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« La charge » liée à l’état de grand ne se limite pas au sacrifice des intérêts particuliers et immédiats, sauf à assimiler la grandeur définie dans cette grammaire à une simple grandeur civique301. Or nous avons vu que, pour être grand, il ne suffit pas de se dépasser (au sens de voir plus loin que ses intérêts), il faut aussi s’ouvrir au débat avec les autres, créer des liens avec des partenaires, animer des réseaux, susciter des adhésions et des projets, mobiliser et identifier des porteurs d’idée. Au delà de la conscience d’un intérêt général territorial et celle d’un futur partagé que doit ressentir tout bon partenaire, c’est l’actualisation et la reconnaissance par les autres membres du réseau de ses capacités d’animation qui achèvent de fonder la « grandeur » du grand. Cependant, dans le GDT, l’animateur, le pilote ou le responsable du projet ne peut

300 Rigaldies (B.), Op. Cit., p. 67. 301

accomplir les tâches de connexion, de communication, de médiation, de négociation qui font et démontrent sa taille qu’à condition de sacrifier certains plaisirs et avantages liés à l’état de petit.

Il est intéressant ici de revenir sur la façon dont B. Rigaldies, à la suite de la citation précédente, définit et caractérise le devoir d’avenir. Selon lui, « quatre règles majeures constituent les commandements de ce devoir :

 Cultiver le doute qui seul peut conduire à la compréhension de la situation et de la

trajectoire d’évolution d’un territoire ;

 Favoriser la plus large participation des acteurs du territoire aux démarches

d’analyse qui conduisent à une compréhension partagée, puis à la détermination en commun des options qui construisent le projet d’avenir ;

 Accepter et respecter l’obligation de toujours accorder la priorité aux actions qui

confortent le projet d’avenir ;

 Demeurer vigilant, évaluer l’avancement et la pertinence du projet, le réviser

lorsque l’exige la compréhension partagée d’une nouvelle situation et d’une

nouvelle évolution »302.

En effet, de ces quatre règles, seule la troisième (« accepter et respecter l’obligation de toujours accorder la priorité aux actions qui confortent le projet d’avenir ») se raccorde directement au sacrifice des intérêts présents et particuliers au nom du projet qui définit l’avenir du territoire ainsi que les actions à y mener. Les trois autres se rapportent à des formes de renoncement fort différentes.

Le premier et le quatrième commandement (« cultiver le doute » et « demeurer

vigilant ») expriment un sacrifice fondamental lié à l’accession à la grandeur dans cette

cité : celui du confort des certitudes et des a priori303. L’accès à l’état de grand suppose

de « reconnaître la méconnaissance que l’on a généralement de la situation que l’on

veut traiter, afin d’identifier les points sur lesquels il faut réfléchir ensemble (les acteurs s’appuient fréquemment sur des conceptions a priori partant de leur situation

302 Source : Rigaldies (B.), Op. Cit., p. 67-68.

303 Le renoncement aux pensées préformatées et aux certitudes n’est pas du tout comparable, comme nous le verrons, avec l’évasion hors des habitudes qui favorise la rencontre avec le surnaturel ou l’inconscient et donc la création dans la cité inspirée. En effet, la création prend la forme dans cette dernière cité d’une intuition éminemment individuelle et pré-scientifique alors que dans la grammaire que nous développons, la création du projet est un processus collectif qui s’appuie sur des analyses expertes (le renoncement aux a priori prend alors une tournure quasi cartésienne). Cf. Le chapitre suivant.

particulière qui n’est pas forcément celle de l’ensemble) »304. Le petit lui vit dans le présent, ne se pose pas de question, ne se lance pas dans des analyses ou des projections, il évite ainsi les affres du doute qui taraudent le grand.

Le grand n’a même pas de certitudes quant à la qualité et la pertinence du projet de territoire une fois celui-ci établi, car elles peuvent être à tout moment remises en cause par des évolutions externes ou internes. Le grand, quel que soit son degré d’implication dans le projet (qui est toujours élevé), ne doit pas, dans la GDT, y être attaché : il doit savoir le transformer et en changer si les circonstances l’exigent. Cette redéfinition peut prendre la forme extrême d’un redécoupage du territoire quand celui-ci n’est plus suffisant pour les projets qu’on veut lui faire porter ou pertinent du fait de certaines évolutions. Ainsi, « chaque territoire rassemblant suffisamment de volonté pour organiser son avenir trouvera lui-même la manière de repousser ses limites le

moment venu »305. Le grand de la GDT renonce ainsi à n’avoir qu’un projet : il est

toujours prêt à amender le projet de territoire, à le modifier ou à en créer un nouveau avec des partenaires, eux aussi éventuellement nouveaux, en particulier à la suite d’une évaluation [cf. infra « L’épreuve modèle »]. Il s’adapte aux circonstances et aux

évolutions et est ainsi disponible pour s’engager dans chaque nouveau projet qui

apparaîtra pertinent en terme de développement territorial. Autrement dit, le grand sacrifie sur l’hôtel du bien commun, qui implique une grande adaptabilité ainsi que la succession des projets dans le temps (et donc des engagements), la stabilité qui caractérise l’état de petit qui gère des situations qu’il ne tente pas de redéfinir à tout bout de champ.

Sous-section 3