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Les facteurs de risque liés à l’organisation sociale

CHAPITRE 4 : PROFIL D’APTITUDES DES HOMMES ADMIS EN DÉTENTION

4.1. Les facteurs de risque propres à l’expérience précarcérale des prisonniers

4.1.1. Les facteurs de risque liés à l’organisation sociale

Dans la nomenclature du PPH, les risques socio-économiques comme la pauvreté financière se présentent en tant que facteur de risque lié à l’organisation sociale (Fougeyrollas et ses collègues, 2007, 97). Dans cette veine, je considère que l’organisation du marché du travail peut être un risque de type socio-économique, car les astreintes du marché du travail sont des construits sociaux qui entretiennent une relation directe avec des phénomènes économiques comme la pauvreté.

Les intervenants Option-Vie interviewés pour cette étude auraient côtoyé, dans le cadre de leur emploi, une majorité de détenus vieillissants qui auraient souffert de pauvreté financière avant l’incarcération, dans l’enfance ou au cours de l’âge adulte, comme l’explique Vincent : « on sait que tout n’a pas à voir avec l’origine de classe, mais comme je conte souvent mes propres expériences : moi quand j’étais jeune [issu] d’un milieu très pauvre, pour avoir du plaisir on faisait du vandalisme, des petits larcins, car il n’y avait rien d’autre à faire ». Pour Vincent, le fait de souffrir de pauvreté financière limite largement l’accès à des loisirs pro- sociaux comme devenir membre d’équipes sportives.

Deux catégories de facteurs de risque retenues pour les analyses 1. Risques liés à l’organisation sociale

Relatifs à la structure et aux modes de fonctionnement de la société.

 Risques socio-économiques (pauvreté financière et exclusion du marché du travail).  Risques liés à l’organisation des services (accès limité aux ressources environnementales) 2. Risques liés aux comportements individuels et sociaux

Manières d’agir ou de réagir des individus, de leurs proches, de leurs familles ainsi que de la société en général (Fougeyrollas et ses collègues, 2007, 97)

 Victimisation

 Comportements provocateurs  Comportements impulsifs

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De l’avis de Jules, les hommes vieillissants incarcérés sont « souvent des gens pauvres et démunis qui n’ont pas été habitués à gérer leur vie [de façon pro-sociale] » et qui, pour plusieurs, étaient plus ou moins intégrés sur le marché du travail avant l’incarcération. Relatant leur propre expérience passée à cet égard, deux participants divulguent l’absence endémique d’expérience sur le marché de l’emploi rémunéré légalement et donc, au plan des aptitudes, l’absence d’habiletés professionnelles pouvant faciliter l’insertion en emploi. Par exemple, Réjean témoigne que pour sa part, il « n’avai[t] jamais travaillé dehors, […] n’avais aucun métier » avant sa sortie de prison qui remonte à six ans au moment de l’entrevue. Aux dires des participants, le cas de Réjean est le reflet de la situation d’employabilité de la majorité des personnes incarcérées. Albert, quant à lui, révèle sa « peur bleue du travail », lui qui « n’avai[t] jamais travaillé de [s]a vie ». Pour lui, « aller travailler c’était comme aller quêter ». Les données suggèrent donc que les hommes auraient des difficultés de participation sociale sur le marché du travail avant même leur incarcération.

Plusieurs participants décrivent la situation d’exclusion économique pour expliquer la grande vulnérabilité socio-économique dans laquelle plusieurs des hommes détenus se trouvaient avant leur incarcération. Ce facteur de risque peut avoir dans d’autres domaines de la vie en société. Par exemple, les personnes exclues du domaine économique percevraient de moins grands revenus que les autres et donc, auraient moins accès à certaines ressources essentielles pour subvenir à des besoins de base comme se nourrir et se vêtir (Billette et ses collègues, 2012; Billette et Lavoie, 2010). Ceci illustre bien la complexité de l’exclusion sociale en mettant en lumière comment l’exclusion dans une dimension de la vie sociale peut entraîner des inégalités dans d’autres dimensions. Par exemple, les écrits de Paquet (2005) soutiennent que les adultes qui souffrent de pauvreté économique occuperaient souvent des emplois précaires, auraient un réseau social formel et informel souvent appauvri et auraient des accès limités aux services de santé. Les écrits portant sur la défavorisation peuvent aider à comprendre ce phénomène.

Selon les écrits qui adoptent la défavorisation23 comme cadre conceptuel d’analyse, le

cumul des désavantages personnels permettrait de comprendre certaines situations

23 La défavorisation constitue au Canada un cadre d’analyse couramment utilisé pour comprendre la multiplicité des

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d’exclusion sociale (Groulx, 2011). Le cumul des désavantages, souvent engendré par une disponibilité ou un accès amoindri à des ressources environnementales défavoriserait la personne sur le plan des occasions et des possibilités de participer à la vie sociale. Cet état de défavorisation peut s’observer dans plusieurs sphères de la vie d’un individu, que ce soit sur le plan du logement, de la santé, de la scolarisation, du travail, des loisirs, de l’accès aux services et ressources, etc. Dans cette perspective, le degré d’exclusion sociale varie selon la qualité des interactions entre les ressources personnelles propres à l’individu et les ressources environnementales qui lui sont accessibles (système de santé, éducation, marché du travail, programmes d’assistance et d’assurance sociale, etc.). Les ressources personnelles d’un individu peuvent être de type économique (par ex. source et niveau de revenu), de type humain (par ex. âge, scolarité, expérience de travail) et de type social (par ex. qualité des liens sociaux formels et informels). J’ajouterais aussi que ces ressources peuvent être de type culturel (connaissance sur la société, l’environnement, les conduites valorisées par un contexte social, les politiques, les lois, etc.). Plus la capacité et la possibilité de mobiliser des ressources personnelles et environnementales face à un événement s’avèrent grandes, plus les occasions de participation sociale sont optimisées. Au contraire, plus un individu est dépourvu de ressources, plus il est désavantagé sur le plan des occasions de participation sociale par rapport à l’ensemble des citoyens (Billette et Lavoie, 2010; Billette et ses collègues, 2012; Groulx 2011).

Les entrevues n’ont pas permis de recueillir davantage d’information au sujet de l’exclusion économique, mais éclairée par la théorie de la défavorisation, elles permettent tout de même d’envisager, de manière hypothétique, que les prisonniers vieillissants vivaient de l’exclusion sociale avant même l’incarcération et donc, qu’ils étaient en situation de participation sociale partielle dans certains domaines des habitudes de vie, notamment le travail (Fougeyrollas et ses collègues, 2007, 156). La théorie de la défavorisation permet même de comprendre la situation des hommes vivant une première incarcération à un âge tardif. Ces derniers maintenaient une situation de participation sociale allant de partielle à totale avant leur emprisonnement, mais face à une certaine situation, à un moment donné de

des personnes, des groupes ou des collectivités. Dans cette perspective, l’exclusion apparaît comme la conséquence de la défavorisation,

car cette dernière implique une restriction sur le plan des occasions ou des possibilités de participation à la vie sociale. En outre, le nombre de désavantages cumulés permet de voir le degré de progression du processus d’exclusion (Groulx, 2011).

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leur vie, ils n’auraient pas été en mesure de mobiliser les ressources personnelles ou environnementales nécessaires (faute d’accès ou de disponibilité) pour la résoudre de façon socialement acceptable. Réjean explique l’expérience tragique d’un de ses clients :

J’ai un client en tête qui doit avoir près de soixante- dix ans. C’est un monsieur qui avait fait un pacte de suicide avec sa femme. Sa femme était malade, ils étaient âgés tous les deux, sa femme était en perte d’autonomie et il a fait un pacte de suicide, donc il a assassiné sa femme et il a essayé de se suicider après. Il a manqué son coup : sa femme est morte, mais lui est encore en vie. Donc ce n’est plus la même dynamique. Ce monsieur - là ce n’est pas un criminel. C’est un monsieur qui a travaillé toute sa vie, qui est arrivé à un moment dans sa vie où il vivait une dépression nerveuse, il n’avait pas moyen de gérer ce problème- là et malheureusement, il s’est retrouvé en prison.

Cet extrait de l’entrevue avec Réjean rappelle à quel point certaines personnes peuvent être adéquatement insérées dans plusieurs sphères usuelles de la vie pendant un certain laps de temps et aboutir quand même en prison. Dans un autre ordre d’idées, les participants ont été beaucoup plus volubiles concernant les facteurs de risque liés aux comportements individuels et sociaux (catégorie de risque numéro 2 – tableau 2, p.48). Malgré l’absence de données qui pourraient permettre de comprendre pourquoi, on peut présumer que cette volubilité à cet égard serait reliée à leur expérience personnelle : il nous apparait plus facile de mesurer l’impact que peuvent avoir des comportements individuels et sociaux sur soi-même que de mesurer l’impact subjectif de l’organisation sociale, plus macrosystémique, et donc plus abstraite, sur notre vie. La prochaine section explore donc les trajectoires de vie des hommes prisonniers sous la loupe des facteurs de risque liés aux comportements individuels et sociaux.