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[225] Si les théories associées aux systèmes sociaux proposent des outils conceptuels robustes mais généraux pour évoquer n’importe quelle topographie sociale, celle du réseau en évoque une spécifique où des noyaux sont interconnectés par des vecteurs dans une multiplicité de liens. À ces deux approches conceptuelles, l’une générale et l’autre spécifique, nous ajoutons celle de l’internormativité qui vient contextualiser la nature et le rôle des liens ou vecteurs dans un système social. Donc, au système social, structure générique, nous introduisons le réseau comme morphologie particulière sociale et identifions l’internormtivité contractuelle comme conceptualisation possible des liens unissant les éléments des réseaux.

[226] Ost et Van de Kerchove410 théorisent que des systèmes juridiques peuvent osciller entre la morphologie de la pyramide et du réseau. Ainsi,

« Avec le réseau, l’État cesse d’être le foyer unique de la souveraineté (celle-ci ne se déploie pas seulement à d’autres échelles, entre

pouvoirs publics infra et supra-étatiques, elle se redistribue entre de puissants pouvoirs privés); la volonté du législateur cesse d’être reçue comme un dogme (on ne l’admet plus que sous conditions, au terme de procédures complexes d’évaluation tant en amont qu’en aval de l’édiction de la loi); les frontières du fait et du droit se brouillent; les pouvoirs interagissent (les juges deviennent co-auteurs de la loi et les subdélégations du pouvoir normatif, en principe interdites, se

multiplient); les systèmes juridiques (et plus largement, les systèmes normatifs) s’enchevêtrent; la connaissance du droit, qui revendiquait hier sa pureté méthodologique (monodisciplinarité) se décline aujourd’hui sur le mode de l’interdisciplinarité et résulte plus de

410 FRANÇOIS OST et MICHEL VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau? – Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2002

l’expérience contextualisée (learning process) que d’axiomes a priori; la justice, enfin, que le modèle pyramidale entendait ramener aux hiérarchies de valeurs fixées dans la loi, s’appréhende aujourd’hui en termes de balances d’intérêt et d’équilibrations de valeurs aussi diverses que variables. » 411

[227] Un système juridique opérant selon le paradigme du réseau est donc gouverné selon des normes négociées entre divers agents sociaux menant à une règlementation d’un système social412. Cette approche amène, selon Chevallier413, un « pragmatisme » qui :

« conduit à infléchir les conditions d’emploi de la technique juridique : tandis que l’espace du droit conventionnel connaît un constant élargissement, les destinataires sont de plus en plus fréquemment associés au processus d’élaboration des normes et des procédés informels d’influence et de persuasion viennent relayer les modes de commandement traditionnels. » 414

[228] Toujours selon Chevallier415, ce pragmatisme juridique s’articule par la contractualisation des rapports entre l’État et les gouvernés par le biais d’une rationalité coopérative et d’une logique de coordination. Il s’inscrit également dans un droit négocié suite à des consultations avec des groupes d’intérêt, voire les citoyens eux-mêmes. Finalement, la norme devient non prescriptive par un droit « doux » ou « flou » ou « mou »416, c’est-à-dire qu’il suggère des recommandations, offre des

411 Id. , p. 14

412 ANTOINE BAILLEUX, «À la recherche des formes du droit : de la pyramide au réseau», (2005) 55 Reviue internationale d'études juridiques 91 , p. 102-4

413 JACQUES CHEVALLIER, L'État post-moderne, 35, coll. «Droit et société», Paris, L.G.D.J., 2008 , p. 137 414 Id. , p. 138

415 Id. , p. 138-46

416 C.THIBIERGE, «Le droit souple. Réflexion sur les textures du droit», 2003 Revue trimestrielle du droit civil 599

options ou un partage les responsabilités. Le droit, par le biais de la déconstruction du sens de son texte devient hétéronome417.

[229] Le Conseil d’État de la France418 propose plutôt l’expression «droit souple» pour évoquer ce phénomène.

« [Il] parraît possible de définir le droit souple comme l’ensemble des instruments réunissant trois conditions cumulatives :

- ils ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant, dans la mesure du possible, leur adhésion ;

- ils ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour leurs destinataires ;

- ils présentent, par leur contenu et leur mode d’élaboration, un degré de formalisation et de structuration qui les apparente aux règles de droit. » 419

[230] Le Conseil d’État étoffe sa conception du droit souple par une multitude d’exemples. Ainsi, outre le droit international, où le concept de droit souple a déjà pris ses premières racines, le droit administratif l’incorpore pour la gestion des responsabilités ou politiques de l’État avec les organes qui lui sont tributaires, tels les municipalités. Également, il est souvent question du droit souple dans l’appréhension par le législateur de phénomènes technologiques420 ainsi que dans

417 PAUL AMSELEK, «La teneur indécise du droit», 1991 Revue de droit public 1199 418 Le droit souple, Paris, La documentation Fançaise, 2013

419 Id. , p. 61

420 Id. , p. 239-246 (Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de laCommission nationale de l’informatique et des libertés y signe un texte sur la régulation des données personnelles)

l’inclusion des normes techniques421 ou des codes volontaires422 de communautés.

[231] Nous poursuivons l’articulation de notre cadre conceptuel en abordant l’internormativité contractuelle. Cette théorie permet de solidifier le rôle du contrat en tant que communication dans un système social mais aussi de vecteur dans un réseau de nœuds d’où émergent des normes.

421 Id. , p. 275-290

422 Codes volontaires : guide d'élaboration et d'utilisation, Gouvernement du Canada, 1998 http://www.ic.gc.ca/eic/site/oca-bc.nsf/vwapj/codesvol.pdf/$FILE/codesvol.pdf