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Le consultant-animateur n’est pas le seul sujet dont la participation à la démarche est rémunérée421 (par opposition au bénévolat des acteurs locaux). La construction et la mise en place du projet impliquent le recrutement d’un autre type de professionnels. En effet, « élaborer un projet global demande de la volonté aux politiques, de la disponibilité aux partenaires, mais aussi des contributions techniques et professionnelles sur trois points :

 la coordination et l’animation générale du dispositif ;  des apports d’analyse ou d’expertise ;

 la communication et l’information »422.

Si le premier point renvoie à la figure de l’animateur, les deux suivants évoquent la figure de l’expert, dépositaire d’une compétence spécifique (capacité à analyser, capacité à gérer la communication) et d’un savoir particulier qui font sa valeur et sa grandeur. Ainsi l’expert, qui possède une compétence technique, universitaire ou

scientifique reconnue et qui fait qu’on le consulte, fait aussi partie des sujets qui

comptent – à un degré cependant moindre que l’animateur - dans la GDT. Les acteurs locaux recourent à l’expert pour mener à bien des études comme des évaluations ou des

études de faisabilité sur des objets (des terrains, des filières socioprofessionnelles, des

monuments, etc.) « qui nécessitent une forte expertise professionnelle ».

En effet, les analyses, les données et les informations que l’expert apporte enrichissent la réflexion des acteurs en leur apportant un point de vue extérieur, objectif,

professionnel : « Si le projet local se construit sur la base des points de vue des acteurs locaux, de leur appréciation subjective – collective et argumentée -, il est souhaitable qu’il soit aussi confronté et enrichi par des regards extérieurs et professionnels. Les contributions d’experts ou spécialistes qui construisent leurs raisonnements et leurs appréciations sur d’autres référents, peuvent apporter des connaissances, des méthodes et des problématiques intéressantes, dégager des conclusions qui viennent confirmer ou

421 Les élus ne sont pas en général rémunérés pour ce type d’engagement. 422

infirmer certaines appréciations locales. Elles ouvriront d’autres portes, d’autres questions. En particulier pour l’appréciation et la qualification du patrimoine, l’apport de regards professionnels tels que les paysagistes, urbanistes, architectes, écologues, ethnologues, spécialistes du tourisme et leur confrontation avec les appréciations des participants locaux permettent une interrogation positive sur les valeurs et les qualificatifs employés. Ils apportent de nouveaux éléments et permettent in fine au groupe d’enrichir son travail. Mais l’apport de regards extérieurs pour l’appréciation et la qualification socioéconomique peut être tout aussi important. Selon les besoins, le calendrier de travail prévu et la nature de l’approfondissement des connaissances

souhaité, des missions peuvent être confiées à des professionnels extérieurs »423. Par les

informations qu’ils fournissent, les experts peuvent aider les partenaires à construire le projet : « Des apports de techniciens et de professionnels peuvent venir se greffer sur la

conduite pédagogique de construction d’un regard »424. Leur expertise est sollicitée en

échange d’un salaire : « La rémunération de ces missions « matière grise » doit être

prévue, évaluée et négociée par le comité de pilotage dès le début du processus »425.

Leur contribution est d’autant plus efficace que les experts ou chargés de mission sont eux-mêmes organisés sous forme de partenariat ouvert et décloisonné dans des équipes pluridisciplinaires ou des équipes matière grise, et qu’ils sont directement associés à l’équipe de partenaires qui anime le projet :« Il peut aussi s’avérer profitable d’associer des universités et des établissements d’enseignement supérieur aux différentes phases de la démarche de développement : la mise en disponibilité de stagiaires dans le cadre de certains cours, par exemple, peut utilement renforcer l’équipe d’animation locale. Ces ressources peuvent devenir un appui régulier à la démarche de

développement »426. De plus, l’expert est d’autant plus intéressant qu’il peut servir de

relais ou de lien vers d’autres experts ou vers un réseau (régional, national, européen)

ou un organisme d’expertise. C’est pour cette raison qu’il est souhaitable « [d’] allier au sein de l’équipe diagnostic, au moment de la production [du diagnostic], des spécialistes statistiques (par exemple de l’INSEE, DRTEFP, OREF, DRE,…) qui vont aider l’équipe à clarifier les questions et servir de « relais » ou de « médiateurs » auprès des

423 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 127. 424 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 120. 425 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 70. 426

organismes statistiques régionaux »427. Ce rôle d’intermédiaire qui permet d’accéder à de nouvelles (personnes-) ressources et à de nouvelles ou meilleures informations grandit l’expert dans une grammaire où la capacité à étendre le réseau des partenaires fonde la grandeur.

Pour autant, l’aura de l’expert est limitée par rapport à la grandeur que peut avoir une telle figure dans la cité industrielle428 et par rapport à celle de l’animateur dans la grammaire que nous décrivons. En effet, l’expert ne peut prétendre, au nom de la compétence qu’il possède, imposer ses conclusions et encore moins une conduite ou une décision à l’ensemble des partenaires. Dans cette grammaire, il ne faut pas que l’autorité de l’expertise se substitue à la négociation entre acteurs et, à ce titre, il faut toujours se méfier des experts : « Le rapport avec les « experts extérieurs » nécessite une réflexion et une définition précoces. Il faut arriver à profiter de leurs compétences tout en évitant que leurs interventions tendent à déposséder les acteurs locaux de la conduite des opérations ou que leurs intérêts propres conduisent à des résultats ne correspondant pas aux attentes du groupe. Un certain équilibre semble pouvoir être atteint quand l’animation globale du projet reste exclusivement du ressort du groupe local et quand l’appel à des appuis extérieurs ne porte que sur des aspects pour lesquels

l’expertise extérieure est indispensable »429. Les autres partenaires doivent donc faire

preuve de vigilance et encadrer l’activité de l’expert : « Le comité de pilotage ou chaque commission sera alors chargée de définir clairement les cahiers des charges des missions confiées à des tiers (organismes départementaux ou autres bureaux

d’études.. ;), de maîtriser et d’utiliser les apports et conclusions avancés »430.

Si la légitimité de l’expert est limitée dans cette cité, c’est que le savoir (connaissance scientifique ou technique) qu’il possède, pour recherché qu’il soit, reste

spécifique en tant qu’il reste attaché à un seul domaine, science ou spécialité. A ce titre,

il est enfermé dans sa zone de compétence, contrairement à l’animateur caractérisé par son ouverture et qui se montre capable de faire le lien entre les différentes zones d’expertise (cf. la capacité de synthèse évoquée supra). C’est dans ce sens qu’il faut interpréter la remarque émise par Y. Gorgeu et C. Jenkins à propos des experts : « Rappelons toutefois que ces compétences spécifiques [celles des experts consultés] ne

427 Source : Mazel (O.), Vazard (P.), Werner (K.), LCBE, Op. Cit., p. 27. 428 Cf. le chapitre 3 pour plus de détails.

429 Source : LEADER, Op. Cit., 1994 (1), p. 15. 430

sont jamais assimilables à la compétence générale d’animation »431. En effet, la compétence « d’animation » représente, si l’on peut s’exprimer ainsi, la compétence la plus générale (i.e. la plus grande) dans cette grammaire car celui qui l’actualise (ou est considéré comme l’actualisant) incarne le principe supérieur commun.

De plus, dans cette grammaire, les experts ne sont pas la seule source d’information valable sur le territoire et pour la construction ainsi que le suivi du projet. Les leaders locaux432 (politiques ou non), les personnes clefs, les représentants

d’organismes professionnels disposent d’une connaissance du territoire et d’une compréhension des attentes de ces habitants et utilisateurs ; savoirs acquis par l’expérience et le contact (avec la population) auxquels l’expert ne peut accéder. Il

existe donc une capacité d’expertise locale, interne qu’il faut mobiliser (et non rémunérer comme dans le cas de l’expert extérieur) lors de la collecte d’informations pour diagnostiquer le territoire par exemple : « La collecte des informations utilisées pour cette première approche ne nécessite pas un important travail d’investigation. Elle peut par exemple s‘appuyer sur la documentation disponible, sur des discussions avec des relais d’opinion et des personnes clefs des différents secteurs économiques ou encore sur les analyses que les organismes professionnels ou les associations ont réalisées au sujet du territoire »433. L’animateur fait le lien entre expertise interne et

externe, organise l’interaction et le dialogue entre les deux zones d’expertise en évitant

la domination d’une zone sur l’autre434.

Chaque équipe-pilote comprend aussi en son sein des techniciens, chargés de

mission directement rattachés à la démarche (par opposition aux experts extérieurs que

l’on consulte de manière ponctuelle et sur des problèmes spécifiques) et qui la dote d’une « capacités d’étude, de réflexion, d’animation, indispensables à la conduite de projet. Ces techniciens produisent des :

431 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 127. 432

Pour B. Rigaldies ces leaders sont des sources d’information précieuses : « en théorie, les leaders sur un territoire, et en particulier les élus locaux qui en sont les représentants légitimes [compromis avec la cité civique], sont à même d’exprimer sans erreur [les] attentes [de ses habitants] » (source : Rigaldies (B.), Op. Cit., p. 47).

433

Source : LEADER, Op. Cit., 1994 (1), p. 9.

434 L’animateur recherche l’équilibre et le consensus : soucieux d’éviter toute dérive technocratique (pouvoir de l’expert), il refuse aussi les analyses étriquées des acteurs locaux dans les domaines où leur compétence est insuffisante et cherche à enrichir, à ouvrir le débat avec des contributions expertes externes (éviter la fermeture du réseau de partenaires sur lui-même).

 contributions méthodologiques : organisation de la démarche, proposition

d’objectifs et de méthodes, rédaction de cahiers des charges ;

 contributions écrites et cartographiques : statistiques, analyses, enquêtes, relevés,

mise en forme des documents ;

 contributions à la conduite de réunion (préparation, animation, comptes-rendus….)

et aux actions d’information et promotion ;

 rédaction des synthèses et réalisation des plans et décrets »435.

Ces techniciens possèdent des compétences spécifiques qui les rapprochent des experts (connaissances statistiques, formation universitaire dans un domaine, connaissance du droit et de l’administration) mais connaissent aussi des méthodes qui permettent d’organiser le débat et le partenariat, ce qui les rapproche des animateurs. Ni tout à fait expert, ni tout à fait professionnel de l’animation, le caractère mixte de leur définition en fait des acteurs à la grandeur incertaine dans cette cité.

Sous-section 5