PARTIE 2 : CADRE THEORIQUE
4.4 L’accompagnement, une posture-clé de l’agir enseignant
4.4.1 La notion de posture
4.4.1.1 Éthique et posture
Il nous semble que penser l'agir enseignant consiste d'abord à considérer l'éthique, c'est à dire
à se demander quelles sont les convictions, les choix déontologiques, qui s’accordent – ou
non, ou mal – avec le positionnement du professionnel dans son rôle, et cela bien avant la
considération des aspects techniques, ceux de la didactique, secondaires selon nous
88.
88 Il ne s'agit pas de nier leur importance et leur influence dans les décisions prises par le professionnel, mais bien de les placer, en second temps, ou alors de les penser parallèlement, selon une épistémologie constructiviste et phénoménologique qui appréhende les phénomènes d'appropriation (didactique « déscolarisée » qui fait place à une critique réflexive des enjeux de la didactique, comme le propose Castellotti
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Pourquoi ? Enseigner, former fait partie des métiers de l'humain, métier impossible diraient
certains, métier du possible incertain, préférons-nous. En fonction de ce qu'il est, de son
rapport au savoir, aux autres, construits dans son histoire, en fonction donc d’une éthique du
métier, chaque formateur s'engagera différemment. Faire le choix d'une éthique de la
responsabilité partagée implique à la fois de se considérer soi (ses dispositions et ses limites)
et de considérer l'autre, c'est à dire d'envisager la relation comme l'espace même des possibles
du métier
89. Qu'est-ce qui se joue au moment d'une situation de formation ? Qui sont les
personnes avec lesquelles j'entre en relation ? Que souhaitent-elles ? Quels sont leurs
besoins ? Cette attention tournée vers la personne apprenante appréhendée dans sa globalité
(incluant son mystère), ouvre un espace dans lequel le formateur doit se positionner. Elle
ouvre un écart aussi, nous y reviendrons.
Le formateur s'appuie sur son expérience : celle-ci est convoquée, au besoin de façon explicite
(elle l'est toujours implicitement en raison des gestes incorporés). Il a aussi ses méthodes, ses
démarches, ou plutôt il est une démarche au sens où celle-ci lui convient, le reflète comme
processus -en ce qu'il l'a longuement expérimentée auprès de divers publics- et comme source
d’évolution réflexive : il est en mesure de l'ajuster aux personnes présentes. La démarche est
essentiellement un cadre proposé, au sein duquel différents parcours pourront être réalisés en
fonction des personnes présentes. Mais la congruence
90, condition du déploiement d'une
démarche efficiente, ne peut se manifester sans une connaissance suffisante de soi. Qu'est-ce
donc qu'il importe au formateur de bien connaître ? Ses dispositions en tant qu'habitudes,
manières de voir et de sentir, ses façons de s'ajuster à l’autre et à une situation à partir des
perceptions fines qu'il aura su développer (nous pourrions, avec Perrenoud parler ici
d'habitus). Mais ces dispositions sont toujours mises en situation dans un réel sans cesse
émergent. Ce réel est structuré par un élément relativement stabilisé : le dispositif, sorte de
scène dont une partie seulement des éléments de « jeu » sont du ressort des personnes
présentes tandis que l'autre est contrainte par le contexte matériel, institutionnel (celui d’un
cours de FLE dans un centre de langue par exemple). Ce réel est chaque fois réactualisé par la
situation qui intègre d'une part les personnes présentes (les « acteurs » avec leurs histoires,
leurs enjeux personnels), un lieu, un temps et des enjeux collectifs (se former ensemble,
et d'autres avec elle, ce qui, d'une certaine façon, revient là encore à rendre prioritaire la question du positionnement relationnel, de la place faite à l'autre, à la diversité, celle de l'éthique donc).
89 Espace qui inclut la reconnaissance des limites : l’impossibilité à tout saisir de soi, de l’autre et de la relation, distance irréductible qui donne son prix à l’effort réalisé par les partenaires vers une réduction même partielle de celle-ci.
90 Au sens de Rogers : la congruence s’exprime par l'unité d'une personne et l'authenticité de ses relations telles que portées par une vision positive du développement humain.
se connaître ou non, adhérer ou non aux propositions du formateur), l’ensemble se réalisant
selon une dynamique de groupe sur laquelle le formateur n'a que partiellement prise
puisqu'elle est elle-même liée aux enjeux personnels, aux représentations de chacun, en partie
opaques. A partir d’une perception, toujours limitée, de ces différents facteurs qui donnent vie
à une situation, le formateur opte pour une posture
91.
4.4.1.2 La posture, entre disposition et dispositif
Entre les dispositions du formateur
92et le dispositif, le formateur se place, selon ce que
Geneviève Lameul nomme une posture, c'est à dire une sorte d'état mental qui lui permet
d'ajuster son cadre personnel (ses dispositions) à la situation en cours d'évolution. Si la
pédagogie consiste à mettre en relation des personnes avec des savoirs, elle est d'abord et
avant tout affaire d'intelligence de la situation en tant que capacité à affronter la complexité,
l'incertitude et l'interactivité (Lameul, 2009). Cette posture, inscrite dans le corps, dans des
gestes, est en partie observable. Elle donne sens aux actions et pour cette raison elle est
partiellement explicitable. Pour Lameul, reprenant la théorie de Bandura, la posture est la
médiatrice entre l'interne des facteurs personnels et l'externe des facteurs comportementaux
(influencés par l'environnement social). Cette posture est façonnée par des croyances, des
intentions diverses et par les actions elles-mêmes qui modifient à leur tour l'habitus. Par un
travail réflexif, il est possible de revenir sur les justifications rationnelles des actions que
constituent les croyances et les intentions. Mais la part implicite, non-sue, contenue dans les
gestes comme dans les croyances – lesquelles sont partiellement ancrées dans des logiques
inconscientes – rendent difficile l'accès aux logiques profondes de l'agir enseignant. Tout au
plus serait-il possible, par l'approche biographique et l'explicitation, de déplier certains des
schèmes d'action qui, alors, peuvent prendre sens aux yeux de l'acteur lui-même qui, en
définitive, reste seul maître du degré d'auto-connaissance qu'il souhaite atteindre. Toute
théorisation de l'action bute sur la singularité des situations et sur l'inconnaissable de toute
personne, jamais totalement transparente à elle-même. C'est de cette reconnaissance d'une
limite à notre propre compréhension comme à celle de l'autre, que découle une éthique de la
retenue, de la non-directivité, dont parle Rogers. Il est de la responsabilité de chacun
d'engager, s'il le souhaite, un travail sur soi, qui, par des prises de conscience, pourra
91 Pour cette représentation de la situation de formation, nous sommes redevables à l’ouvrage de Lameul, Jézégou et Trollat (2009) Articuler dispositifs de formation et dispositions des apprenants (en bibliographie).
92 Nous nous intéressons prioritairement pour cette recherche à cet aspect de la relation éducative mais il faudrait inclure dans une recherche plus large celles des apprenants : sont-ils désireux d'apprendre, suffisamment disposés, informés, motivés, pour accepter d'être éventuellement altérés et jusqu’à quel point par ce mouvement d'appropriation ?