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La reconsidération du concept de réinsertion sociale

CHAPITRE 4 : PROFIL D’APTITUDES DES HOMMES ADMIS EN DÉTENTION

4.3. La reconsidération du concept de réinsertion sociale

Le concept de réinsertion sociale constitue la pierre d’assise de ce mémoire. Or, pour parfaire notre compréhension des obstacles et facilitateurs du processus de réinsertion sociale, il convient de s’attarder à la définition même du concept de réinsertion sociale. Nous avons déjà défini ce concept dans les chapitres précédents. Le terme « réinsertion sociale » réfère à l’action d’insérer à nouveau dans un groupe (en particulier, dans un groupe social). En l’occurrence, le concept de réinsertion sociale désigne le processus qui consiste essentiellement à faire entrer à nouveau un prisonnier dans des espaces d’insertion sociale qu’il avait déjà investis avec succès avant son incarcération. Le concept en soi présuppose une insertion sociale antérieure à l’incarcération alors que, selon nos participants, les prisonniers auraient maintenu dans l’ensemble une participation sociale partielle avant leur incarcération. Du point de vue du processus de production du handicap, ce qui explique partiellement l’occurrence de comportements criminalisés est le fait que la personne avait du mal à réaliser ses habitudes de vie telles qu'elles sont valorisées par la société dans laquelle cette même personne évoluait. Selon cette constatation, le concept de réinsertion sociale pourrait donc être approprié dans certains domaines de leur vie seulement. Comme l’exprime sans ambages Thomas, « je ne crois pas à la réhabilitation parce que je pense que la grande majorité des gens en prison n’ont jamais été habilités, donc on ne peut pas recommencer quelque chose qui n’a jamais été fait ». À l’instar de Thomas, la presque totalité des participants interviewés a abordé les situations d’exclusion sociale dont la plupart des hommes vieillissants souffraient avant leur incarcération. Leurs propos laissent entendre qu’avant l’incarcération de leurs clients, la qualité de la participation sociale de ces derniers était déjà affectée par une série de facteurs de risque liés à l’organisation sociale et aux comportements individuels et sociaux : « le gars était déjà dysfonctionnel avant d’aller en prison! C’est pour ça qu’il est allé en prison » ajoutera Pierre. Supposer que les hommes étaient « dysfonctionnels » dans la communauté, comme l’entendent la totalité des

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participants rencontrés, laisse également supposer qu’ils étaient en situation de handicap, du moins dans certaines sphères de participation sociale, ce qui rend caduque la notion même d’insertion sociale dans ces cas particuliers. C’est pourquoi l’idée même du retour en arrière et le présupposé d’une insertion sociale antérieure que véhicule le concept de réinsertion sociale soulèvent une remise en question du concept.

Ce concept nous pose problème, d’abord, car ce ne sont pas toutes les personnes qui étaient insérées socialement avant leur incarcération et même celles qui l’étaient dans certains domaines de la vie en société (ex. au plan de l’entretien de liens sociaux significatifs et positifs) pouvaient ne pas l’être dans certains autres domaines, comme sur le marché du travail. À la lumière de cette constatation, nous convenons qu’il ne faut pas supposer l’insertion sociale préexistante à l’incarcération. Par ailleurs, nous verrons ultérieurement, dans le chapitre 6, qu’au moment où un homme sort de prison après une sentence d'incarcération de longue durée, même s’il retourne dans la communauté de laquelle il est issu, celle-ci aura changé pendant la période où il était reclus. La communauté qu’il retrouve n’est plus celle qu’il a connu avant l’incarcération. Du coup, l’homme libéré ne retourne pas à nouveau dans un environnement familier comme peut le suggérer le concept de réinsertion. Dès lors, indépendamment de la situation de la participation sociale avant l’incarcération, tous les hommes incarcérés pour une sentence privative de liberté de longue durée se retrouvent dans un nouvel environnement au moment de la libération. Pour éviter ces écueils relatifs au concept de réinsertion, à partir de maintenant, le terme de réinsertion sociale sera substitué par le terme d’insertion sociale.

Nous estimons que le terme « insertion sociale » est cohérent avec notre conception de l’exclusion sociale qui est ici perçue en tant que « processus » – c’est-à-dire une suite d’événements menant à un résultat précis – plutôt qu’en tant qu’« état », soit une condition davantage statique (Billette et Lavoie, 2010). Ainsi, la focale du phénomène d’exclusion sociale se situe davantage, à notre avis, dans le fait de « vivre » de l’exclusion plutôt que dans le fait d’« être » exclu socialement. Envisager l’exclusion comme un processus permet de rendre compte de la diversité des situations d’inclusion sociale et d’exclusion sociale qu’un individu peut vivre concurremment dans différentes sphères de sa vie (Castel, 2007;

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Mouffe, 2001). Dès lors, et à la lumière des analyses ci-haut, on admet que les hommes vieillissants en prison ont vécu au moins un processus d’exclusion dans au moins une des sept dimensions de l’exclusion sociale identifiées par Billette et Lavoie (2010), soit l’exclusion symbolique, identitaire, sociopolitique, institutionnelle, économique, territoriale ou, encore, l’exclusion vis-à-vis des liens sociaux significatifs, mais qu’ils pouvaient être insérés socialement dans un ou plusieurs autres de ces mêmes domaines. C’est pourquoi il nous apparaitrait plus juste, sur le plan expérientiel, de parler non pas de processus de réinsertion sociale, mais bien de processus d’insertion sociale, soit de l’action d’insérer quelqu’un dans un milieu social pour la première fois26.

Le portrait de vie précarcérale que nos participants ont brossé dans les pages précédentes montre qu’en général, les hommes vieillissants incarcérés ont vécu une ou plusieurs situations d’exclusion sociale dont la durée fût variable. Autrement dit, ils ont vécu, dans certaines sphères de vie usuelles, au sein d’environnements qui n’ont pas compensé les incapacités découlant de la présence des facteurs de risque ou encore, n’ont pas été en mesure de faire des choix valorisés par leur contexte de vie (Fougeyrollas et ses collègues, 2007, 74), ce qui restreignit leur participation sociale dans certaines sphères de leur vie. Par contre, ils pourraient ne plus se retrouver dans de telles situations si l’environnement carcéral permettait de compenser ces incapacités et influençait la capacité des hommes à faire des choix plus « incluant » et à mener une vie aussi indépendante des institutions que possible et d’engager les actions conséquentes. Or, il est rapidement apparu clair, au cours des entrevues, que l’ensemble des participants déplorait l’inadéquation environnementale de la prison aux spécificités de la clientèle vieillissante, tout comme son inadéquation à l’environnement communautaire retrouvé au moment de la libération. Du coup, ils ont dénoncé certains processus d’exclusion sociale produits dans et par la prison (Billette et Lavoie, 2010).

Mes analyses ont permis, dans ce chapitre, d’amorcer la mise en exergue du processus d’exclusion sociale dont ils pouvaient être victimes avant l’incarcération et dont ils pourraient continuer d’être victimes pendant l’incarcération. Le prochain chapitre

26 Tel qu’il sera présenté ultérieurement, être détenu hors du champ social communautaire pour une période de dix ans ou plus

implique qu’au moment de la libération, la communauté aura changé et sera nouvelle. Ainsi, après avoir purgé une sentence privative de liberté sur une longue durée, même ceux qui étaient auparavant insérés se retrouvent dans un milieu social inédit.

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approfondira l’analyse des processus d’exclusion sociale en prison en documentant la nature facilitante ou obstruante des facteurs environnementaux.

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CHAPITRE 5 : OBSTACLES ET FACILITATEURS AU

PROCESSUS D’INSERTION SOCIALE DES PRISONNIERS

VIEILLISSANTS

Le chapitre quatre a permis d’illustrer que les hommes admis en détention étaient déjà en situation de participation sociale altérée avant leur incarcération. Il a aussi mis en lumière le profil de la clientèle généralement admise en détention et certaines de leurs vulnérabilités. Nous savons qu’au moment de l’admission, les hommes peuvent souffrir d’incapacités comportementales liées à la volition, à l’affectivité et au contrôle des conduites impulsives et émotionnelles qui, potentiellement, peuvent compromettre la qualité de leur participation sociale pendant l’incarcération si la prison n’en tient pas compte dans son environnement. L’essence du chapitre cinq est donc d’illustrer la position facilitante ou obstruante que prend le pénitencier tout au long du processus d’insertion sociale des prisonniers vieillissants.

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Dans ce mémoire, la prison est envisagée comme un environnement de correction qui devrait relever les situations de handicap antérieurement connues et éviter la production de nouvelles situations de handicaps. Pour ce faire, les facteurs environnementaux de la prison doivent s’arrimer aux facteurs personnels de chacun (mis en lumière dans le chapitre 4 notamment), afin que l'interaction entre les deux catégories de facteurs soit favorable à la participation sociale des hommes dès leur arrivée en détention. De surcroit, la prison doit tenir compte des vulnérabilités personnelles des prisonniers tout au long de la sentence, notamment celles qui peuvent s’installer à cause du vieillissement normal ou pathologique (Cardinal et ses collègues, 2008 et Vézina et ses collègues, 2007), pour qu’ils puissent choisir de participer à la vie du pénitencier et acquérir les capacités utiles à l’insertion en communauté tout au long de sa sentence.

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Pour nous, le processus d’insertion sociale correspond au concept de « processus correctionnel » que le SCC préconise. Selon le Service Correctionnel du Canada, le processus correctionnel est le suivant :

L’objectif du SCC est d’aider les détenus à devenir des citoyens respectueux des lois. Le processus correctionnel débute au moment de l’imposition d’une peine. Une équipe de professionnels travaille en étroite collaboration avec le délinquant tout au long de sa peine, de l’évaluation initiale à la gestion de cas et pendant la surveillance dans la collectivité. Les programmes correctionnels offerts aident les délinquants à assumer la responsabilité de leurs actes. On encourage les délinquants à acquérir les compétences dont ils ont besoin pour réintégrer la société en toute sécurité. Une série de stratégies de motivation permet aux délinquants de constater l’utilité de ces programmes. Le processus correctionnel ne prend pas fin à la libération du délinquant – il se poursuit dans la collectivité. Comme en établissement, le délinquant travaille avec une équipe de gestion de cas qui comprend notamment un agent de libération conditionnelle, des professionnels de la santé, des bénévoles et tout un réseau de soutien (source : http://www.csc-scc.gc.ca/processus-correctionnel/index-fra.shtml ).

Ce processus est invoqué à ce stade- ci du mémoire puisque je m’en servirai à de multiples reprises au cours des chapitres 5 et 6 pour mettre en lumière les obstacles et les facilitateurs à l’insertion sociale des hommes. À nos yeux, l’incarcération comporte deux composantes qui nous seront fort utiles pour analyser le rôle de la prison dans le processus de production du handicap à la fois pendant l’incarcération et après l’incarcération. La première de ces composantes est la perte de contact de longue durée avec l’environnement social communautaire, celui dans lequel baignait la personne avant son incarcération et celui dans lequel le prisonnier sera éventuellement libéré. La seconde est la mise en contact de longue durée avec l’environnement carcéral. Dans ce cinquième chapitre, j’analyse le rôle de la seconde composante dans le processus de production du handicap. J’aborderai, dans le chapitre 6, le processus de production du handicap en regard de la perte de contact de longue durée avec l’environnement social communautaire dont les effets se remarquent surtout au moment de la libération.

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