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[135] Cette ontologie propose une structure théorique qui permet à une œuvre protégée par le droit d’auteur de passer du stade de « bien public » à celui de « bien privé » dans un contexte transnational. L’objectif de cette représentation des mécanismes à la disposition des agents sociaux est de bâtir une théorisation objective du droit d’auteur applicable à toutes les juridictions.

[136] Dans un premier temps, les mécanismes sont présentés en fonction du risque anticipé, où le consentement du titulaire entretient un rapport inversement proportionnel avec le risque. Ainsi, la cession est le mécanisme où le consentement est le plus élevé et où le risque est le plus bas. Logiquement, la violation exclut, par défaut, le consentement du titulaire et impose plus de risque. La relation entre le risque et le consentement constitue la pierre angulaire du continuum du consentement.

[137] La Figure 1 est la représentation visuelle du continuum du consentement. Le haut de l’axe indique les accès ayant trait à une transaction de nature économique, tandis que le dessous de l’axe représente les usages non-monétaires. Par ailleurs, la distance entre chaque mécanisme est arbitraire puisque les lois et jugements locaux modifient la « frontière » entre chaque mécanisme. Ainsi, le continuum

du consentement devient un outil théorique utile pour comparer l’état des juridictions à travers le monde pour un usage ou un contexte institutionnel précis.

Figure 1 : Continuum du consentement du point de vue du titulaire par risque croissant de mécanisme normatif d'une utilisation

[138] Nous proposons donc que le continuum du consentement constitue le second axiome structurant les effets des droits patrimoniaux du droit d’auteur. Il se conjugue au premier axiome, le paradoxe quantique de la nature économique de l’œuvre protégée par le droit d’auteur, car il théorise les mécanismes normatifs possibles pour faire passer l’œuvre d’un statut économique à un autre.

Conclusion de la première partie :

l’impasse économique

[139] Cette première partie introduit deux axiomes économiques découlant des dynamiques internes du droit d’auteur. Le premier axiome, le paradoxe quantique, organise les théories économiques de l’œuvre selon le point de vue que privilégie le chercheur. D’un côté, une analyse du point de vue de l’offre dans la transaction économique conceptualise l’œuvre protégée par le droit d’auteur comme bien privé. De l’autre, les chercheurs qui analysent l’impact de la demande ou de la consommation d’œuvres font ressortir son caractère public. Cette famille d’approches est plus récente et coïncide avec l’émergence du numérique. Le second axiome, le continuum du consentement, tente de réconcilier les deux états de l’œuvre du premier axiome en organisant les instruments introduits par le droit d’auteur en fonction du risque encouru par un utilisateur. Ainsi, l’œuvre passe d’un état privé ou public selon lesdits instruments. Nous nous intéressons particulièrement au point de bascule économique entre le recours aux instruments contractuels (cession, licence, limitation) et le recours aux exceptions au droit d’auteur. Nous laissons à d’autres l’analyse de la contrefaçon numérique sur la valeur de l’œuvre. Il est pertinent d’approfondir les conséquences de ces deux axiomes sur la suite de nos travaux.

[140] En premier lieu, l’œuvre est quantique, dans la mesure où elle entretient deux états économiques selon le choix épistémologique ou méthodologique du chercheur. Loin de vouloir critiquer l’une ou l’autre de ces familles, nous désirons affirmer qu’elles sont toutes deux valides et pertinentes. En fait, accepter le caractère quantique de l’œuvre permet de mieux comprendre le rôle de chacune des grandes familles analytiques dans l’élaboration d’une conceptualisation du droit d’auteur numérique. Nous embrassons les deux afin d’enrichir notre trousse d’outils. Par contre, il subsiste un certain malaise quant à savoir quel outil choisir selon le contexte. Il appert que le choix épistémologique ou méthodologique du chercheur peut avoir un impact sur comment l’analyse se déroule puis, comment les conclusions s’imposent. Le groupement de ces approches selon leur perspective dans l’analyse de la transaction introduit un doute quant à la pertinence intrinsèque de l’économie et incite le chercheur à chercher au-delà de ces approches pour pleinement comprendre l’impact du numérique sur le droit d’auteur. [141] Certains chercheurs tentent de résoudre ces tensions en opérant des

distinctions ontologiques ou taxonomiques quant aux objets ou agents agents. Par exemple, Le Deuff282 théorise le contexte de pratiques d’édition par Internet, dite édition ouverte, pour mieux saisir les

282 OLIVIER LE DEUFF, «Anatomie et nouvelle organologie de l’édition ouverte», (2016) 8 Revue Française des sciences de l'information et de la comminication https://rfsic.revues.org/1871

démembrements possibles d’une même œuvre. Quant à lui, Gervais283 propose une distinction entre divers types d’auteurs, spécifiquement284 entre les amateurs et les savants, qui ont une perspective distincte quant à la nécessité d’un droit patrimonial en droit d’auteur, puis entre les artistes émergents et les artistes établis, qui diffèrent quant à leurs attentes de la rémunération découlant dudit droit patrimonial, afin de comprendre une articulation plus fine de leurs besoins en matière de protection en droit d’auteur. Quoi qu’intéressantes et pertinentes, ces études ne font que confirmer notre doute quant à l’étanchéité de la science économique pour réellement théoriser sur le droit d’auteur numérique.

[142] Sur un autre ordre d’idées, notre second axiome économique, le continuum du consentement, théorise les instruments juridiques introduits par le droit d’auteur en fonction du risque encouru par l’utilisateur d’une œuvre. De cette manière, le niveau de consentement du titulaire du droit maintient une relation inversement proportionnelle avec le risque encouru par l'utilisateur de l'œuvre. Dans un contexte où la volonté du titulaire est endogène à la transaction économique, cette relation définit le continuum du consentement et permet de faire basculer la nature privée de l'œuvre protégée vers sa nature publique. Il

283 DANIEL J.GERVAIS, «La rémunération des auteurs et artistes à l'ère du streaming», (2015) 27 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1087

devient possible de modéliser les rapports d'un marché en fonction du risque encouru par les acteurs économiques de celui-ci.

[143] Le danger, dans ce cas-ci, est de se borner à analyser le risque du point de vue économique, voire financier. Justement, l'argent n’est pas la seule façon de mesurer le risque. Il serait désastreux pour notre société de réduire l’apport des œuvres numériques protégées par le droit d’auteur à un simple exercice comptable ou à une évaluation macro-économique. Derrière les modèles économiques se cachent des réalités ayant un impact sur notre société. Les œuvres protégées par le droit d’auteur constituent notre patrimoine intellectuel, culturel et informationnel offrant un pouvoir de croissance et d’émancipation incroyable. Il est nécessaire d’élargir notre horizon au-delà des sciences économiques.

[144] En résumé, l’hétérogénéité des approches économiques inhérentes au paradoxe quantique et au continuum du consentement nuit à l’élaboration d’une approche holistique, voire téléologique, requise pour pleinement saisir les effets du numérique sur les œuvres protégées par le droit d’auteur. Puisque nous avons exploré notre objet d’étude, l’œuvre numérique protégée, par l’économie, nous passons aux sujets de droit, les acteurs du système social. C’est pourquoi, dans la seconde partie de cette thèse, nous explorons des théories associées à la sociologie du droit pour enrichir notre modèle théorique. Puis, nous

arrimons l’analyse économique du droit et la sociologue du droit dans le contexte des œuvres numériques protégées par droit d’auteur à la troisième partie de notre thèse.