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Les dispositifs formalisant l’engagement réciproque des partenaires (contrats et chartes)

Tous les dispositifs que nous venons de citer sont censés inciter au rapprochement, à l’établissement de connexion, et ainsi soutenir l’émergence du partenariat [cf. le mode de relation entre les êtres]. Ce partenariat se manifeste et s’organise autour d’accords, de contrats, de conventions, de chartes, d’alliances476 qui reposent non pas ou pas uniquement sur leur force réglementaire ou juridique (la possibilité de poursuivre en justice celui qui ne respecte pas le contrat) mais sur l’engagement réciproque des partenaires. Ces dispositifs, qui incarnent et garantissent le partenariat, sont absolument centraux dans la grammaire que nous décrivons où ils font figure de forme idéale : « L’idéal est d’arriver à un accord des divers acteurs intervenant sur le territoire, qui

peut prendre par exemple la forme d’un contrat ou d’une charte »477. La charte ou le

contrat de territoire n’est pas assimilable à un contrat classique mais à un pacte ou un contrat social basé sur un engagement moral réciproque des partenaires : « Parce qu’elle renvoie aux habitants d’un même territoire une image d’eux-mêmes (de leur société et de leur patrimoine commun), qu’elle leur propose un projet pour leur avenir, avec des alliances et des soutiens explicites, la charte de territoire constitue une nouvelle sorte de

contrat social478, passé entre les responsables locaux du territoire, leurs habitants et leurs

partenaires. […] La charte de territoire puisera sa force dans cet accord moral. A ce titre, elle ne sera pas assimilée à un acte réglementaire ou à un contrat financier, mais à

un pacte »479. La charte doit, dans la GDT, « formaliser les priorités du développement

communes des différents acteurs du pays mais aussi les engagements qu’ils prennent

476 Une variété de dispositifs et objets peuvent servir à manifester l’existence de ces accords ou contrats ainsi que l’implication d’un acteur ou d’une institution dans le partenariat : de la lettre d’engagement au début de la démarche à la convention détaillée, du sponsoring (forme d’engagement des entreprises) à la

contribution financière (forme d’engagement des collectivités publiques : « pour les partenaires des

territoires, que ce soit l’Etat, et par son intermédiaire, L’Union européenne, la Région et le département, leur participation à un projet de territoire se traduit souvent par un engagement financier » - source : Logié (G.), Op. Cit., p. 222).

477

Source : LEADER, Op. Cit., 1994 (1), p. 19

478 La charte affirme le partenariat à plusieurs niveaux, entre acteurs individuels mais aussi entre collectifs : « La charte de territoire prend valeur de contrat social à la fois entre les collectivités locales et les acteurs de la société civile » (source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 9).

479

entre eux. Certains acteurs locaux parlent ainsi de « l’esprit de réciprocité territoriale »

et de transaction dans lequel doit être entreprise sa rédaction »480. L’esprit de réciprocité

est nécessaire, non seulement parce qu’il garantit que le projet est un jeu à somme non- nulle (tous les acteurs locaux seront gagnants) mais parce qu’il place chaque partenaire sous le contrôle des autres. En effet, dans la GDT, en l’absence de relation hiérarchique classique (où un chef fait respecter les règles et sanctionne grâce à un pouvoir réglementaire), le respect de l’accord par un acteur est garanti par la vigilance des autres partenaires (éventuellement entretenue et éveillée par l’animateur ou la structure animatrice) : « On veut penser que la puissance des accords moraux publics permet de régler des divergences ou des « écarts » inévitables avec les années. Point n’est besoin de conférer un pouvoir réglementaire ou de sanction quelconque à la structure d’animation. Celle-ci pour rester maître d’une dynamique collective de projet, n’a aucun intérêt à jouer le rôle de « père fouettard » mais tout intérêt à organiser les rapports de force : la « pression amicale » de l’ensemble des communes d’un territoire face à une commune qui développe un projet autonome et contradictoire au projet d’ensemble, la « colère publique » d’associations d’usagers sur un projet allant à l’encontre de la charte valent autant, si ce n’est plus, qu’un arrêté sanction »481. La publicité de la charte, en permettant l’accès d’un grand nombre de personnes aux engagements des partenaires, accentue le contrôle moral réciproque et garantit le bon fonctionnement du partenariat : « La promotion publique du projet (campagne de presse, large diffusion du document, acte solennel des signatures...) assurera sa notoriété. Plus cette notoriété sera forte, plus il sera possible dans les années suivantes, de rappeler aux signataires leurs

engagements »482.

Les dispositifs qui encadrent l’accord mettent l’accent, conformément à la logique en œuvre dans cette grammaire, sur l’auto-contrôle (entre partenaires) plus que sur le recours à la loi (cité civique) ou au pouvoir du chef. La signature d’une

convention ou d’une charte vient formaliser cet engagement devant les autres

partenaires: il s’agit d’un « acte politique fort, collectif, public, signé »483,d’un« contrat

d’engagement moral »484.

480

Source : Portier (N.), Op. Cit., p. 44.

481 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 191. 482 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 189. 483 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 11. 484

La convention ou la charte engage des acteurs et des institutions autrefois séparés dans des relations de coopération en précisant leur rôle dans le partenariat. Ainsi, « les accords particuliers avec les organismes publics et privés qui peuvent participer au projet de territoire permettent de préciser les modalités de leur engagement »485. Elle précise la nature de ces « engagements réciproques des partenaires : respect des orientations, contributions financières ou techniques,

collaborations, information réciproque, etc. »486 et proclame publiquement la

responsabilité des acteurs devant le futur du territoire (projection spatio-temporelle). La charte, en tant que dispositif de la GDT, doit impliquer et associer les partenaires extérieurs au territoire afin d’éviter l’écueil de l’isolationnisme (cf. les formes de déchéance de la cité) : « L’un des points forts de la démarche pour une charte de territoire est de prendre en compte les échanges et les flux auxquels est lié le territoire avec l’extérieur en vue d’organiser et de renforcer les partenariats et les alliances externes. Il s’agit en particulier :

 De considérer les relations avec les territoires limitrophes et avec les pôles urbains

dont l’aire d’attraction concerne le territoire ;

 De repérer les autres lieux avec lesquels des échanges et des flux s’opèrent quelle

que soit leur nature ;

 De dialoguer avec les principaux acteurs, associés et institutions qui agissent

fortement sur le territoire.

Ces investigations doivent être présentes à toutes les phases d’élaboration du projet de territoire (diagnostic, orientations, approbation ,mise en œuvre) de façon, à la fois, à raisonner le projet en cohérence avec les espaces limitrophes et les aires d’influence, à inscrire le projet au sein d’actions ou de projets plus vastes ou communs à plusieurs espaces, à intégrer dans les projet des volets de coopération spécifique avec d’autres champs géographiques, à prendre en compte les projets extérieurs de façon à pouvoir agir pour leur intégration dans la logique du projet territorial. Chacun de ces impératifs peut et doit s’organiser d’une façon contractuelle autour de la charte de territoire. C’est pourquoi tous ces éléments doivent d’abord être intégrés à la charte et celle-ci être reconnue par les organes représentatifs des instances extérieures concernées. Il faut néanmoins conclure des partenariats extérieurs qui peuvent être

485 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 225. 486

déterminants pour le développement du territoire. Ils se concrétiseront par des contrats ou conventions d’objectifs et de moyens sur la base d’un programme d’action et d’accords financiers. Cela peut également se formaliser en intégrant le projet de territoire dans le cadre d’une politique contractuelle de plus grande envergure

territoriale (procédure européenne, par exemple) »487.

Le contrat constitue alors « le moyen de traduire en terme opérationnel la mise en œuvre de la charte. Le contrat est notamment l’outil de coordination et le cadre de cohérence des multiples sources de financement et politiques d’intervention sectorielle relevant de l’Etat, des conseils généraux et régionaux, de l’Union européenne, d’agences ou établissements publics (agence de l’eau, caisse des dépôts et

consignations »488. Le contrat est un dispositif valorisé dans la GDT, non seulement

parce qu’il assure une coordination entre partenaires, mais parce qu’il est censé favoriser la globalisation ou, pour parler autrement, le décloisonnement de l’action publique et le passage à la logique de projet489 : « Plus dynamique que les procédures d’aide classiques (primes, zonages, critères d’éligibilité…) de plus en plus apparentées à des « guichets », le contrat […] vise ainsi à substituer la logique de projet territorial à la logique sectorielle de compétences administratives éparpillées. Par rapport à ces dispositifs aux contenus encore très sectoriels, les contrats de territoire (pays, agglomérations, parc naturels, régionaux) […] visent à faciliter une certaine forme de globalisation et de simplification administrative. Portés par une stratégie de territoire unique, intersectorielle, ils sont en conséquence des leviers pour décloisonner les univers administratifs et activer des synergies entre divers types d’initiatives ou d’enjeux. Ainsi, le contrat peut et doit être le cadre de coordination de l’action

quotidienne des cosignataires »490.

Ces contrats (comme les Contrats de Plan Etat-Région) sont signés entre acteurs évoluant sur le même territoire (les collectivités territoriales, les services de l’Etat, les

487 Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 37. 488

Source : Portier (N), Op. Cit., p. 54.

489 « Le contrat est […] la technique d’avenir de l’action publique […]. Ses avantages sont multiples et de ce fait il s’est largement répandu au sein des politiques publiques. Les avantages du contrat sont les suivants : 1) il permet de territorialiser les politiques publiques en les adaptant à des contextes spécifiques ; 2) il limite les « effets d’aubaine » que suscitent certaines aides automatiques ; 3) il offre un cadre de négociation et de coordination entre plusieurs institutions ; 4) il permet une certaine fongibilité des crédits d’intervention des administrations, 5) il incite les bénéficiaires ou acteurs cibles des soutiens publics à s’inscrire dans un cadre d’action collectif et une dynamique de projet » (source : Ibid., p. 52-53). 490

acteurs publics, semi-publics, privés491) mais aussi avec des partenaires extérieurs, évitant ainsi le saupoudrage (cf. les formes de déchéance de la cité) en intégrant le projet local à des démarches qui dépassent le cadre territorial et assurent la coordination et la cohérence entre les différents projets menés sur des territoires distincts.

In fine, les accords peuvent déboucher sur la mise en place de dispositifs de coordination et d’animation permanents (tels les équipes d’animation ou des dispositifs de pilotage), qui permettent de faire vivre le partenariat. Pour le développement du

tourisme sur le territoire par exemple, la mise en place de « dispositifs relationnels (créer une coordination intercommunale des offices de tourisme, syndicat d’initiative, points d’information, CDT, CRT) pour rationaliser les publications et les manifestations de chacun, peut être plus efficace que de participer à un salon international

supplémentaire »492.

Cependant, le document écrit, qu’il soit un contrat, une convention ou une

charte n’est en aucun cas une finalité en soi. Son existence, en tant qu’elle manifeste

l’existence du projet et l’engagement réciproque des partenaires qui s’exprime et se

traduit par la signature493 du document (et qui est garanti par le contrôle que chaque partenaire exerce l’un sur l’autre), permet de marquer objectivement et publiquement la grandeur des individus. En effet, ceux-ci sont grands dans cette cité parce qu’ils accèdent à la dignité de partenaires494 du développement : la signature de l’accord fonctionne alors comme une preuve, disponible pour tous, de l’engagement des individus ou des institutions dans le projet. Pour autant, la dynamique partenariale, marquée par l’adaptation et la négociation permanente entre partenaires ne peut totalement se figer en un document écrit : « La charte de territoire se concrétise à un

491 Les frontières sociales ou institutionnelles sont ainsi franchies ou transcendées. 492

Source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 209.

493 « Tous les acteurs locaux qui se reconnaissent dans le projet de territoire et souhaitent participer à sa mise en œuvre ou contribuer aux projets pourront signer : associations d’habitants, d’usagers, organismes et entreprises, personnalités diverses. […] Par leur signature, les partenaires extérieurs, département, région, Etat, organismes consulaires et socioprofessionnels, établissements publics, reconnaissent la spécificité du territoire et de son projet dans sa globalité. L’accord passé entre les partenaires traduira : leur reconnaissance commune du territoire, tel qu’il est présenté avec ses forces ; leur accord sur les vocations, les choix, la stratégie de développement arrêtée ; leur reconnaissance de la structure intercommunale chargée de l’application et de l’animation du projet ; leur volonté d’agir et de mettre des moyens en commun. Pour tous, cet engagement est un engagement moral »(source : Gorgeu (Y.), Jenkins (C.), Op. Cit., p. 189).

494 Etre partenaire n’est qu’une première étape dans la montée vers les états supérieurs de cette cité qui se termine avec l’état d’animateur, défini par la capacité à engager (les autres).

certain moment dans un document comprenant textes, plans et illustrations diverses. […] Ce document est doublement nécessaire :

 Il met en forme et rend public le projet de territoire ;

 Signé, il devient acte d’engagement et de référence pour le futur.

Mais il ne constitue pas la finalité du processus d’élaboration et d’animation d’une charte de territoire qui reste aussi contenue dans la dynamique et la concrétisation

permanente du projet de développement »495. Il ne faut donc pas confondre la démarche

avec sa formalisation à un moment t sous forme écrite, même si le document fait figure de texte fondateur ou référence : l’écrit ne peut saisir ce qui fait l’essence du partenariat, c’est-à-dire sa dynamique interne qui passe par des négociations, des rencontres, l’établissement de relations entre des personnes autour de la création et la réalisation du projet et ne peut être saisi par des textes ou des règlements comme dans la cité civique.

Sous-section 6

Le caractère relationnel et transitoire des objets et dispositifs