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Section  2.1.2   Système social et communication 107

2.1.2.4   La quantification des réseaux 126

[220] Bien avant que les sociologues aient recours aux paradigmes associés aux réseaux, les mathématiciens ont développés des outils conceptuels et analytiques sophistiqués pour étudier les réseaux. Les premiers travaux à cet effet sont tracés à Euler au 18e siècle avec la

théorie des graphes400 où une série de relations sont représentés par des noyaux connectés par des vecteurs. Malgré un certain intérêt pour ces questions du point de vue des mathématiques théoriques depuis le milieu du 20e siècle, il a fallu attendre l’émergence des ordinateurs ainsi que d’Internet pour que le paradigme du réseau prenne réellement son envol401. Aujourd’hui, des outils informatiques puissants permettent de capturer des données ayant trait à des réseaux existants. De plus, les ordinateurs permettent maintenant une représentation des réseaux complexes soit par une analyse statistique, soit par une visualisation ultérieure grâce à de nouveaux outils tels les bases de données relationnelles ou graphiques402.

[221] L’étude des réseaux réels403 grâce aux mathématiques permet de dégager des constats surprenants à partir de données n’ayant aucun lien entre elles. Il semble que l’interconnexion des pages sur Internet, les relations entre les neurones du cerveau, ou quelles protéines interagissent avec d’autres dans une cellule, tous des exemples de réseaux réels, ont des propriétés mathématiques inhérentes, peu importe la situation qu’ils représentent404.

400ALBERT-LASZLÓ BARABÁSI, Network Science, Boston, MA, Center for Complex Network Research, 2012 p. 24

401 Id. , p. 8 402 Id.

403 À l’opposés des réseaux théoriques, dits aléatoires. Les noyaux sont reliés par des vecteurs d’une manière aléatoire.

404 ALBERT-LASZLÓ BARABÁSI, Linked : the new science of networks, Cambridge, Mass. :, Perseus Pub., 2002 , p. 21

« Real networks are governed by two laws : growth and preferential attachment. Each network starts from a small nucleus and expands with the addition of new nodes. Then these new nodes, when deciding where to link, prefer the nodes that have more links. These laws represent a significant departure from earlier models, which assumed a fixed number of nodes that are randomly connected to each other. »

405

[222] Également, l’étude des réseaux réels permet de voir émerger certains autres paramètres. Premièrement, il est possible de calculer la distance (moyenne ou maximale) entre deux noyaux et, malgré la complexité des réseaux réels, cette valeur est relativement basse406. L’étude de Stanley Milgram407 a, par exemple, confirmé que chaque Américain est séparé de n’importe quel autre concitoyen par six degrés de séparation et représente une manifestation particulière des réseaux réels. Sur un thème similaire, Granovetter408 a déterminé qu’il est plus probable que

nous dénichions un emploi grâce à une connaissance plutôt qu’un ami intime. Son étude sociologique offre un autre exemple de notre petit monde (small world) où certains noyaux ont une quantité disproportionnée de liens, ce qui en fait des moyeux. Les autres ont une quantité moindre de liens. La distribution des liens pour chaque noyau dans les réseaux réels suit une loi de puissance. Ces deux études ont révélé des topographies de réseaux réels qui se répercutent à travers d’autres réseaux réels.

405 Id. , p. 95

406 Id. , p. 69

407 STANLEY MILGRAM, «The small world problem», (1967) Psychology Today 60

[223] L’analyse mathématique des réseaux réels a généré une littérature considérable dans divers domaines des sciences pures qui est hors de la portée de nos travaux. Par contre, il convient de relater ces constats surprenants, où des réseaux, à priori sans rapport les uns avec les autres, semblent suivre des lois analogues. Comme si, malgré les disparités entre les éléments constituant les divers réseaux étudiés, des dynamiques propres émergent :

« traditional approaches to networks have tended to overlook or oversimplify the relationship between the structural properties of a network system and its behavior. A lot of the recent work on networks, by contrast, takes a dynamical systems view according to which the vertices of a graph represent discrete dynamical entities, with their own rules of behavior, and the edges represent couplings between entities. Thus a network of interacting individuals, for instance, or a computer network in which a virus is spreading, not only has topoligical properties, but has dynamical properties as well. Interacting individuals, for instance, might affect one another’s opinions in reaching some collective decision (voting in a general election, for example), while the outbreak of a computer virus may or may not become an epidemic depending on the patterns of connections between machines. Which outcome occurs, how frequently they occur and with what consequences, are all questions that can only be resolved by thinking jointly about structure and dynamics, and the relationship between the two. » 409

[224] Ainsi, les réseaux réels dynamiques offrent une série d’outils conceptuels essentiels pour appréhender la réalité de systèmes complexes : distance moyenne faible entre les noyaux malgré leur grand nombre; émergence de moyeux ayant un grand nombre de liens; importance de la topographie du réseau pour appréhender sa robustesse. Pour tout dire, il est non seulement primordial de

409 M.E.J.NEWMAN, The structure and dynamics of networks, Princeton, N.J. :, Princeton University Press, 2006 , p. 7

comprendre les concepts de réseaux en sociologie et en droit, il faut également creuser jusqu’aux racines mêmes des réseaux, jusqu’aux mathématiques. Il s’en suit la découverte d’une harmonie et d’un potentiel épistémique inégalé que nous désirons creuser ultérieurement.