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PARTIE 2 : CADRE THEORIQUE

5.1 Représentation du réel : entre perceptions et idée, le débat entre Platon et Aristote

Platon et Aristote

Puisque nous avons le projet de comprendre comment se constituent les représentations des

enseignants sur leur métier, et comment elles se traduisent dans leurs pratiques, il est

nécessaire de préciser quel sens nous souhaitons donner à ce terme. Étymologiquement, ce

terme issu du latin reprœsentatio désigne « l'action de replacer devant les yeux de

quelqu'un »

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. Ce mouvement intentionnel vise à rendre sensible un concept ou un objet

absent « au moyen d'une image, d'une figure, d'un signe »

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. Utilisé dans des acceptions

différentes en droit où il s'agit pour un représentant de représenter une ou plusieurs

96Selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales.

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personne(s) absente(s) (la « représentation nationale » par exemple), ce sont surtout les usages

du terme en philosophie et en psychologie qui nous intéressent.

5.1.1 Une fonction heuristique

Nos organes sensoriels transmettent au cerveau des informations que celui-ci traite afin

d'offrir à la pensée une représentation mentale de la situation vécue. Cette interprétation du

« perçu », se réalise en fonction des connaissances déjà présentes, de la mémoire sensorielle,

des expériences accumulées, d'une histoire personnelle au sein d'environnements

socio-culturels préexistants. Le mouvement d'apprentissage par essai-erreur dans les interactions

avec un environnement est à la base du processus anthropologique de formation de soi de

l'être humain. En ce sens, il semble nécessaire d'admettre qu'il n'existe pas d'accès « direct »

au réel, tel qu'il se réaliserait sans aucun filtre, ni interprétation dans l'immédiateté d'une

conscience pure

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.

Au fur et à mesure que grandit l'enfant, ses expériences propres, ses observations des

comportements des personnes qui l'entourent, des réponses de celles-ci à ses propres

comportements, les récits, discours, qu'il entend, à visée formative ou non, toutes ces

d'informations, accumulées sur la durée, contribuent à la formation d'un ensemble de

représentations dont la cohérence sera plus ou moins grande et que l'on pourrait nommer

« représentation du monde ». Elles ne sont en rien figées. Elles s’actualisent par les

expériences vécues. Si le besoin de maintien d'une certaine continuité biographique peut

favoriser un certain « conservatisme » des représentations, certains événements

particulièrement marquants peuvent contribuer à les faire évoluer tels que les rencontres, les

voyages, les épreuves, etc.

5.1.2 Représentation et vérité

En philosophie, cette notion est reliée à celles d'idée, de vérité et de connaissance. Objet

parfois de suspicion, la représentation serait toujours à questionner. Idée incomplète et

provisoire chez Platon, son allégorie de la caverne fait de la représentation le fruit d'une

illusion, celle d'un accès au réel par les seuls sens. Si cette allégorie met en lumière le

nécessaire travail philosophique de questionnement du réel, nous invitant à nous dégager des

idées reçues et des préjugés, elle s'inscrit dans une théorie des idées qui a eu une influence

considérable dans l'histoire des pensées en occident.

98Tout au moins pas sans passer par des formes recherchées de désapprentissage qui sont peut-être l'objet de pratiques de méditation lesquelles dépassent le cadre de cette recherche.

Cette théorie, inscrite dans le contexte de la cité athénienne déclinante de l'après Périclès et

dans le paradigme des connaissances de l'époque structuré par les arts et la géométrie, postule

l’existence d'une entité supérieure aux choses matérielles, une Idée qui fournirait le moule des

objets concrets, expliquant ainsi leur imperfection. Théorie dualiste, elle sépare la réalité entre

le monde intelligible (le Ciel des Idées) et le monde sensible (le Monde Matériel). A la fois

idéaliste car elle crée une hiérarchie entre le premier et le second, elle est pourtant réaliste car

pour Platon, les Idées existent indépendamment de nous qui les concevons. Si le message du

philosophe nous invitant à une vigilance vis à vis des idées reçues, des opinions communes –

repris par Descartes et jusqu'à Bachelard – conserve toute sa validité épistémologique, des

critiques importantes ont pu être formulées à l'encontre de cette théorie platonicienne des

Idées.

Tout d'abord, la question du rapport au réel et de la prééminence d'une pensée abstraite sur les

représentations premières, sensorielles, correspond à une vision idéalisée d'un homme se

libérant de sa nature animale. Ce dualisme corps esprit, et la hiérarchie placée entre les deux,

l'un dominant l'autre, a eu des résonances importantes durant le moyen âge chrétien et jusqu'à

l'apparition du rationalisme cartésien ensuite. La pureté des Idées, comme source supérieure

aux choses du monde sensible, s'est accordée avec le monothéisme chrétien et son

absolutisme

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. Remarquons cependant que Platon s'est opposé aux sophistes qui prétendaient

disposer, par la maîtrise du langage et l’art de la rhétorique, du savoir suprême et de la

puissance de convaincre tournée vers le monde extérieur pour le dominer. Platon, à la suite de

Socrate et son « Connais-toi toi-même », nous indique la direction d’une connaissance d'abord

dirigée vers le monde intérieur avec la volonté de le découvrir. Pourtant, sa recherche du Beau

et du Vrai a pu constituer par la suite la caution philosophique à une certaine conception de

l'humain s'exprimant dans la représentation d'un progrès continu de l'homme possesseur et

dominateur de la nature. Cette conception, au regard de la compréhension actuelle des

limitations matérielles du monde est aujourd'hui contestée en raison même des risques qu'elle

fait encourir à la poursuite de la vie sur Terre.

Pour le disciple de Platon, Aristote, il faut au contraire faire confiance aux capacités

perceptives de l'homme. L'expérience est première source d'enseignement. Pour lui, les

apparences (phainomena), choses perçues, conduisent à penser le monde. A partir de cette

expérience du monde, la pensée se développe par la confrontation à celles des autres.

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Aristote préconise ainsi d'aller rechercher les avis des personnes reconnues et de vérifier la

validité de leurs opinions en les confrontant au réel par sa propre pensée. Il conteste la vision

platonicienne d'un Ciel des Idées indépendant de la réalité sensible car cette abstraction

éloigne de la connaissance du réel en refoulant la part sensible de notre accès à celui-ci.

Pour Aristote, l'essence ou la forme (eïdos morphè) ne peut exister qu'incarnée dans une

matière (hulé). Cela le conduit à élaborer « la thèse dite de l'hylémorphisme qui consiste à

penser l'immanence, la nécessaire conjonction, en toute réalité existante, de la matière (hulè)

et de la forme (morphè) qui l'informe »

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. S'il rejoint Platon dans la recherche de la Vérité, le

chemin pour y accéder diverge. Au Beau, Aristote préfère le Bien. Cet être eudaimon est pour

lui la plus haute ambition de l'homme, à laquelle toutes les autres fins (santé, richesse, etc.)

sont subordonnées

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.

Autre problème épistémologique central pour l'épistémologie et la pédagogie : les Idées ne

peuvent pas rendre compte du monde en mouvement.

Pour Platon, les Idées sont le principe premier, car elles sont causes de tout le reste. Il ne fait donc usage que de la cause formelle (l’Idée) et de la cause matérielle. Or le problème est que les Idées platoniciennes ne peuvent servir de cause motrice. En tant qu’elles sont immobiles, elles n’expliquent que le repos. Donc la doctrine platonicienne est insuffisante pour expliquer le monde tel qu’on le voit, en mouvement. 102

Cette contestation aristotélicienne d'une essence de la chose qui lui serait distincte le conduit à

rejeter la notion d'Idée telle que conçue par Platon. Le principe de mouvement est l'un des

quatre grands principes explicatifs avec la matière, la forme et la fin. Refusant d'abstraire les

choses autres que celles qui relèveraient des mathématiques, étudier la nature – comme forme

et comme matière – doit se faire selon une seule et même science qu'il appelle la physique.