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Deuxième stratégie d’adaptation à la survie en prison : l’évitement de la

CHAPITRE 6 : LA PARTICIPATION SOCIALE DES HOMMES QUI ONT

6.1. La participation sociale pendant l’incarcération

6.1.2. Deuxième stratégie d’adaptation à la survie en prison : l’évitement de la

L’évitement (Goffman, 1961) de la vie communautaire serait aussi une des principales stratégies de survie à la prison. Dans la nomenclature de Fougeyrollas et ses collègues (2007), la vie communautaire correspond à l’ensemble des activités d’une personne dans sa communauté en excluant les activités relatives à l’éducation, le travail et les loisirs. Dans notre cas, nos données ne permettent pas de distinguer les habitudes relatives à la vie communautaire aussi précisément que le propose la nomenclature de Fougeyrollas et ses collègues (2007). Par conséquent, nous envisagerons la vie communautaire comme faisant référence à l’ensemble des activités courantes qui se réalisent en présence d’autrui, car les participants ont décrit l’expérience générale des prisonniers vieillissants à cet égard.

L’évitement de la vie communautaire est engagé comme moyen de pallier l’absence de facteurs de protection environnementaux contre les réactions sociales dont les prisonniers vieillissants sont susceptibles d’être la cible. Pierre explique que « c’est [notamment] un moyen qui fait partie des masques ». Pierre et Vincent utilisent le concept de masque pour désigner l’ensemble des stratégies qui permettent de réguler l’image de soi en prison.

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L’évitement des situations sociales est un moyen de ne pas être confronté aux comportements d’affront, comme le jugement des autres et la victimisation. C’est donc le moyen de se prémunir contre d’éventuels sentiments négatifs que pourraient leur faire vivre certaines situations sociales.

C’est aussi en raison de la honte des gestes commis que certains prisonniers préfèrent éviter de participer à des programmes où ils devraient parler de leur crime et exposer leur sentiment de honte et de regret. Dans ce cas, l’évitement de la vie communautaire masque l’expression de sentiments pouvant compromettre l’image d’homme robuste qu’ils doivent défendre auprès des codétenus et, aussi, l’image d’homme solide qu’ils doivent protéger pour cheminer plus rapidement à travers le processus de déclassement graduel. À ce sujet, tous les participants pointent du doigt la double fonction des acteurs du service correctionnel, soit d’aider et de contraindre les libertés, en tant qu’obstacle à la participation sociale des prisonniers vieillissants. Ceux-ci ne sentiraient pas l’aisance de discuter ouvertement de leur vie affective et de leur sentiment négatif avec les acteurs du SCC en raison du pouvoir de contrainte que ces derniers détiennent à leur égard. Paul relate une conversation qu’il a déjà entretenue avec un de ses agents de libération conditionnelle « Comment je peux faire pour argumenter avec toi [en référence à son agent de libération conditionnelle]? Tu vas dire que je manque de transparence, que je manque d’honnêteté, que je suis rebelle, pas prêt et non réhabilité […]. Ton pouvoir est trop extrême face à ma situation. […] quelque part, j’ai toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête! » Cet extrait illustre bien comment les prisonniers vieillissants ne se sentent pas à l’aise de parler, car les agents du SCC ont le pouvoir de les maintenir en détention. Selon Maude : « la réalité c’est qu’un psychologue qui travaille pour le service correctionnel, son client, c’est le service correctionnel ». C’est également pourquoi les participants rencontrés déplorent que plusieurs acteurs du SCC dont les fonctions principales sont la relation d’aide (par ex. les psychologues ou les agents de libération conditionnelle) soient imputables de leurs décisions.

Selon les participants, en raison de l’imputabilité que le SCC leur attribue, la moindre expression d’un sentiment « négatif » comme l’inquiétude vécue par un détenu envisageant son retour en communauté pourrait semer le doute d’un risque potentiel de désorganisation

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advenant une remise en liberté. Dans le doute, les acteurs du SCC préfèrent s’abstenir de prendre une décision qui comporterait nécessairement de prendre un risque de récidive. À ce sujet, Thomas relate un exemple professionnel frappant :

s’il va dire à son agent : « t’sais, sortir 8 heures, je ne sais pas si je vais être à l’aise », l’agent ne le sortira pas. S’il me le dit à moi, je vais dire : ‘ Regarde, on va prendre ça une heure à la fois, on va y aller tranquillement, si tu ne te sens pas bien, on va revenir au pénitencier, il ne faut pas que tu t’en fasses, on va adapter ça à toi’. Là, il ne peut pas le dire à personne d’autre qu’à moi, sinon ça va faire peur aux décideurs, puis le décideur va dire non [à la sortie]... T’sais, dans le doute on s’abstient! [L’agent] va s’abstenir et il va dire : « non, non, on [ne le] sort pas, il [ne]sera pas capable de gérer ça [la liberté] ».

Les données semblent indiquer que les agents prennent l’expression d’un sentiment normalement ressenti par les humains pour un risque de compromission de la sécurité publique. Dans la même veine, selon Albert la révolte découlant de l’assujettissement à ce système dans lequel « il n’y a pas de valorisation », compte parmi l’une des émotions qui ne doivent pas être exprimées. C’est pourquoi, selon Thomas, le sentiment de révolte que vivent les prisonniers âgés se manifeste souvent par l’évitement de la vie communautaire : « Les personnes âgées, quand elles se révoltent, elles vont se refermer sur elles-mêmes puis elles ne parleront plus à personne, donc ça ne dérange pas personne ».

Cette stratégie de survie a pour conséquence de diminuer la fréquence des contacts avec l’environnement social. Sous l’angle d’analyse du PHH, elle permettrait de comprendre l’abaissement de certaines des aptitudes personnelles précédemment dans le chapitre 5 du mémoire. Étant donné que la qualité des facteurs personnels est en partie tributaire du niveau de participation sociale et de la qualité des facteurs environnementaux (Fougeyrollas et ses collègues, 2007, 74), en participant de moins en moins à la vie communautaire, le prisonnier vieillissant connait de moins en moins d’occasions de mettre en pratique certaines aptitudes, qui déclineront par le fait même. Dès lors, la stratégie d’isolement auto-infligé pourrait être renforcée. En sentant ses aptitudes personnelles diminuer, le prisonnier pourrait choisir de rester à l'écart des situations sociales qu’il se sent de moins en moins apte à gérer selon les attentes du SCC. L’évitement de la vie communautaire devient alors une stratégie pour réguler les comportements, mais particulièrement pour contrôler l’image de soi en donnant

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l’impression de satisfaire les exigences d’insertion sociale. C’est ainsi, selon Denis, que « la prison tue le social chez l'être humain. C'est ça le problème ». Le problème en question sera réexaminé dans la dernière partie de ce chapitre puisqu’il atteint son apogée lors du retour en communauté des prisonniers vieillissants.

Hormis l’évitement des relations interpersonnelles et l’évitement de la vie communautaire, une autre stratégie de survie a été mise en lumière dans nos analyses. Elle concerne l’apprentissage des « rouages de la prison » et leur utilisation délibérée. En raison de l’inadaptation de la prison aux besoins des prisonniers et des coupures faites dans les services, qui contribuent défavoriser la réalisation des habitudes de vie des prisonniers, Réjean affirme que les prisonniers risquent de plus en plus de « devenir manipulateurs [du système][…], ils savent quoi répondre à toutes les questions [que les agents du SCC leur posent »]. Dans les prochaines lignes, nous aborderons ce maniement « des rouages de la prison ».

6.1.3. Troisième stratégie d’adaptation à la vie en prison : le maniement des