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Les obstacles environnementaux de type physique propres à la prison : aspects

CHAPITRE 4 : PROFIL D’APTITUDES DES HOMMES ADMIS EN DÉTENTION

5.2. Les obstacles environnementaux de type physique propres à la prison : aspects

Selon la nomenclature du PPH, les facteurs environnementaux sont de type physique et social et influencent l’organisation et le contexte d’une société (Fougeyrollas et ses collègues, 2007, 142). Les facteurs environnementaux identifiés dans la nomenclature proposée par Fougeyrollas et ses collègues sont présentés dans la figure 1 de la section méthodologie (p.28).

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Chacune des dimensions des facteurs environnementaux peut être classifiée en tant qu’obstacle ou facilitateur. Les facteurs environnementaux qui entravent la réalisation des habitudes de vie lorsqu’ils entrent en interaction avec les facteurs personnels d’un individu et d’une population (déficiences organistiques, incapacités des aptitudes ou autres caractéristiques personnelles) sont identifiés comme des obstacles alors que ceux qui facilitent la réalisation des habitudes de vie au contact des facteurs personnels de ce même individu ou cette même population sont identifiés en tant que facilitateurs. Dans le cas qui nous occupe, les facteurs auxquels nous nous attarderons davantage sont présentés dans le tableau 4. Ils ont été retenus puisque leur récurrence dans les données est la plus grande.

Tableau 4 : Facteurs environnementaux de la nomenclature de Fougeyrollas et ses collègues (2007) retenus pour les analyses

5.2.1. L’organisation du temps et le contrôle des occupations

La sentence d’emprisonnement se purge dans un environnement où le mode de vie des prisonniers est entièrement réglé par la prison, et ce, pour la durée de la sentence (Goffman, 1961). Pour Fougeyrollas et ses collègues (2007), le temps, c’est-à-dire la durée du déroulement des événements qui rythment la vie personnelle et collective (secondes, minutes, heures, mois, années, etc.) correspond d’une part à un élément naturel de

1. Facteurs environnementaux microsociaux

 Facteurs de type physique L’organisation du temps

Le contrôle des occupations  Facteurs de type socioculturel

Les représentations sociales des codétenus Les représentations sociales des autorités correctionnelles

2. Facteurs environnementaux macrosociaux  Facteurs de type socioculturel

Les exigences d’insertion sociale Les programmes correctionnels  Facteurs de type physique

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l’environnement et d’autre part, à un élément construit sur lequel l’humain est capable d’agir. J’aborde le concept de temps à cette étape du mémoire pour montrer comment la prison, en orchestrant la chronologie des journées tout au long de la sentence, a le pouvoir de contrôler les occupations (donc les habitudes de vie) se déroulant à l’intérieur du pénitencier. « Ce que les gens oublient c’est qu’en dedans, il se passe peu de choses », explique Denis. C’est en effet ce que laisse croire l’horaire de vie des prisonniers présentée par le SCC.

Pour des raisons de sécurité et de gestion de la population carcérale, le découpage du temps en prison est, grosso modo, celui présenté dans l’encadré suivant :

À l’égard de l’organisation du temps et des occupations, les participants rencontrés déplorent tous que les sources de stimulation professionnelle, sociale et ludique soient diminuées en durée et en variété au sein du pénitencier et que pour ces raisons, le « temps est long en prison », aux dires de Denis. Les données recueillies auprès des autres participants suggèrent que les propos de Denis sont partagés. En prison, une journée de travail moyenne correspond à quelques heures seulement où les prisonniers « travaillent, mais deux heures par jour, pas huit heures par jour », soutient Jules. Dans le même ordre d’idées, Denis est

Horaire d’une journée typique d’un homme détenu dans un pénitencier canadien  6 h 45 – Dénombrement des détenus

 7 h – Déjeuner

 8 h – Participation à un programme, travail ou retour à la cellule/chambre  11 h 45 – Retour à la cellule/chambre pour le dénombrement et le dîner  13 h – Participation à un programme, travail ou retour à la cellule/chambre

 16 h 30 – Retour à la cellule/chambre pour le dénombrement des détenus, puis le souper  18 h – Activités culturelles ou de loisir, groupes d’entraide, etc.

 22 h 30 – Dénombrement des détenus du soir  23 h – Isolement cellulaire et lumières éteintes

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plutôt d’avis « [qu’] en prison, un gars travaille une heure, puis sa journée est faite » s’il ne détient pas un emploi dans les ateliers professionnels CORCAN28.

Les prisonniers doivent ensuite occuper leur temps à partir des opportunités de loisir offertes et accessibles dans l’environnement carcéral. Or, les activités proposées sont peu nombreuses et peu adaptées aux aptitudes organiques des prisonniers âgés. « Alors, elles [personnes vieillissantes] manquent de stimulation en prison, point! » regrette Maude. Pour cette même raison, les participants s’accordent pour dire que pour les hommes et les femmes vieillissantes, la prison compromet le maintien de plusieurs aptitudes, particulièrement celles qui sont reliées à la motricité et à la résistance29. J’aborderai davantage ces aspects dans le

chapitre 6.

En déterminant l’organisation du temps des prisonniers, la prison contrôle, du même coup, le déroulement des occupations en déterminant l’éventail des possibilités occupationnelles offertes aux prisonniers. Par voie de conséquence, ce contexte de vie contraint les choix du prisonnier d’engager certaines habitudes de vie ou non. Être enfermé dans un pénitencier signifie aussi qu’un toit, un ameublement et des installations sanitaires sont fournis et que le prisonnier n’a plus à se soucier de se loger, se vêtir, se nourrir, etc. Cela signifie par ailleurs que les occasions de travailler, de se scolariser et de se divertir sont offertes et contrôlées par le milieu. Les activités courantes dans lesquelles le prisonnier vieillissant peut s’engager pour meubler son temps sont limitées à celles qui sont offertes par le pénitencier. La plupart des activités courantes que les citoyens libres sont responsables d’accomplir sont dorénavant prises en charge par le pénitencier. À titre d’exemple, les participants ont mentionné les habitudes reliées à la nutrition, au repos, aux soins personnels, au recouvrement de la santé, au choix et à l’entretien du domicile, à l’usage de l’ameublement, aux responsabilités financières, civiles et familiales, aux relations interpersonnelles, à la vie communautaire, au travail, aux loisirs et à la participation aux programmes et autres activités correctionnels. La prise en charge globale des prisonniers

28 Les ateliers CORCAN sont un programme clé du Service correctionnel du Canada. Ils offrent des possibilités d'emploi ainsi

qu’une formation sur des compétences relatives à l'employabilité pendant l’incarcération dans des pénitenciers fédéraux. Les formations professionnelles, qui sont dispensées en cours d'emploi et certifiées par des tierces parties, sont axées sur quatre secteurs principaux d'activité, soit la fabrication, les textiles, la construction et les services. http://www.csc-scc.gc.ca/corcan/002005-0001-fra.shtml

29 Soi : « l’aptitude de l’organisme à soutenir un effort physique ou mental, un choc ou une pression » (Fougeyrollas et ses

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s’exerce d’abord en leur fournissant les ressources jugées suffisantes pour répondre aux besoins de base en nutrition, santé, logement et habillement. Par exemple, le choix des aliments, la qualité de ceux-ci, la planification et la préparation des repas sont déterminés par les acteurs du SCC. Réjean rappelle qu’aussi longtemps que l’homme sera incarcéré, il sera logé et nourri : « tu déjeunes, dînes et soupes, et tu as une structure sécurisante quand même ».

Concernant les besoins de santé, le pénitencier est responsable de s’assurer que les détenus puissent rencontrer des professionnels de la santé en cas de besoin et recourir aux soins nécessaires. C’est le cas aussi de l’habitation : les prisonniers n’ont pas à choisir l’ameublement ou à veiller à l’entretien de la structure des bâtiments comme ils auraient à le faire vis-à-vis de leur propriété privée, par exemple. C’est aussi le cas des habitudes reliées aux obligations financières. Pendant son incarcération, le prisonnier n’en assume pratiquement aucune hormis, peut-être, une compensation aux victimes de ses crimes ou une pension alimentaire pour enfants, le cas échéant. Depuis octobre 2013, selon les données recueillies, le salaire des prisonniers fédéraux détenant un emploi est amputé de 30% du salaire perçu pour gîte et couvert, mais le SCC le prélève directement sur la paie, donc les prisonniers n’ont pas à budgéter cette amputation. Selon mes données, elle serait la seule obligation incontournable. Dans la même veine, à partir du moment où il est incarcéré, le prisonnier n'est plus capable d’assumer ses responsabilités familiales. D’abord, la prison prive le détenu de contacts physiques avec les membres de sa famille et du même coup, le prive de ses libertés d’agir auprès de celle-ci. Ensuite, les salaires en prison sont diminués par rapport à ceux perçus par les citoyens libres occupant des fonctions rémunérées similaires30

et donc, par rapport à ce qu’ils pourraient gagner en communauté. La prison contribue donc à appauvrir les détenus qui se voient souvent dans l’impossibilité de soutenir financièrement leur famille.

En prenant le détenu en charge dans sa globalité, la prison lui retire alors la liberté d’exercer l'aptitude à assumer plusieurs des responsabilités qu’il aurait dû prendre en charge

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en communauté libre : « les responsabilités, on leur enlève pendant la sentence », confirmera Paul ainsi que tous les participants. Ces derniers s’entendent tous pour dire que le maintien de longue durée dans l’environnement du pénitencier contribue à déposséder les hommes de leur capacité antérieure à assumer des responsabilités (par ex. financières, familiales). Pierre déplore « [qu]’on ne l’ait [le prisonnier en général] jamais responsabilisé [pendant l’incarcération] », car la prison est organisée pour prendre en charge le prisonnier. Par ailleurs, l’incarcération contraint les possibilités qu’auraient les prisonniers d’exercer un contrôle sur la réalisation de plusieurs habitudes de vie. Pour les participants, le mode de fonctionnement des pénitenciers se distingue nettement de celui connu en liberté et est légitimé par les représentations collectives qui sous-tendent le traitement des hommes prisonniers. En effet, le fait d’être un détenu, et d’être un délinquant, est associé à des représentations collectives capables d’influencer les comportements des individus qui se trouvent dans l’environnement de ces personnes. C’est pourquoi nous proposons, dans la prochaine section, de s’attarder aux représentations collectives entretenues par les agents du service correctionnel et les détenus plus jeunes, à l’égard des prisonniers vieillissants.

5.3. Les obstacles environnementaux de type socioculturel propres à la