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Le modèle théorique du processus de production du handicap (PPH)

CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL

2.1. Le modèle théorique du processus de production du handicap (PPH)

Ce projet de mémoire s’inscrit principalement dans une perspective paradigmatique socioconstructiviste et une perspective écologique. Selon certains auteurs, le paradigme constructiviste aurait donné naissance à certaines écoles de pensée, comme le socioconstructivisme, dont les bases auraient été jetées par Berger et Luckmann en 1966 (Arca et Caravita, 1993; Hacking, 2001; Keucheyan, 2007 et Pires, 1997). Ces derniers précisent que la « réalité » est construite socialement et subjectivement par les acteurs sociaux de façon itérative : les actions de ces derniers influençant l’environnement qui, lui, les influence en retour. Plus spécifiquement, l’acteur social se construit une représentation personnelle de la « réalité » en fonction de ses connaissances, de ses identités et aussi, en fonction de l’influence qu’exerce le contexte social dans lequel il évolue (Ville et Ravaud, 1994). Le monde social serait composé de différents concepts sociaux propres à une société donnée et à une époque précise (valeurs, organisations, croyances sociales, etc.). Dans cette perspective, le monde social n’est pas factuel, mais plutôt composé de représentations sociales qui guident la façon de nommer, de définir, d’appréhender et de se positionner dans la « réalité » (Moscovici, 2009).

Les théories de l’exclusion sociale sont partie intégrante du paradigme socioconstructiviste. Elles maintiennent que les représentations sociales collectives agissent à titre de guide normalisant des conduites, soit comme une forme de conscience collective de ce qui est « bien », « souhaitable », « convenable » ou « idéal ». La conformité à ces représentations a donc pour effet d’unir moralement les acteurs sociaux qui les partagent et à l’inverse, d’exclure ceux qui ne le font pas. Dès lors, l’exclusion sociale peut survenir de deux façons. D’abord, quand une personne ou un groupe de personnes choisissent volontairement de ne pas se conformer à ces représentations sociales collectives, elles choisissent également de s’exclure de certains espaces d’intégration sociale. Aussi, l’exclusion peut survenir lorsqu’en vertu de la non-compatibilité de leurs idées ou de leurs comportements avec les représentations sociales collectives dominantes, certaines personnes

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sont marginalisées ou rejetées par les autres (Xiberras, 1993). Dans ce cas, ces dernières auront tendance – sous l’influence des représentations sociales collectives – à attribuer des stigmas aux personnes « non-conformes » qui se retrouveront désavantagées socialement dans plusieurs espaces sociaux au sein desquels leur participation sociale est alors compromise. Par exemple, elles peuvent être rejetées physiquement (âgisme, incapacités physiques), géographiquement (emprisonnement, déportation), matériellement (pauvreté, manque d’employabilité) et symboliquement (irrecevabilité de leurs valeurs, croyances, normes, comportements) de la vie collective (Xiberras, 1993).

C’est donc en régulant les représentations collectives à l’encontre de certains groupes sociaux que les groupes dominants ont le pouvoir de produire des situations d’exclusion de type symbolique et identitaire (Billette et Lavoie, 2010). Billette et Lavoie (2010) expliquent que l’exclusion symbolique survient, notamment, quand les représentations dont est affublé un groupe d’individus invalident sa légitimité. L’exclusion identitaire, quant à elle, se manifeste quand il y a non-reconnaissance des différenciations individuelles des « membres » dudit groupe. Ces processus d’exclusion, qui sont engendrés par l’action collective des acteurs sociaux dominants, risquent d’engager d’autres formes d’exclusion telles que l’exclusion sociopolitique, institutionnelle, économique, territoriale ou encore, des liens sociaux significatifs. Ces dimensions particulières de l’exclusion se constatent au travers d’une inégalité de visibilité dans ces univers sociaux ainsi qu’au travers d’une inégalité d’accès aux ressources sociales, symboliques et matérielles.

Au sein des théories de l’exclusion sociale, l’on retrouve le modèle théorique du processus de production du handicap (PPH). Selon Fougeyrollas et Roy (1996), le PPH peut être envisagé comme un modèle explicatif des causes et conséquences des troubles fonctionnels et permettrait de comprendre le mode de production d’obstacles et de facilitateurs à l’intégration sociale et au « handicap » 9. Dans le cadre de ce mémoire, il

présente l’avantage de considérer en situation de handicap tous les humains exclus socialement en vertu d’une quelconque incapacité ou déficience fonctionnelle ou

9 La théorie du processus de production du handicap (PPH) désigne cette situation de désavantage social par le mot

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comportementale (Fougeyrollas et ses collègues, 1998)10. En l’occurrence, le terme handicap

est envisagé comme un dysphémisme pour appréhender la réalité particulière des personnes exclues sur la base de différences fonctionnelles. Contrairement au modèle biomédical, l’approche théorique du PPH ne réduit pas l’exclusion sociale à une simple responsabilité individuelle. Elle adopte plutôt une perspective holistique de la personne en s’intéressant aussi bien aux facteurs sociaux que physiques de l’insertion sociale et du handicap (Fougeyrollas, 1995; Fougeyrollas et Roy, 1996 et Réseau international sur le Processus de production du Handicap, 2011). Cette approche s’inscrit dans une perspective anthropologique de l’exclusion sociale où l’interaction entre l’acteur et son milieu détermine en partie la situation d’intégration sociale ou de handicap. La situation de handicap est, en partie, le résultat de l’interaction conflictuelle entre des facteurs relatifs à l’acteur ou un groupe d’acteurs exclu(s) (système organique et aptitudes) et des facteurs environnementaux agissant à titre d’obstacles et de facilitateurs (facteurs socioculturels et facteurs physiques) au contact des facteurs relatifs à ces mêmes personnes (Fougeyrollas et ses collègues, 2007; Fougeyrollas et ses collègues, 1998). Sous la focale du PPH, les situations de handicap relèvent des restrictions de participation sociale qu’un acteur ou à un groupe d’acteurs connaissent plutôt qu’à leurs caractéristiques personnelles. Les situations de handicap correspondent à la différence de réalisation des habitudes de vie et de celles qui sont socialement attendues et valorisées par les personnes du même âge. Bien que les degrés de participation sociale soient socialement construits, ils dépendent aussi des choix de la personne de s’engager ou non dans la réalisation d’habitudes de vie valorisées par le contexte de vie et des possibilités environnementales qui lui sont offertes pour y parvenir (Fougeyrollas et ses collègues, 2007). Dans un contexte d’adaptation et de réadaptation comme celui de la réinsertion sociale, l’épistémologie socioconstructiviste de l’approche PPH a l’avantage de maximiser les possibilités de changement social : la situation de handicap n’est pas immuable, mais plutôt situationnelle et réversible. Selon Rapp et Goscha (2006), l’identification de différentes composantes des facteurs socioculturels et physiques aurait l’avantage de mieux cibler des interventions pour potentialiser autant les forces individuelles et communautaires, que pour favoriser la participation sociale des personnes en situation de handicap.

10 De façon cohérente, la recension des écrits a montré que toute personne ayant vieilli en prison serait donc « handicapée » par

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2.2. Les définitions des principaux concepts du processus de production du