PARTIE 2 : CADRE THEORIQUE
4.5 Groupe et dynamique de groupe
4.5.3 Dynamique de groupe
La définition de ce qu’est une dynamique de groupe est difficile à établir car elle dépend du
point de vue choisi pour analyser la vie d’un groupe (psychologie individuelle, sociale,
anthropologie, écologie…). Pour Lewin, la « totalité dynamique » est ce qui caractérise un
groupe. Pour David Krech et Richard Crutchfield :
« La dynamique (…) désigne (…) l’ensemble des changements adaptatifs qui se produisent
dans la structure de l’ensemble du groupe à la suite des changements ‘d’une partie
quelconque’ de ce groupe (…) la définition (…) suggère (…) quelque chose d’analogue à la
self-distribution des forces dans un champ de forces physiques…. Tout changement de
potentiel en un seul point détermine un changement de potentiel en de nombreux autres
points. » (1952, pp. 22-23)
Comment expliquer qu'un groupe-classe voit se développer une dynamique particulière, une
vitalitéqui le fait se distinguer des autres ? Nous avons déjàrepéré le facteur temps, celui de
la durée de vie commune qui permet àla fois que les personnes apprennent à se connaître et
qu'une série d’événements, d'étapes, favorisent la structuration du groupe. S'appuyant sur les
travaux de Bachelard ou de Gilbert Durand, plusieurs auteurs que l'on pourrait réunir dans un
courant composite qui serait celui de la « formation expérientielle ou existentielle » ont
soulignél'importance des rythmes et des cycles dans tout processus de formation.
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« Toute expérience de formation, pour être complète, est circulaire. Elle part de l'expérience,
naïve, traverse la question du savoir, des langages, pour aboutir à une situation historique
élucidée. Sa signification et son effectivité n'existent que si elle parvient à ce point de
conscience. (...) Mais cet itinéraire suppose un temps différent pour chacun. D'oùl'importance
de permettre aux rythmes d'exister par un support institutionnalisé. » (Lhotellier, 2001, p.
216)
Par ailleurs, l'observation de la vie d'un groupe a pu montrer comment celle-ci, dans certaines
conditions, peut se développer selon des étapes bien identifiées : naissance, maturation, crise
et séparation. Parmi les facteurs qui influencent le développement de la dynamique de groupe,
c’est encore le degré d'interdépendance que considère Lewin et qu’il précise à partir des liens
qu’il établit entre le type d'organisation et le degré d'intimité du groupe. Ce sont là, plus
que le facteur numérique, les deux axes qui nous paraissent en effet à considérer en priorité.
L'organisation car elle structure la vie même du groupe au travers des relations sociales.
Résultat d'une médiation permanente entre des obligations externes (celles imposées par
l'institution et par-delà, par la société) et des pratiques qui s'instituent à l'intérieur même du
groupe, qui bien souvent évoluent à mesure que la nature des relations interindividuelles
évolue. L'intimité car la proximité qui s'établit entre des membres d'un même groupe
correspond à la fois à une volonté de départ s'appuyant sur la confiance et le résultat en
construction-vérification permanente de ce pari initial.
Dans le cas d'un groupe-classe d'étudiants de nationalités diverses en cours de français en
immersion, les conditions initiales de relative insécurité émotionnelle font qu'un lieu
d'interactions protégé par un climat de confiance et de respect des différences favorise
l'investissement plus ou moins important de chacun de ses membres. Ce point nous incitera à
considérer les gestes de l’agir enseignant qui justement, prennent en compte cette dimension
centrale de la relation que constitue l’atmosphère.
Nous l’avons dit, un groupe peut être défini par des formes d’interaction et d’interdépendance
entre ses membres lesquels partagent des normes, règles, et pratiques communes, au moins
sur un temps donné. Les groupes-classes, tels qu’ils sont organisés à l’IEFT, s’apparentent à
des groupes restreints bien que leur degré d’interdépendance soit très variable. Si deux
facteurs sont à considérer concernant le développement d’une dynamique de groupe (facteur
temps et degré d’intimité du groupe en lien avec l’organisation), nous faisons l’hypothèse que
le mode relationnel de l’enseignant influe sur celui-ci par ses modes d’animation d’un groupe.
Le travail d’enseignant est un métier de la relation. En cela, il comporte une nécessaire
dimension éthique. Il relève par certains aspects d’une profession mais par d’autres d’un art
ou d’un artisanat qui a à voir avec le prendre soin et avec une posture d’accompagnement.
Médiation entre les dispositions de l’enseignant et le contexte dans lequel il exerce, la posture
est le lieu plus ou moins conscientisé de décisions et d’engagements au travers de gestes aux
finalités diverses. La théorie de l’agir enseignant et des gestes professionnels ajustés de
Bucheton permet de considérer l’inscription corporelle de l’agir et d’éclairer la question de
l’intentionnalité. Si certains gestes visent à conduire l’activité des apprenants en leur
indiquant le sens de celle-ci et la direction générale (geste de pilotage), d’autres ont pour but
de soutenir leur attention (gestes d’étayage), d’autres encore établissent des liens entre
différentes dimensions et lieux de savoir (geste de tissage), enfin, d’autres ont pour fonction
de créer et de maintenir un climat propice à l’activité de circulation du sens au sein de
l’espace dialogique (geste d’atmosphère).
Le développement d'un répertoire de gestes professionnel se fait de manière toujours
singulière pour chaque formateur en fonction de son histoire personnelle, de ses
représentations et de ses expériences vécues (nous avons insisté dans le chapitre
d’introduction sur l'importance, déterminante, selon-nous, des contextes). Certains vont
s'installer durablement dans un agir structuré par des gestes de métier (Jorro, Spinelli, 2010)
reproduits par imitation, tout en développant progressivement des manières de faire, des
« styles » plus personnels quand d'autres, s'affranchissant plus rapidement des modèles reçus,
vont « investir » leur pratique de façon beaucoup plus importante et plus personnelle au
travers de gestes professionnels d'ajustement. Ces modes d’appropriation du métier (Gesson,
2015) s’observent lors de l’étape d’entrée dans le métier. Ils influent sur le développement
d’une identité professionnelle plus ou moins autonome, plus ou moins confiante.
De notre point de vue, l’agir en tant que développement de gestes singuliers s’accorde avec
une conception de l'être en devenir et d’une identité non figée qui réunit des caractéristiques
stabilisées et d'autres évolutives selon une trajectoire de vie. Cet agir expérientiel est à
considérer dans le domaine de la recherche sur la formation car il nous semble être davantage
en mesure, par sa souplesse, de s'adapter à l'imprévu, à la diversité et à l'hétérogénéité en
raison de son positionnement congruent (j'enseigne comme je suis) et altéritaire (je tisse avec
les je autres, tous uniques), les deux étant intrinsèquement reliés par une éthique de la
réciprocité comme reconnaissance de l'autonomie. Cet agir singulier, enfin, semble cohérent
avec le changement de paradigme de la formation qui est aujourd'hui rendu nécessaire (et vital
peut-être) dans le contexte des multi-crises du monde actuel et qui place les formateurs au
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premier rang du défi consistant à affronter l'inconnu. Notre expérience professionnelle nous
conduit cependant à accorder un rôle essentiel, dans la formation de l’agir enseignant, aux
représentations. La nécessaire clarification de ce que nous comprenons par cette notion va
nous conduire maintenant à explorer cet élément clé des dispositions qui fermera le tour
d’horizon du cadre théorique en l’inscrivant selon une perspective épistémologique.
5 DES REPRESENTATIONS À L’AGIR
ENSEIGNANT : POUR UNE
PHENOMENOLOGIE DU DEVENIR
ENSEIGNANT
L’enseignement est affaire de représentations : les savoirs font l’objet de présentation par
l’enseignant et de représentations dans l’esprit des apprenants. Ils sont cependant d’abord
objets de représentations chez l’enseignant lui-même qui les considère dans un ensemble, en
lien avec d’autres savoirs, mais aussi d’autres enjeux (pédagogiques ou sociaux). L’agir
enseignant se déploie par des gestes et au travers de relations qui mettent en jeu des
représentations à la fois individuelles et collectives. Cette question est ancienne, elle concerne
notre façon de concevoir le monde, il importe de la situer dans le développement de l’histoire
des idées. Une fois rappelée la controverse qui a opposé Platon à Aristote autour de cette
question, nous en présenterons certains aspects plus actuels en lien avec l’institution
(Sallaberry), les courants pédagogiques et, d’un point de vue plus sociologique, ce qu’il en est
des représentations sociales des enseignants, population qui nous intéresse pour cette
recherche.