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Section  2.1.2   Système social et communication 107

2.1.2.3   Le pouvoir communicationnel, vers les réseaux 120

[202] À la théorie des systèmes sociaux de Luhmann, nous désirons juxtaposer certaines autres théories des sciences sociales et juridiques afin de mieux conceptualiser notre problématique. Les réseaux jouissent d’une certaine popularité depuis quelques années et représentent une structure sociale flexible et puissante pour représenter des réalités à étudier379. Le paradigme du réseau n’est pas étranger à la sociologie. Les critiques380 des réseaux les opposent à l’arbre, une structuration hiérarchique et centralisée et note que l’émergence de ce concept n’est pas si contemporain que l’on pense. Par contre, nul ne peut nier l’engouement récent pour le concept de réseau dans plusieurs domaines, dont la sociologie.

[203] Sur le thème de la communication dans les systèmes sociaux et des réseaux en particulier, il est impossible de passer sous silence les travaux de Manuel Castells381. En effet, ce chercheur américain d’origine espagnole précise que :

« Power is primarily exercised by the construction of meaning in the human mind through processes of communication enacted in

global/local multimedia networks of mass communication, including mass self-communication. Although theories of power and historical observation point to the decisive importance of the state’s monopoly of violence as a source of social power, I argue that the ability to

successfully engage in violence or intimidation requires the framing of individual and collective minds. » 382

379 DUNCAN J.WATTS, «The “New” Science of Networks», (2004) 30 Annual Review of Sociology 243 380 PIERRE MUSSO, Critique des réseaux, Presses Universitaires de France, 2003

381 MANUEL CASTELLS, Communication power, Oxford ; New York, Oxford University Press, 2009 382 Id. , p. 416

[204] Le rôle de la communication pour Castells est de servir de vecteur aux acteurs d’un réseau pour tisser des liens ou des relations de pouvoir. Mais la théorie de Castells, quoique importante du point de vue du paradigme de la communication, nécessite l’introduction du concept du réseau. Le réseau est une forme ou manifestation particulière d’un système social.

[205] Manuel Castells a longuement réfléchit à l’émergence des réseaux383 dans nos société dans son opus du début du 21e millénaire. Comme le note Webster :

«Castells argues that we are undergoing a transformation towards an ‘information age’, the chief caracteristic of which is the spread of networks linking people, institutions and countries. There are many consequences of this, but the most telling is that the network society simultaniously heightens divisions while increasing integration of global affairs. Castells’s concern is to examine ways in which globalization integrates people and processes and to assess fragmentations and disentagrations. » 384

[206] Justement, dans sa trilogie de la société en réseau, Castells affirme que la structure sociale du réseau offre une nouvelle façon de concevoir la réalité contemporaine, particulièrement dans un contexte hautement numérique. Il définit les réseaux comme suit :

« Networks constitute the new social morphology of our societies, and the diffusion of networking logic substantially modifies the operation and outcomes in processes of production, experience, power, and culture. […] A network is a set of interconnected nodes. A node is the point at which a curve intersects itself. What a node is, concretely

383 MANUEL CASTELLS, The Internet galaxy : reflections on the Internet, business, and society, Oxford ; New York, Oxford University Press, 2001

speaking, depends on the kind of concrete network of which we speak. » 385

[207] Les réseaux peuvent émerger dans différentes sphères et Castells précisent que la :

« new economy is organised around global networks of capital, management, and information, whose access to technological know- how is at the roots of productivity and competitiveness. » 386

[208] Les réseaux, toujours selon Castells, constituent un changement qualitatif dans l’expérience humaine. La culture, longtemps dominée par la nature, a su assoir son emprise sur celle-ci suite à la Révolution industrielle. Suite à l’émergence des réseaux, nous débutons une troisième ère387, que certains nomment la société postindustrielle388. Il s’en suit donc que l’information, et la communication de celle-ci, devient le facteur déterminant dans l’analyse de la société en réseau.

[209] Du point de vue de la culture, Castells spécifie que :

« cultures manifest themselves fundamentally through their

embeddedness in institutions and organizations. By organizations, I understand specific systems of means oriented to the performance of specific goals. By institutions I understand organizations invested with the necessary authority to perform some specific tasks on behalf of societies as a whole. » 389

385 MANUEL CASTELLS, The rise of the network society, 1, Oxford ; Malden, MA, Wiley-Blackwell, 2010 , p. 500-1

386 Id. , p. 502 387 Id. , p. 508

388 DANIEL BELL, The coming of post-industrial society : a venture in social forecasting, London, Heinemann Educational, 1974

[210] Cette distinction entre organisation et institution rappelle le processus de légitimation en démocratie de Habermas que Castells390 cite directement. En fait,

« the institutions of the state and, beyond the state, the institutions, organisations, and discourses that frame and regulate social life are never the expression of « society, » a black box of polysemic meaning whose interpretation depends on the perspective of social actors. They are crystallized in power relationships […] that enable actors to exercise power over other social actors in order to have the power to accomplish their goals. » 391

[211] Voilà l’intérêt global de l’approche de Castells :

« Actors produce the institutions of society under the conditions of the structural positions that they hold but with the capacity (ultimetaly mental) to engage in self-generated, purposive, meaningful, social action. This is how structure and agency are integrated in the understanding of social dynamics, without having to accept or reject the twin reductionisms of structuralism or subjectivism. This approach is not only a plausible point of convergence of relevant social theories, but also what the record of social research seems to indicte. » 392

[212] Castells offre donc une critique et une contextualisation du structuralisme, dont Luhmann est un théoricien. Castells cherche à souligner que :

« power is not located in one particular social sphere or institution, but it is distributed throughout the entire realm of human action. Yet, there are concentrated expressions of power relationships in certain social forms that condition and frame the practice of power in society at large by enforcing domination. Power is relational, domination is institutional. » 393

[213] Ironiquement, les réseaux nécessitent certaines technologies. Ils dépendent aussi de la maturité sociale des sociétés industrialisées, voire

390 M.CASTELLS, préc., note 381, p. 12 391 Id. , p. 14

392 Id. 393 Id. , p. 15

postindustrielles394, pour supplanter les hiérarchies395, principalement pour permettre à leur « flexibility, scalability and survivability396 » d’émerger et de se réaliser pleinement. Le pouvoir dans un réseau s’exerce par ceux qui créent et opèrent les réseaux ainsi que par ceux qui établissent des liens entre les réseaux et en leur sein. En réalité :

« the power holders are the network themselves. Not abstract, unconscious networks, not automata : they are human organized around their projects and interests. But they are not single actors (individuals, groups, classes, religious leaders, political leaders), since te exercise of power in the networksociety requires a complex set of joint action tht goes beyond alliances to become a new form of subject, akin to what Bruno Latour has brilliantly theorized as the « actor- network. ». » 397

[214] Pour le sociologue des sciences Bruno Latour398, cité par Castells, la théorie des réseaux de Castells épouse les deux définitions possibles du terme, soit celui de réseau technique (téléphonique, électrique, numérique) ainsi que celui qui est utilisé en sociologie pour distinguer les organisations, les marchés et les états. Toujours selon Latour399, Castells a, dans son recours sur les technologies de l’information, imaginé un mode privilégié d’organisation.

[215] Castells étoffe le systémisme luhmannien grâce à la topographie particulière du réseau. D’un côté, Luhmann stipule qu’un système émerge en réaction à la complexité de son environnement. De l’autre,

394 D.BELL, préc., note 388

395 M.CASTELLS, préc., note 381, p. 22 396 Id. , p. 23

397 Id. , p. 45

398 BRUNO LATOUR, Reassembling the social an introduction to actor-network-theory, Oxford ; New York :, Oxford University Press, 2005 , p. 129

Castells indique que les agents interagissent en réseau pour déployer leur pouvoir par des institutions. La complexité de Luhmann devient le pouvoir de Castels. Il est essentiel de juxtaposer ces deux théories sociologiques dans le contexte de nos travaux afin de pouvoir passer d’un bagage de connaissance à l’autre.

[216] L’intérêt de cette juxtaposition conceptuelle découle aussi d’une réalité où les agents sociaux se coordonnent en classes formant des entités distinctes, mais hautement symboliques. Les agents, au sein d’une même classe d’individus homogènes ou entres diverses classes, sont liées, tour à tour, par des liens. Plus simplement, les agents se structurent en réseau et ces réseaux d’agents constituent une nouvelle structure sociale, elle-même entrant en relation avec d’autres structures. Pour tout dire, si le réseau représente une structure possible des éléments d’un système social, il semble que le paradigme du réseau soit une structure qui est de plus en plus évoquée et étudiée pour appréhender des circonstances où des éléments d’un système social se coordonnent par consensus.

[217] Ainsi, si le concept de communication permet de créer une théorisation ouverte des relations entre les éléments d’un système social, celui du réseau permet de constater, à un niveau conceptuel équivalent, que cette morphologie particulière impacte l’élaboration de notre méthodologie. Pour Luhmann et Castells, les risques et les

coordinations découlant des communications entre des éléments d’un système social permettent d’étudier les contours de ces systèmes sociaux. Le paradigme du réseau permet de comprendre une forme particulière de système dans lequel les éléments interagissent.

[218] Les théories de Luhmann sur les systèmes sociaux offrent les outils conceptuels nécessaires pour appréhender cette réalité mais l’intérêt d’un rapprochement entre les systèmes sociaux et les réseaux est de faire le pont entre certaines théories complémentaires des sciences sociales et juridiques. Cette morphologie peut s’appliquer aux relations entre les éléments d’un système social pour représenter l’émergence d’un ordre négocié ou consensuel. Justement, cette même dialectique se voit reflétée dans le domaine juridique.

[219] Pour tout dire, le concept de réseau s’est imposé pour décrire certaines réalités sociales et se juxtapose parfaitement aux théories systémiques. Comme nous l’avons évoqué, son incorporation en droit ouvre la porte à l’étude de systèmes complexes afin d’en voir émerger des normativités nouvelles.