• Aucun résultat trouvé

L’influence des facteurs de risque liés aux comportements individuels et

CHAPITRE 4 : PROFIL D’APTITUDES DES HOMMES ADMIS EN DÉTENTION

4.2. L’influence des facteurs de risque liés aux comportements individuels et

Je réitère que les prisonniers devraient pouvoir trouver, en prison, des possibilités environnementales de pallier les incapacités défavorables à la participation sociale, notamment celles qui sont antérieures à la prison.

Pour ce faire, la prison doit d’abord être sensible aux incapacités susceptibles de marquer le profil personnel des hommes admis en détention. Je vais donc présenter les

24 Je rappelle que selon la nomenclature de Fougeyrollas (2007), les facteurs personnels se décomposent en trois dimensions,

soit l’identité, les aptitudes et les systèmes organiques. Lesquelles se décomposent à leur tour en plusieurs dimensions. Les aptitudes concernent les possibilités pour une personne d’effectuer une activité physique ou mentale et s’évaluent sur un continuum allant de capacité optimale à incapacité totale. Pour plus de détails à ce sujet, je vous invite à vous référer à la description des concepts théoriques présentée antérieurement dans le mémoire.

54

atteintes probables des facteurs de risque liés aux comportements individuels et sociaux sur les aptitudes comportementales des hommes. Le tableau 3 présente les dimensions retenues pour cette section de chapitre. Elles ont été choisies en fonction de leur récurrence dans les données.

Tableau 3 : Influence possible des risques liés aux comportements individuels et sociaux sur le développement d’aptitudes personnelles.

Pour illustrer le caractère rigide de ces modes de conduite induit par l’acquisition en bas âge de tels modèles comportementaux, Albert croit qu’il devient difficile d’agir autrement même après avoir suivi des programmes correctionnels qui visent à les modifier: « Qu’est-ce qui arrive dehors devant une situation à risque? Est-ce que c’est ton cours [dont]tu feuillettes mentalement les pages pour essayer de voir quelle réaction tu vas avoir? Ou si c’est l’instinctif qui va avoir le dessus? » [Albert désigne d’un mouvement de tête que c’est l’instinct qui a le dessus].

Ces modèles de conduite rigides qui persistent à l’âge adulte et dont nous parle Albert correspondent respectivement, à mon avis, à certains facteurs de risque mentionnés dans la

Risques liés aux comportements individuels et sociaux  Victimisation (liée au comportement d’autrui)

 Comportements provocateurs (liés aux comportements de la personne)  Comportements impulsifs (liés aux comportements de la personne)

Facteurs personnels retenus pour les analyses Aptitudes reliés aux comportements

(toutes les aptitudes reliées à la volition, à l’affectivité et à la manière d’agir d’une personne)

 Volition

 Affectivité (émotion, estime de soi, empathie)

 Conduite (respect des règles, contrôle des pulsions, contrôle des émotions, sens des responsabilités et adaptation aux situations)

55

nomenclature du modèle PPH, notamment les suivants : l’impulsivité des conduites et le manque d’autocontrôle des comportements affectifs (comportements impulsifs et provocateurs) (Fougeyrollas et ses collègues, 2007, 98). Ces facteurs de risque liés aux comportements individuels sont identifiés tels quels puisqu’ils sont susceptibles de limiter le développement d’aptitudes potentiellement favorables à l’occurrence d’interactions de qualité entre la personne et son environnement de vie. Parmi ces aptitudes, on compte notamment la capacité d’exprimer des sentiments agréables ou non. À ce sujet, Denis explique que « c’est clair qu’au niveau émotionnel, ils sont démolis, complètement démolis […] il y en a beaucoup qui ne savaient même pas [au moment de l’incarcération] ce que c'était une émotion ». À l’instar de tous les autres participants, Denis explique que chez une personne victimisée, les aptitudes reliées à l’affectivité, dont la capacité à ressentir et exprimer des émotions et à éprouver un sentiment favorable à son propre endroit, pourraient être altérées. Dans le même ordre d’idée, Denis soutient que « l’estime de soi, c’est un gros zéro » pour tous les nouveaux admis en détention. Quant aux capacités reliées aux conduites, l’aptitude à exprimer franchement ses émotions et ses opinions (l’affirmation de soi), celle visant à se conformer à ce qui est imposé (respect des règles), à avoir une flexibilité comportementale (adaptation aux contextes environnementaux et aux changements), ainsi que l’aptitude à contenir les réactions engendrées par des tendances instinctives (contrôle des pulsions) et cette autre aptitude visant à se contenir, à maîtriser et à dominer ses réactions suscitées par un sentiment agréable ou non (contrôle des émotions) pourraient également être diminuées comparativement à quelqu’un qui n’aurait pas connu un passé similaire de victimisation et qui aurait eu des occasions de développer des modèles comportementaux plus pro-sociaux. Pour augmenter les occasions de participation sociale des hommes vieillissants en prison, l’environnement carcéral doit être sensible à ces limites personnelles (soit les incapacités individuelles) dès leur admission en prison afin d’établir dès le début du processus de réinsertion sociale des conditions environnementales adaptées à de telles limites personnelles. Cet extrait de l’entrevue menée avec Denis résume très bien l’influence des facteurs de risque sur les facteurs personnels :

Le problème c’est qu’ils [les hommes admis en détention] ont zéro estime de soi. Ils se voient comme de la merde alors ils voient tout le monde comme de la merde. Alors ils font des coups, ils font des saletés, des méchancetés, des

56

crimes, mais quand ils apprennent à se respecter soi-même - quand tu te respectes, tu respectes les autres aussi. Tu ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse, mais quand le gars a été élevé dans une famille dysfonctionnelle au boute et souvent agressé de toute part et on l’a vu, les gars ont été agressés autant que les filles. Ça ne se parle pas beaucoup et ça commence tranquillement à être découvert, mais une multitude de gars ont été agressés sexuellement alors ils arrivent complètement démolis. C’est sûr qu’avant d’entrer [en détention] ils traitent les autres comme ils l’ont été…

Dans ses visées de réinsertion, la prison doit donc être sensible aux profils des hommes admis en détention notamment pour répondre à leurs besoins25 affectifs d’abord. À

l’instar de Denis, les participants sont unanimes sur la question de l’estime de soi qui doit être redorée pour leur donner envie de choisir de s’engager dans une démarche de réinsertion sociale et de maintenir l’engagement malgré les difficultés rencontrées au cours de la sentence d’incarcération et au moment de la libération.

L’idée derrière ce chapitre était de mettre en lumière l’importance d’investiguer le passé de victimisation de plusieurs prisonniers, car les participants sont sans équivoque à cet égard, « on en parle pas dans les rapports [de ce passé et de ses conséquences sur les aptitudes personnelles] », maintien Vincent. Pourtant, dans une perspective d’adaptation humaine se poursuivant tout au long de la vie, comme le PPH le présume, la qualité des facteurs environnementaux est le résultat de l’interaction entre le degré de participation sociale et les caractéristiques personnelles. Alors, si la prison participe au processus de réinsertion sociale, elle devrait viser à faciliter la participation sociale et nécessairement mettre en place des possibilités (facilitateurs) adéquates aux besoins des prisonniers vieillissants. C’est pourquoi, tout au long du mémoire, je tenterai de mettre ces besoins en exergue et proposerai des pistes d’adaptation environnementale en guise de conclusion générale.

25 Dans ce mémoire, nous envisageons que la notion de besoin fait référence à l’ensemble des caractéristiques personnelles qui

doivent être potentialisées ou « remplacées ». Plus précisément, les besoins sont les aptitudes à développer et les incapacités à pallier. La notion de besoin peut aussi faire référence à la nécessité pour l’individu d’accéder à certaines ressources environnementales adaptées à ses particularités personnelles.

57

Les lignes ci-haut ont mis en lumière le fait que la participation sociale des prisonniers vieillissants peut être déjà altérée bien avant leur incarcération. Cette constatation ouvre donc une brèche dans la définition conceptuelle usuelle de la « réinsertion sociale » et nous pousse, à ce point-ci de notre analyse, à repenser le concept.