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PARTIE 2 : CADRE THEORIQUE

5.2 Conceptions actuelles des représentations

5.2.3 Représentations sociales des enseignants

Plusieurs enquêtes sociologiques ont montré l'importance des représentations sociales des

enseignants et leurs liens avec les pratiques (Roux 1980, 1981, Perrenoud 1982, Mollo &

Marc 1984 ; Mollo, 1986 ; Trinquier, 2013). Il faut distinguer – à des fins d’explicitation car

dans la pratique elles interagissent – entre d’un côté les représentations portant sur les

fonctions et les rôles de l’enseignant, en lien avec celles de l’institution et de l’autre, celles

que l’enseignant se fait sur les élèves, leurs capacités, leurs progrès.

Les enquêtes du ministère de l’Éducation nationale réalisées ces dernières décennies

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montrent le maintien d’une tension, chez les enseignants, ente deux pôles fonctionnels : celui

de l’instruction et celui de l’éducation. A cette bipolarité et aux transactions que l’acteur est

amené à effectuer en fonction du contexte, entre en jeu ses représentations des rôles qu’il peut

vouloir jouer. Selon Lo Monaco, Delouvée et Rateau, cinq « figures » enseignantes peuvent

être distinguées : le savant, détenteur et dispensateur du savoir ; le pédagogue maîtrisant des

méthodes d’acquisition de compétences ; l’éducateur, apte à accompagner le jeune dans la

formation de ses compétences sociales relationnelles ; l’animateur dont les qualités de gestion

d’un groupe lui permettent de maintenir un degré suffisant d’engagement et enfin l’évaluateur

dont la fonction renvoie à celle, implicite, de classement par l’institution et qui est constitutive

de l’ethos enseignant selon Jorro (voir supra, p. 106). Pour ces auteurs, ces différents rôles

peuvent coexister mais aussi entrer en tension selon des oppositions d’ordre idéologique ou

statutaire. Enfin, les activités quotidiennes, les interactions dans la classe les actualisent, les

transforment (Lo Monaco, Delouvée et Rateau, 2016, p. 347). Si, majoritairement, les

enseignants s’accordent à reconnaître la présence des deux dimensions d’instruction et

d’éducation, des variations existent selon les niveaux et selon les disciplines. Par ailleurs, les

auteurs notent l’apparition récente d’une troisième composante mise en avant par les

enseignants : l’acquisition de compétences.

Celle-ci nous semble refléter à la fois la prégnance, chez les enseignants, du discours officiel

qui a diffusé cette notion depuis le début des années deux-mille et par la loi de 2005 sur le

socle commun des connaissances et des compétences

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, et également un possible

dépassement de l’opposition entre instruction et éducation puisqu’il semble difficile de

favoriser l’acquisition de compétences sans articuler ces deux dimensions. Pourtant, les

enquêtes montrent, que dans les activités observées en classe, les gestes liés à la transmission

de savoir, s’ils sont parfois minoritaires dans le temps (36%), restent liés à une conception,

elle majoritaire, chez les enseignants du secondaire (82%). Quels que soient les modes

d’orchestration entre ces deux dimensions choisis par les enseignants,

l’expérience professionnelle acquise est un facteur important.

104Enquêtes 2003 et 2008 de la DEPP du ministère de l’Éducation nationale in Les représentations sociales : théories, méthodes et applications. (2016), page 347.

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« Pour les débutants, on constate un effet “choc des réalités” par rapport à la complexité des situations. Face à la difficulté : recours à des modèles magistraux vécus comme élève (se réfugier dans des gestes, une posture qui identifie l'enseignant apprenti au métier “imagé” par son expérience d'élève). »(Lo Monaco, Delouvée et Rateau, 2016, p. 349).

Les auteurs de l'étude analysent ce recours-refuge comme pouvant constituer un frein

potentiel au développement d'une professionnalité plus réflexive et l'une des raisons d'une

centration sur la dimension d'instruction.

« Les représentations sociales sous-jacentes restent implicites et font émerger une conception “magistro-centrée” de l'apprentissage : l'instruction délivrée se veut assimilable notamment par l'explication, l'insistance, l'observation, et le repérage d'indices simples servis par la décomposition de la démarche. » (ibid)

La construction identitaire de l’enseignant, aujourd’hui mise en crise par les évolutions

sociales concernant les rapports à la hiérarchie, aux normes, aux savoirs, peut aussi,

semble-t-il, expliquer un certain repli sur « les fondamentaux », sur la transmission. Pourtant, on

constate la coexistence, chez un même enseignant, de différentes pratiques pédagogiques

appliquées avec les élèves selon la perception par l’enseignant de leur niveau. Les auteurs

remarquent qu’elles peuvent être très faibles du point de vue de leur efficacité, centrées sur la

répétition avec tel groupe, alors qu'elles peuvent relever de conceptions

socioconstructivistes et montrer plus d’efficience avec tel autre groupe. Les enseignants

pensent-ils que celles-ci seraient inefficaces avec le groupe des élèves considérés comme

« faibles » ? Pourquoi existe-t-il si peu de discours communs des enseignants sur leurs

pratiques d'aide ? Les auteurs constatent une faiblesse de la pensée professionnelle sur ces

pratiques à l'égard des élèves faibles.

Certains auteurs reconnaissent une évolution progressive dans les discours où dominait la

théorie des « dons » jusque dans les années soixante-dix. Sous l'effet peut-être de

l'infléchissement des discours de l'institution, ou encore de la diffusion de la théorie critique

dite de la reproduction (Bourdieu et Passeron, 1970), la théorie des dons va progressivement

disparaître et se voir remplacée par celle du « mérite » comme permettant d'expliquer les

différences de résultats scolaires chez les élèves (Londeix, 1982). Une troisième théorie, celle

de l'épanouissement s'est bien développée dans les années quatre-vingt mais elle a eu peu

d'effets concrets en dehors des lieux d'expérimentation de l'école nouvelle, sinon par la

récupération de certains éléments tels que la notion « d'activité de l'élève » « récupérée sous

forme d'élève agi et non d'élève ayant l'initiative de l'action. » (Gilly, 2002, p. 391).

Dans l'opposition très présente chez les enseignants entre la dimension d'instruction et celle

d'éducation, il semblerait qu'en dépit des évolutions précédemment évoquées, un modèle

« traditionnel » centré sur la relation au savoir comme prioritaire devant la dimension

éducative, permette le maintien, chez les enseignants, d'une « fonction implicite sélective » et

de l'importance attachée au niveau des élèves (Gilly, 2002, p. 391). Ce qui expliquerait

l'importance croissante prise par les outils d'évaluation et de certification, confirmant par là

une figure enseignante, celle de l’évaluateur, ainsi encouragée par l’institution.

Le regard porté par l'enseignant sur l'élève ne peut être séparé d'une représentation plus large

du système scolaire. Il s'agit pour l'enseignant de trouver (ou non) une cohérence entre d'une

part la vision d'un système dont il a intégré, plus ou moins consciemment, la fonction

sélective et d'autre part les pratiques qui constitue en quelque sorte sa traduction particulière

du système appliquée à l'élève. En cas de situation interprétée comme un échec, l'enseignant

peut invoquer des problèmes liés à la famille ou encore à l'élève lui-même. Plus rarement,

seront mises en question les pratiques mêmes de l'enseignant et leur inadéquation avec la

situation de tel ou tel élève. Londeix a montré dans une enquête comment la catégorisation

des élèves selon des prototypes de « bon » ou « mauvais » élèves (Weiss, 1984) renverrait à

des conceptions de l'école, plus ou moins « méritocratique » avec des persistances de

l'idéologie du don et de la brillance (Gilly, 2002, p. 398).

Les représentations constituent un filtre nécessaire sans lesquelles il n’y a pas de

compréhension du monde. Cependant, leur mode d’élaboration, parfois insuffisamment

soumise à la discussion (selon le souci aristotélicien), peut conduire l’enseignant à imposer sa

propre représentation d’un savoir idéalisé, privilégiant les modes d’abstraction au détriment

de la confrontation et de la diversité des expériences des personnes présentes, asséchant ainsi

leur capacité à réfléchir celles-ci dans le prisme des savoirs constitués. Par ailleurs, cette

perspective platonicienne, si elle entre en correspondance avec une certaine vision

homogénéisante et sélective de la formation scolaire telle qu’elle est organisée par

l’institution, bute face au défi de compréhension du mouvement, intégration-compréhension

de la vie même. l n'est pas possible de catégoriser les représentations sociales des enseignants

tant elles sont diverses et propres à chacun en raison des processus de construction des

représentations qui intègrent des rapports singuliers de chaque enseignant à son histoire, à ses

déterminations sociales, à son métier enfin.

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Cependant, il est possible de repérer des configurations communes. Il existe ainsi une tension

assez générale entre un pôle attracteur qui serait celui de l'instruction et un pôle différent,

opposé ou complémentaire selon les situations, constitué par l'éducation. Aller plus avant dans

la compréhension des représentations sociales des enseignants demande de considérer ce que

Giust-Desprairies nomme l’imaginaire collectif.