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Il convient, après cette exposition générale, d’explorer un peu plus avant les lignes que suivent les formes de décadence (i.e. dans ce cas de fermeture) que les manuels consultés identifient. Tout d’abord, la cité du projet de territoire peut chuter lorsque le lien qui relie les partenaires n’est qu’une alliance de circonstance entre des individus qui loin de s’associer pour construire et poursuivre un projet commun, global et cohérent s’unissent en réponse à des incitations financières497 (contrats de plan Etat/région pour les pays, dotations de fonctionnement, taxe professionnelle unique pour les communautés de communes). Le soucis de développer et d’animer un projet de territoire disparaît ou est absent des préoccupations des partenaires : la dynamique de projet tourne alors au simulacre ou à la simple opération de communication et on retombe dans une logique de guichet (caractérisée par l’addition d’actions sans complémentarité ni cohérence par opposition au caractère global du « vrai » projet) dont les acteurs locaux deviennent les esclaves498. L’initiative locale est, par conséquent, totalement brimée. En 1996, B. Rigaldies critique l’application de la loi ATR en invoquant ce type de décadence : « Parmi les recommandations proposées par la loi ATR pour la création des communautés de commune ou des communautés de villes qu’elle institue, figure notamment l’idée d’élaboration d’un projet de développement partagé par les villes adhérentes […]. Rares sont les nouvelles structures

497 Or ce type de motivation est toujours seconde dans la logique de projet : « sans être négligeable l’élément financier est en effet second par rapport à la volonté de coopérer plus fortement et à la capacité de définir le contenu de cette coopération » (source : Logié (G.), Op. Cit., p. 248).

498 Dans la logique de la GDT, les acteurs pris dans une logique de guichet ne font que répondre, tels les chiens de Pavlov , aux incitations financières (subventions) accordées par l’Etat, la Région ou le département. L’action publique n’est pas alors déterminée par les acteurs locaux mais par l’extérieur : les élus y perdent leur autonomie et tout esprit d’initiative.

intercommunales qui ont su aborder cette question, et trop nombreuses sont celles qui se

sont créées sur des considérations d’ordre purement financier »499.

Du point de vue de la GDT, les acteurs locaux sombrent alors dans

l’opportunisme : sans vision à long terme, ils réagissent en fonction des opportunités de

financement qu’on leur propose dans le court terme. Les acteurs ne constituent pas une force de proposition ou d’innovation mais se contentent de répondre à la mise en place d’une multitude de guichets, de contrats, de politiques spécifiques parachutée sur le territoire par des intervenants extérieurs (Europe, Etat, Région, Département). Seule la projection spatio-temporelle dans le long terme du territoire « à venir » à travers la démarche de projet peut empêcher cette forme de déchéance500 : « La question du territoire doit être posée dans une vision à long terme, afin de ne pas la réduire à des exigences d’opportunité de politiques contractuelles de quelques années. Un vrai territoire (« le bon »), c’est celui qui dure dans le temps, quelles que soient les alternances politiques, parce qu’il s’est doté d’une force politique portée par ses

habitants et toutes ses forces vives »501. Pour cette raison, l’horizon temporel du projet

doit dépasser celui des procédures contractuelles et des mandats politiques : « Un horizon à dix ans semble optimum. Au delà des mandats locaux, il est délibérément plus lointain que les programmes d’action pour ne pas tomber dans le catalogue de réponse aux opportunités de financement. Il donne le temps nécessaire aux maturations des projets importants et à leur réalisation. Il permet de rendre visible des effets, de constater des déclins et des dynamiques. Il est davantage à l’échelle de la génération »502.

Le projet horizontal, décloisonné et territorialisé permet donc d’éviter la

réduction de la démarche à une alliance opportuniste et par conséquent la chute dans la dispersion et l’éclatement des actions et des crédits (tomber dans le catalogue) qui

mènent à l’incohérence et au triomphe de l’improvisation et de la loi du plus fort qui

499

Source : Rigaldies (B.), Op. Cit., p. 16.

500 Cette forme de déchéance est aussi présente dans cette description du programme LEADER : « ce programme de type intersectoriel se caractérise par un ensemble cohérent d’actions qui recherchent un effet « dynamisant », susceptible de produire des résultats au delà du court terme. Il s’agit de stimuler la

volonté d’entreprendre de la population dans son ensemble et d’encourager de nouvelles initiatives, et non pas simplement de répondre à des demandes individuelles d’entrepreneurs ou d’organismes locaux en quête de fonds pour leurs projets immédiats » (source LEADER, Op. Cit., 1994 (2), p. 5)

501 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 6. 502

« s’impose […] au détriment de l’efficacité collective »503. Cette forme de déchéance est, selon les auteurs de nos manuels, sinon fréquente, tout à fait courante : « La contractualisation à cinq ans d’actions éclatées est aujourd’hui possible sans l’existence d’un projet territorial. Mais les problèmes de fond demeurent et appellent sans cesse de nouvelles mesures parachutées aussi peu efficaces. On se retrouve souvent avec une multitude de dispositifs et de procédures qui se substituent à un vrai projet de

développement urbain »504. Dans cette logique, seule une démarche de projet

correctement menée « met fin au « saupoudrage » (et au gaspillage) qui découle, depuis des décennies, de la multiplication des investissements réalisés sans cohérence ni concertation, à un niveau micro-territorial qui en condamne l’efficacité »505. En effet, au cours de la démarche, « peu à peu, un ensemble cohérent et négocié se dégage des travaux. L’équipe responsable formulera enfin une synthèse finale. Celle-ci reflètera clairement une politique : il ne s’agit pas en effet de chercher à satisfaire tout le monde en dispersant les moyens, ni de tenter d’intervenir dans tous les secteurs. L’objectif est de privilégier les domaines pour lesquels l’intervention locale peut jouer un rôle décisif. Si les acteurs concernés ont réellement pris part à la démarche, la stratégie proposée

aura de fortes chances d’être validée »506. Dans la forme déviante ou décadente de

partenariat que cette citation décrit en quelque sorte « en creux », les acteurs qui se regroupent ne cherchent pas à construire ensemble un projet en négociant ou en se

concertant, ils sont là uniquement pour défendre leurs intérêts507 (ou celui du groupe ou de la collectivité qu’ils représentent), répondre à des opportunités de financement, placer leurs projets (au mépris de toute cohérence). La démarche souffre alors d’un manque d’animation et se révèle artificielle : personne ne vient assurer la médiation entre les acteurs (les ouvrir les uns aux autres, permettre le débat, l’échange, la concertation) et incarner la logique de projet. La démarche réunit non pas des partenaires autour d’un projet mais des opportunistes en quête de financements ou de

503 Source : LEADER, Op. Cit., 1994 (1), p. 25. 504

Source : Logié (G.), Op. Cit., p. 252.

505 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 87. 506 Source : LEADER, Op. Cit., 1994 (1), p. 20.

507 Les acteurs tournés vers leur intérêt (matériel ou encore politicien) ou pris dans une logique routinière (inertie) pervertissent la démarche : « bien accompagnés et soutenus par les pouvoirs publics, les pays peuvent devenir de véritables catalyseurs d’énergie et de solidarités nouvelles. Ils doivent être un cadre privilégié pour le partenariat inter-institutionnel. Les tentatives de perversion de cette politique que l’on constate ici ou là, les inerties administratives ou les enjeux de pouvoir auxquels ils sont parfois confrontés, ne pourront résister dans la durée » (source : Portier (N.), Op. Cit., p. 5).

coups d’image. Ainsi, « il est manifeste [dans cette logique] que certains projets de pays, motivés par des considérations essentiellement politiciennes ou par des réactions défensives à l’égard d’une agglomération voisine, ne présentent pas la cohésion interne recherchée par la loi. L’absence d’interactions, de flux ou d’échanges entre les différentes composantes de ces projets ne tardera pas à être ressentie. La non conformité avec les pratiques réelles des habitants ou des acteurs économiques, la difficulté à élaborer des projets fédérateurs révéleront leur caractère artificiel. De tels territoires, souvent appelés « pays d’aubaine », peineront à définir une stratégie de développement supra-communale et à mobiliser largement la société civile ou les populations. Leur logique naturelle sera de compiler artificiellement des micro-projets de dimension communale ou cantonale dans un inventaire à la Prévert du développement local. De tels pays seront au mieux ce que certains observateurs appellent des « terroirs-caisses »

dont le seul ciment se réduira à une quête de subvention »508.

Sous-section 2