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PARTIE 3 : CONTEXTE ET METHODES

6.1 Un contexte socio-historique singulier

6.1.3 Éclairage sur le contexte actuel

6.1.3.1 Les enseignants et la direction

La rotation importante des directeurs pédagogiques (le directeur financier, arrivé au moment

de la crise, en a recruté trois depuis son arrivée) et la situation de tension interne, n’ont pas

favorisé le développement d’une culture d’établissement dynamique, telle qu’elle pourrait

davantage s’exprimer au travers de la mutualisation des ressources ou d’activités communes

organisée au sein de ce qui constituerait une équipe pédagogique, et ce, en dépit du travail

d’enseignement par binômes auxquels sont attribués un groupe-classe et des efforts de la

direction pédagogique pour favoriser des formes de mutualisation et d’échanges.

La vigilance budgétaire et les efforts demandés à tous pour revenir à un équilibre financier,

s’ils ont pu être compris d’un point de vue rationnel et ont bien atteint leur résultat (le retour à

une situation financière plus sécurisée), semblent avoir créé un sentiment d’amertume chez

certains membres du personnel. Côté enseignant, il arrive à certains de regretter une forme

d'« emprise » du financier sur le pédagogique ce qui indique la permanence de ce nœud de

tension. La politique austéritaire, qui s’exprime par des économies réalisées sur presque tous

les postes entre parfois en contradiction avec la culture du « prestige » mentionnée

précédemment et qui est censée se traduire par une certaine ambition dans les choix politiques

et d’investissement.

Ces choix visent prioritairement la qualité de l’enseignement offert et la satisfaction plus

générale des étudiants (qui intègre la qualité de leur séjour sur laquelle l’organisme veille au

travers d’une réserve de familles d’accueil conventionnées). L’attribution répétée d’un label

Qualité FLE, suite aux visites d'audit de membres du CIEP et à leur vérification d’une

application stricte d’un cahier des charges très complet, constitue une fierté légitime pour

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l’établissement en général et plus particulièrement pour les enseignants

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. Cependant cette

reconnaissance n’est pas sans prix puisqu’elle passe aussi par une certaine uniformisation des

programmes et des modes de suivi attendus, faisant craindre à certains enseignants, là encore,

de voir se réduire la spécificité locale de l’établissement.

La focalisation de la direction sur une « excellence » reconnue par des instances

« indépendantes

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», et du fait qu’elle ne se traduit pas en signes suffisamment tangibles de

reconnaissance (matérielle ou symbolique), peut dès lors être interprétée au travers du filtre de

la politique austéritaire visant à « toujours faire mieux avec moins de moyens », et comme

une forme de pression, une « politique du résultat », à mettre en lien avec la co-présence

d’enseignants vacataires au statut moins enviable. La recherche d’un renouveau, celui qui

permettrait d’accueillir de nouveaux publics, semble passer, du côté de la direction, par de

nouvelles offres, de nouvelles maquettes de cours proposant des formules différentes.

Pourtant la satisfaction des étudiants passe aussi et, nous semble-t-il, prioritairement, par leur

expérience de groupe-classe telle que vécue avec leurs enseignants. Cette dimension

relationnelle nous semble donc la plus importante à considérer. Mais qu’en est-il des

enseignants et de leurs rapports ?

6.1.3.2 Les enseignants, une équipe ?

Le groupe constitué par les enseignants est peu fédéré, il semble agréger différents

sous-groupes selon des logiques propres aux enjeux du moment et aux représentations du métier.

De façon simplifiée, et donc réductrice, il serait possible de distinguer deux grandes

catégories d'enseignant : le groupe des vacataires et les titulaires. Cependant chacune de ses

catégories peut être subdivisée en deux sous-catégories. Pour les vacataires, nous pourrions

distinguer d’une part entre les vacataires de passages et les plus expérimentés qui attendent

depuis plusieurs années une titularisation inespérée (certains finissent par partir). C’est ce

groupe qui vient gonfler les effectifs d’enseignants lors de l’afflux d’étudiants entre juin et

septembre. Ils font parfois l’objet d’une attention particulière de la part de leur binôme mais

sont globalement peu accompagnés.

131 La Label Qualité FLE, créé en 2007 après une concertation de trois années entre les divers groupements FLE et le CIEP, structure liée à Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, historiquement en charge des questions liées à la didactique du FLE.

132Indépendance à relativiser si l'on considère que le label Qualité FLE est le résultat d'une concertation certes ouverte aux centres et à leurs représentants de branche mais placée sous l'égide des ministères des affaires étrangères et de l'éducation nationale ayant chacun leur politique. Par ailleurs le CIEP lui-même est partie prenante en raison de son rôle clé dans la création et la validation des épreuves de certification (DELF et DALF). A ce jour, la liste officielle répertorie 105 centres labellisés en France dont 8 en Indre et Loire (4 à Tours dont l'Institut de Touraine).

Du côté des titulaires, il est possible, encore que de façon très subjective, de percevoir un

écart entre d’un côté les titulaires plus ou moins proches de la retraite et des enseignants, eux

aussi expérimentés, qui peuvent se montrer plus ouverts. Nous repérons divers signes de cette

ouverture : une écoute quoique critique, aux innovations proposées par la direction ; un

accueil de stagiaires dans leur classe ; des interventions en formation de formateurs à

l’université ou lors de missions à l’étranger ; du travail collaboratif autour de la rédaction d’un

référentiel de compétences. C’est au sein de ce groupe « ouvert » que j’ai pu établir des

relations de confiance m’ayant permis d’approcher les pratiques de trois enseignantes.

6.1.3.3 Des logiques différentes

Des tensions peuvent naître de la superposition de logiques différentes. Pour une part, nous

l’avons dit, l’organisme reproduit les procédés d’ingénierie pédagogique de type scolaire

(groupes-classes de niveaux attachés aux mêmes enseignants responsables, sélection par

évaluations sommatives, contrôle des présences, organisation de cession régulière de

certification). En lien avec cette organisation scolaire, il fonctionne aussi selon une logique

commerciale : les étudiants, la plupart du temps majeurs, payent leur formation, ils sont donc

des clients qu’il importe de satisfaire. Leur avis est sollicité à chaque fin de session de cours

au travers d’un questionnaire de satisfaction anonyme qui reprend l’ensemble de leurs

conditions de séjour (cours, accueil, services proposés…), ainsi qu’au travers des réunion des

délégués de classe organisés mensuellement avec la responsable du service études. Il arrive

aussi parfois qu’un étudiant, mécontent de « stagner » dans un même cours, aille réclamer son

passage dans le cours supérieur auprès de la direction pédagogique, mettant celle-ci dans la

position inconfortable d’avoir à trancher entre la logique scolaire qui voudrait que soit

respecté l’avis des enseignants, et la logique commerciale qui, afin de le retenir, laisse à

l’étudiant la responsabilité d’aller dans un groupe dont le niveau n’est peut-être pas le sien.

Au final, comme la logique commerciale l’emporte bien souvent, il revient à l’enseignant qui

accueille cet étudiant d’être en mesure de s’adapter à cette diversité des niveaux qui, bien que

toujours présente, se trouve parfois ainsi augmentée à un point susceptible de déséquilibrer

son groupe-classe, provoquant des effets négatifs sur d’autres étudiants qui ne comprennent

pas de tels choix. Par ces décisions, la direction montre ainsi ses priorités et celles-ci peuvent

entrer en contradiction avec une certaine image du métier d’enseignant et être interprétée

comme une atteinte portée à sa professionnalité, en particulier à la figure d’évaluateur de

l’enseignant, figure pourtant elle-même renforcée par les demandes institutionnelles de plus

d’évaluations et plus de traces de suivi.

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L’Institut a connu plusieurs années de tension, voire de crise, qui se sont manifestées au

travers de départs, de procès aux prud’hommes, l’ensemble ayant conduit à une réflexion

approfondie sur les relations professionnelles au sein de l’établissement. Cette réflexion a

bénéficié de l’aide apportée par des cabinets de conseil. Cette démarche est encore en phase

de réalisation et elle n’est pas directement liée à la question de cette recherche qui porte sur

l’agir enseignant. Cependant, il nous a semblé utile de donner aux lecteurs quelques éléments

lui permettant d’envisager le contexte professionnel dans lequel évoluent les professionnels

dont nous allons bientôt approcher les pratiques. Avant cela, et puisque mon regard est celui

d’un enseignant issu du milieu scolaire de l’Éducation nationale, il paraît nécessaire d’offrir

quelques éléments de différenciation autour des spécificités de cette structure de formation à

l’occasion d’une mise en parallèle entre ces deux formes institutionnelles.