait diminuer la qualité des interactions entre le prisonnier vieillissant et l’environnement du pénitencier, puisqu’en prison « c’est l’image qui prime sur tout! Tu dois démontrer que tu es macho et tu dois démontrer que tu es « tough» », explique Vincent dont les propos sont entérinés par Pierre. Dans le même ordre d’idées, Denis a constaté « très vite » que « le faible, l'agneau en prison, il est en danger! Peu importe son âge ». Cette image robuste de lui-même que doit défendre le prisonnier est essentielle puisqu’elle assure sa sécurité personnelle et même sa survie. « J'ai vu des gens mourir très jeunes en prison parce qu'ils ne savaient pas comment ça marchait », soutient Denis. Les prisonniers doivent donc tous bien se conformer aux règles de fonctionnement implicites qui s’appliquent à ce milieu de vie hostile.

Nos données suggèrent également que le personnel du service correctionnel canadien ne serait pas insensible au vieillissement des prisonniers. Leurs comportements seraient aussi influencés par le statut de détenu vieillissant.

5.3.2. Les représentations sociales qui influencent les relations entre les prisonniers vieillissants et les agents du service correctionnel.

Selon les participants rencontrés, les employés des services correctionnels (par ex. gardiens de prison, agents de libération conditionnelle, haute direction, personnel médical, personnel de soutien, etc.) tendent, quant à eux, à réagir à deux facteurs identitaires : l’âge du prisonnier (comme tendent à le faire les codétenus) ainsi que son statut de détenu. Les prochains paragraphes étayent les perceptions des participants quant aux représentations collectives qu’entretiennent les employés du système carcéral à l’égard des prisonniers vieillissants. Ces représentations sont fondamentales puisqu’elles influenceront les réactions des employés face aux prisonniers et donc, la façon dont ils sont enfermés, contrôlés et observés (Vacheret, 2006).

Dans l’imaginaire collectif, les prisonniers sont placés au bas de l’échelle sociale puisqu’avec l’incarcération nous avons créé, selon Jules, « une classe sociale qui n’a plus sa place dans la communauté […], les judiciarisés ». Cette classe sociale compte parmi celles qui reçoivent très peu d’attention positive de la part des citoyens et par le fait même, de la

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part de certaines autorités correctionnelles. Si bien que selon Pierre et Vincent, cette phrase résume la pensée collective à l’égard des prisonniers en général, vieillissants ou non : « qu’ils mangent de la merde les écœurants »! Les participants expliquent donc que, sur le plan microsocial, le statut de détenu vient avec l’étiquette de contrevenant : « Les hommes sont stigmatisés sur la nature du geste [criminalisé commis]. C’est un voleur? Il va nous voler », affirme Thomas.

À l’instar de Thomas, les participants déplorent qu’un statut de criminel colle à la peau des prisonniers tout au long de leur sentence, comme si la qualité de l’humain entier était réduite au geste criminalisé commis. Jules abonde aussi en ce sens et explique que « le détenu lui [aux yeux des employés correctionnels], il n’a pas [d’autres] identités ». Le point de vue de Jules est partagé par l’ensemble des participants. Pour certains agents correctionnels, l’identité de l’homme se résume à ce statut social oppressif: être un détenu. Comme si, selon les participants, du point de vue des agents correctionnels, « détenu » n’est pas terme qui désigne une personne en détention, mais plutôt une caractéristique identitaire menaçante dont elle ne se départira jamais32.

De telles croyances entretenues par les gardiens de prison engendreraient des comportements de rejet et de mépris à l’égard des prisonniers. Pour cette même raison, soutient Denis, la simple présence physique d’un prisonnier auprès d’un employé des services correctionnels peut déranger : « j'ai vu des gardiens de prison dire à un gars : « achale-moi pas » parce qu’ils jouaient au solitaire sur l'ordinateur ». De telles attitudes de rejet pourraient être néfastes à la participation sociale des hommes en prison, si bien que les prisonniers vieillissants sont victimes de leur double statut de : « détenu et de vieux. La personne vieillissante n’est pas juste déficiente et sans qualité [en raison de son statut de détenu], mais aussi dérangeante avec ses problèmes de vieux [différents des problèmes des plus jeunes] », explique Vincent. Les prisonniers vieillissants dérangent puisque le système carcéral ne semble pas avoir été organisé pour les accueillir et « souvent les personnes âgées [incarcérées] se sentent un petit peu comme dans nos sociétés – en retrait de la masse –

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parce qu’il n’y a rien d’adapté vraiment pour elles », explique Thomas. C’est précisément cet aspect qui sera mis en lumière dans la prochaine section.

Hormis les échanges quotidiens qu’entretiennent les employés correctionnels et les prisonniers vieillissants – et qui traduisent les réactions des uns à l’endroit de l’âge du prisonnier et de son statut de « détenu » – il existe un second niveau de réaction au prisonnier vieillissant. Ce niveau de réaction de type macrosocial découle, certes, des représentations collectives entretenues à l’égard des détenus vieillissants, mais il découle aussi de la structure même du système correctionnel. Autrement dit, nous référons ici à la réaction organisationnelle, voire l’absence de réaction organisationnelle, produite en réponse à la présence des prisonniers vieillissants dans l’environnement du pénitencier.

5.4. Les obstacles environnementaux de type socioculturel propres à la

prison : aspects macrosociaux

Tous les participants rencontrés déplorent la non-reconnaissance – l’exclusion identitaire – du processus de vieillissement des prisonniers par la prison. À titre d’exemple, le processus de gestion de cas illustre comment, en tenant peu compte du vieillissement des prisonniers, les exigences correctionnelles peuvent être inadaptées à leurs facteurs personnels, compromettre la qualité de leurs interactions avec l’environnement carcéral et, par conséquent, faire obstacle au maintien de l’engagement dans le processus d’insertion sociale33. L’objectif du processus de gestion de cas est de planifier le cheminement carcéral

individuel pour atteindre des objectifs d’insertion sociale (ex. exprimer la colère d’une façon acceptée socialement, trouver un emploi, etc.). Cela signifie que des attentes précises relatives aux changements comportementaux de même qu’aux délais pour y arriver sont consignées dans un plan correctionnel. Le plan correctionnel, l’un des mécanismes d’insertion sociale utilisés par le SCC, sert donc de guide pour suivre le progrès du prisonnier tout au long de sa peine (Motiuk, 2013). Au cours de la sentence, la progression des prisonniers est évaluée périodiquement afin d’assurer la viabilité du plan correctionnel. Paradoxalement, nos données indiquent que l’évaluation ne tiendrait pas compte du

33Le processus de gestion de cas est celui par lequel les agents du service correctionnel évaluent, de façon continue au cours de l’incarcération, les besoins individuels des prisonniers. À la lumière des besoins identifiés, on prescrit les interventions recommandées pour faciliter la réadaptation des « détenus ».

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vieillissement vécu en prison. Albert dit que les plans correctionnels des prisonniers